Québec / Guillaume Soro : « Je demande au Président de la République de ne pas rompre le dialogue avec le Président Bédié »
Par IvoireBusiness - Québec / Guillaume Soro « Je demande au Président de la République de ne pas rompre le dialogue avec le Président Bédié ».
Comme annoncé, le Président de l’Assemblée nationale (PAN) de Côte d’Ivoire, SEM. Guillaume Kigbafori Soro, a échangé dans la soirée de ce vendredi 13 juillet 2018 à Montréal, avec la communauté ivoirienne vivant au Québec. Cette rencontre s’est déroulée au domicile de M Aké, opérateur économique.
Déroulée en deux phases, la première partie des questions et préoccupations de la diaspora ivoirienne a porté sur la Réconciliation et sur le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Comparativement au dernier passage en 2016 du PAN Guillaume Soro à Québec au Canada, cette fois-ci, c’est dans un air convivial et fraternel que les échanges se sont déroulés entre lui et ses compatriotes ivoiriens, qui, au regard des questions posées, bien que loin de leur terre natale la Côte d’Ivoire, ont une oreille attentive quant à l’actualité sociopolitique de leur pays. Et Guillaume Soro qui n’a pas la langue de bois en pareilles situations et avec le brin d’humour qu’on lui connait, a servi ses interlocuteurs sur un plateau d’or :
Sa riche intervention lors de la première partie des échanges : « Madame Asso qui se réclame être ‘’GOR’’ (ndlr : Gbagbo ou Rien), je ne sais pas ce que cela veut dire mais j’imagine que ça veut dire ‘’Guillaume ou Rien ‘’ (rires) ; donc je la remercie, elle est venue me soutenir. C’est gentil, elle est une ‘’GOR’’ et j’en prends bonne note. Alors elle me dit : ‘’ M.Unoro pourquoi vous êtes seul à parler de Réconciliation ? Pourquoi les autres ne vous suivent pas ? ‘’ En parlant des autres, j’imagine qu’elle veut parler de Ouattara et Bédié mais moi, j’ajoute à ces deux personnalités, Cissé Aboudramane Sangaré et Affi N’guessan qui ne me suivent pas non plus. J’aurais le sentiment que je prêche dans le désert. Mais moi, ce n’est pas l’année dernière que j’ai commencé à parler de Réconciliation ; j’ai commencé à parler de Réconciliation depuis 2004. J’ai commencé depuis à parler de Réconciliation mais les gens ne m’écoutent pas, ou bien ils attendent. Mais comme les esprits ne sont pas encore bien préparés, ils ne réalisent pas. J’ai commencé à parler de Réconciliation en Côte d’Ivoire, j’ai été le Premier ministre qui a organisé la Flamme de la paix en Côte d’Ivoire à Bouaké et baptisé la ville de Bouaké, la capitale de la Paix ; c’était en 2007, la première fois depuis le début de la crise, que le Président Laurent Gbagbo venait à Bouaké, en présence de six autres Chefs d’Etat. J’ai fait mon discours et j’ai dit ceci, je m’en souviens comme si c’était hier.
J’ai dit : « oui, la guerre n’est pas une fatalité, et il y a un temps pour chaque chose, oui il y a un temps pour se fâcher, un temps pour se quereller mais il y a aussi un temps pour se réconcilier, il y a aussi un temps pour faire la Paix ». Et j’ai dit ce jour-là que le temps pour faire la Réconciliation et la Paix est arrivé. Le Président Gbagbo était là ; ensuite nous sommes allés mettre le feu aux armes. Donc, c’est une conviction que j’ai, alors il ne faut pas croire que ma posture - et je l’ai dit en début de propos - est opportuniste.
Non ! C’est une conviction propre. Parce que certains croient que ‘’ah oui, comme Guillaume veut être candidat en 2020 donc il parle de Réconciliation pour blaguer les uns et les autres’’. Moi j’ai commencé en 2004, je ne savais même pas qu’un jour, je serai Premier ministre ; je ne savais pas qu’un jour, je serai Président de l’Assemblée nationale. Pourtant, j’avais commencé à parler de Réconciliation parce que j’étais convaincu que c’est la seule porte de sortie pour la Côte d’Ivoire. Et c’est pourquoi, depuis 2004, j’ai cherché chaque fois à discuter pour éviter la guerre à mon pays. Quand il a été possible d’aller à Paris, à Lomé, à Pretoria, à Accra pour aller discuter, j’ai été toujours présent au forum de la discussion de sorte qu’en Côte d’Ivoire, je suis le doyen des accords et des négociations. Pour vous dire que ce n’est pas une posture opportuniste. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai discuté avec Laurent Gbagbo, le dialogue direct. Quand le Président Laurent Gbagbo a proposé le dialogue direct, dans mon camp 80% n’était pas d’accord pour que j’aille discuter avec Gbagbo. J’ai réuni les chefs militaires et les civils, je leur ai dit : « moi, ou je suis votre leader, ou je ne le suis pas, le Président Gbagbo a proposé le dialogue direct, je ne peux pas refuser de discuter, donc moi j’ai décidé d’aller discuter avec le Président Gbagbo à Ouagadougou. Si vous êtes d’accord avec moi, vous me suivez ; si vous n’êtes pas d’accord, je vous rends tout de suite ma démission en tant que Secrétaire général des Forces nouvelles.» Les chefs militaires sont à Abidjan, certains les connaissent ; vous pourrez les appeler pour leur demander… ils étaient tous là, vous pouvez les appeler pour leur demander. Parce que je suis convaincu que c’est le dialogue qui peut régler ce problème, je vous rends ma démission et je pars.
J’ai interrogé chacun d’entre eux, ils ont levé la main pour dire : ‘’oui, nous sommes d’accord pour aller discuter avec Gbagbo, va discuter !‘’ Et je suis parti, j’ai discuté à Ouagadougou pendant des mois. Mais quand je discutais avec Gbagbo, qu’on a signé l’accord, que j’aiété nommé après Premier ministre, qu’est-ce qu’onn’a pas dit à Abidjan, le RDR même le PDCI ? On a dit que j’aiété vendu à Gbagbo, que j’aiété acheté par Gbagbo ; ou bien vous n’avez pas attendu ça ? (réponse dans la foule : si, c’est vrai, on a bien entendu). Tout le monde a dit que j’aiété acheté par Gbagbo.
Un jour, je suis allé voir Gbagbo au Palais et le Président me dit : ‘’Guillaume, viens on va aller se promener sur la lagune !’’. Il m’a pris dans sa voiture, j’étais copilote, et lui, le pilote. On est allé au quai et ensuite on est monté ensemble à bord d’un bateau. Il y avait le ministre Sy Savané je crois, il y avait Konaté Sidiki. Mais quand on est descendu de ce bateau-là, les gens voulaient me tuer, ‘’Pourquoi je suis allé me promener avec Gbgabo ?’’
Je dis : ‘’mais c’est le Président de la République, je suis Premier ministre. Il me dit de monter dans sa voiture, je dis non que je ne monte pas ; il dit de monter dans bateau, je dis, non je ne monte pas, pourquoi ? ‘’ C’est au nom du dialogue et de la Réconciliation que moi, je partais à Bouaké pour installer les magistrats quand on a tiré sur mon avion trois roquettes, quatre morts sur le champ. Parce qu’on disait que j’avais trahi, que Gbagbo m’avait donné de l’argent, que Gbagbo m’avait acheté. Je touche du bois, si ce jour-là, j’étais mort, le 29 juin 2007 ; oui, ça allait réjouir certains mais en même temps ce que ça allait produire, les mêmes gens qui ont dit que j’étais acheté allaient dire : ‘’ah oui, Guillaume, on lui a dit d’aller combattre Gbagbo, il s’est laissé acheter par Gbagbo et puis Gbagbo l’a tué ; c’est bien fait pour lui, c’est le sort des traitres'’. Et mes enfants aujourd’hui seraient en train d’errer à travers la planète pour chercher leur pitance quotidienne, c’est Dieu qui a voulu que je ne meure pas dans cet attentat. Donc pour dire que la question de la Réconciliation-là, ce n’est pas aujourd’hui que ça a commencé chez moi. Et j’en ai payé le prix fort, on m’a traité de tous les noms, on a tenté de me tuer au nom de la Réconciliation. C’est pourquoi tout à l’heure au début, je vous ai dit : « pour mener le combat du Pardon et de la Réconciliation, ce ne serait pas facile, ça va être difficile » ; bon, injures-là, ce n’est rien à côté de la mort !
C’est pourquoi je continue, c’est pourquoi notre ami Asso peut dire ‘’ ohhhh, je n’y crois pas vraiment !’’ . Ce n’est pas grave, moi je continue. Tout le monde peut ne pas adhérer, me suivre mais je continue et je vais continuer de parler de Pardon et de Réconciliation. Ceux qui sont d’accord pour pardonner, on ira ensemble. Je suis allé récemment dans des villages Godié derrière Fresco, j’ai trouvé des bourgades sans électricité, sans eau, j’ai connu et j’ai vu des villages où il y a eu 100 morts. Bon évidemment, quand on n’est pas dans ces villages-là, on ne sait pas ce que c’est que la Réconciliation. Dès que je suis arrivé, ils m’ont dit ‘’ vraiment Guillaume, on t’attendait pour faire la Réconciliation ‘’ ; parce que si on ne fait pas la Réconciliation, on ira de vengeance en vengeance, ça ne fera plus 100 morts, ça fera 200 morts, 300 morts, 400 morts… Si les Rwandais qui ont connu un million de morts en deux mois ont pu se réconcilier, qu’allons-nous dire nous Ivoiriens, il ne s’agit nullement de comparer les morts , un mort étant toujours un de trop ; mais il faut que vous acceptiez qu’on aille à la Réconciliation et moi je continuerai de le dire et de le chanter. Alors Monsieur Charles, qui lui a parlé de RHDP. Bien, écoutez ! Sur la question du RHDP, je veux bien me faire comprendre, j’ai déjà eu une position le 03 avril 2018 à l’ouverture de la Session. Moi en ce qui me concerne, l’histoire du parti unifié, RHDP et tout ça, personne ne peut être contre l’union mais en même temps, il faut prendre le temps de discuter. J’ai dit le dialogue, le dialogue et le dialogue. Et il ne faut laisser personne sur le bord du chemin.
Et vous me donnez l’occasion de m’adresser à mes aînés, au Président Alassane Ouattara qui me connait ; il connait ma loyauté vis-à-vis de sa personne ; il sait que je le soutiendrai et c’est l’occasion pour moi – parce que vous voyez souvent des pays rentrent en crise à cause de détails, moi l’appel que je lance, je demande au Président de la République de ne pas rompre le dialogue avec le Président Bédié. Ces jours-ci, j’entends certaines personnes dire que c’est Guillaume Soro qui manipule Bédié (rires). Vraiment quand tu souffres, tu souffres vraiment ; moi, je vais manipuler le Président Bédié ; quelqu’un qui est devenu ministre en 1965, moi-même je ne savais pas si j’allais naître un jour (rires), et puis je vais venir le manipuler. ‘’C’est à cause de Guillaume Soro que le PDCI ou Bédié prend telle ou telle posture'', il faut arrêter ces débats sordides et ces intrigues ; ou est le nom de Guillaume Soro dans cette affaire-là ? Moi, si je ne peux pas rapprocher le Président Ouattara et le Président Bédié, si je ne peux pas dans ma conviction du Pardon et de la Réconciliation amener ces deux grands hommes d’Etat à se mettre ensemble, ce n’est pas moi qui vais les diviser. Et ces proches, ces pêcheurs en eaux troubles, ils vont raconter au Président Ouattara : ‘’Ah Président, c'est Guillaume Soro qui est derrière Bédié’’, et qui vont raconter au Président Bédié : ‘’de toute façon, le Président Ouattara dit que Guillaume Soro a trop de dossiers en justice, on va le mettre en prison’’, qu’ils arrêtent ! Et c’est de cette manière que les entourages emmènent les problèmes. Aujourd’hui, nous devons œuvrer pour que les deux Présidents se retrouvent. Ils ne se rendent même pas compte que c’est notre division qui va faire plaisir à mon ami ‘’GOR’’ qui est assis ici (rires). S’ils se divisent, nous nous retrouverons au statu quo ante ; en 1999, qu’avions-nous ? Nous avions Bédié Président et Alassane Ouattara dans l’opposition, qu’est-ce qui s’est passé ?, les deux ont perdu le pouvoir. Alors si aujourd’hui, situation inverse, Alassane Ouattara Président et Bédié se divisent et il va dans l’opposition, qu’adviendra-t-il ? Ne faites pas prendre autant de risques au pays ! Alors, ceux qui comptent sur moi pour aller combattre Bédié, ils se trompent parce que moi je ne suis plus dans palabre ; si tu comptes sur moi pour aller combattre ADO, je ne suis pas dedans. Moi, maintenant-là, j’ai muri hein (rires), vous voyez cheveux blancs sur ma tête, dans ma barbe, si on n’a pas dit que c’est pour bouc, maintenant-là, je suis devenu sage (rires). Donc moi je ne suis plus dans palabre de Côte d’Ivoire, il faut que cela soit clair dans les esprits, et je le dis publiquement (rires).
Et il y a des gens qui sont là ‘’oui, c’est Guillaume Soro qui manipule Bédié‘’. Moi je vais manipuler Bédié, attendez, c’est trop d’honneur pour moi, je refuse d’accepter (rires). Donc arrêtons ces histoires-là ! Pour résumer, moi mon problème, c’est la Réconciliation, c’est le Pardon. Donc l’histoire du RHDP dont vous parlez ; ma position, elle est connue et elle est publique. Je vous ramène à mon discours du 03 avril 2018. Je dis que le parti unifié doit se construire dans l’inclusion et par le dialogue avec le temps. Celui qui m’a posé la question-là, voilà ce que je viens de dire, si arrivé là-bas, on m’insulte ou bien on me frappe, c’est toi (rires et applaudissements). Moi, j’étais venu ici juste pour saluer le doyen Aké (Ndlr : l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire au Québec), vous me posez des questions comme ça. Donc vraiment, si j’ai dit quelque chose que ce n’est pas bon, vraiment pardonnez-moi, il ne faudrait pas que cela soulève des passions. Monsieur Gneto s’interroge si je suis candidat aux prochaines élections présidentielles. Ah, est-ce que je suis candidat ? Bon, en tout cas on va réfléchir (rires et applaudissements). On va réfléchir, on va réfléchir, comme la nuit porte conseils, on va aller dormir et on va réfléchir. Parce que les gens veulent me faire parler alors que j’ai quand même un avion à prendre pour arriver à Abidjan là-bas. Quand on va me gifler à l’aéroport, est-ce que vous serez là ? (Rires). Donc vraiment on va réfléchir. »
Propos retranscrits par Louis Konan
Source: Guillaumesoro.ci