Présidentielle au Cameroun : dauphins en eau trouble

Par Jeune Afrique - Présidentielle au Cameroun. Dauphins en eau trouble.

Paul Biya lors du sommet UA-UE, le 29 novembre à Abidjan. © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA.

Par Georges Dougueli
@GDougueli

Bien que nul ne sache encore si Paul Biya, 84 ans dont trente-cinq à la tête de l’État, se représentera en 2018, quatre piliers du régime apparaissent comme des candidats potentiels à sa succession. Mais gare à ceux qui exprimeraient publiquement cette ambition…
Attention, sujet tabou. L’entourage du président camerounais n’aime pas évoquer l’après-Biya. Qui le blâmerait ? L’espérance de vie gouvernementale a été courte pour ceux qui ont eu l’audace de manifester leur intérêt pour le fauteuil occupé depuis trente-cinq ans par Paul Biya, âgé de 84 ans. Dans dix mois aura lieu l’élection présidentielle, à laquelle personne ne sait si le chef de l’État sera candidat. Mais défier le président en pariant sur son départ, c’est prendre le risque de payer un prix élevé.
Dans bien des cas, le scénario a été cruel : licenciement lu au journal radio de 17 heures, arrestation, détention… Si la question est posée, la réponse est souvent la même, à l’instar de celle donnée par ce poids lourd du gouvernement : « Non, je ne veux pas devenir président. Rien ne peut remettre en question ma loyauté envers le chef de l’État. » L’exceptionnelle longévité au pouvoir de Paul Biya a donc créé au sein de son entourage un théâtre d’ombres chinoises.
Quatre prétendants
La loyauté y est mise en scène pour mieux dissimuler des desseins plus personnels. Le palais d’Etoudi n’est pas assiégé par de grands fauves pressés de chasser le chef. Ils sont déjà à l’intérieur, au pied du trône. Avec l’air de ne pas y toucher, ils font mieux qu’y penser. Ils se tiennent prêts pour la succession, le moment venu.
Ils ont vogué de ministères régaliens en postes sensibles
Dans cette comédie, quatre personnages émergent au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) : René Emmanuel Sadi, Laurent Esso, Edgard Alain Mebe Ngo’o et Louis-Paul Motaze. Tous sont des piliers du régime et doivent tout, ou presque, au président. Ils sont quasiment tous passés par l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), le moule de l’élite administrative, à l’exception de René Emmanuel Sadi, formé à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric).
Ils ont peu d’expérience hors du pays, à l’exception – encore – de René Sadi, qui a travaillé à l’ambassade du Cameroun en Égypte. Se distinguant par leur longévité aux affaires, ils ont vogué de ministères régaliens en postes sensibles. Laurent Esso et Edgard Alain Mebe Ngo’o ont dirigé le cabinet civil du président. Esso et Sadi ont été respectivement secrétaire général et secrétaire général adjoint de la présidence, tandis que Louis-Paul Motaze a occupé un poste similaire auprès du Premier ministre.
Pendant plusieurs mois, Mebe Ngo’o a été à la fois à la tête de l’armée et de la police. En tout, Esso, Sadi et Mebe Ngo’o ont ainsi passé plus de vingt ans dans les plus hautes instances du système.
Biya Big Brother

Leurs particularités ne sont pas toujours des points forts. Respectivement douala et babouté, Esso et Sadi sont issus de communautés minoritaires. Cela constitue un handicap numérique compte tenu du vote « ethnique » observé ces dernières années. Et ils sont les plus âgés des prétendants au pouvoir. Une candidature de Paul Biya en 2018 sonnerait la fin de leurs rêves d’accéder un jour à Etoudi. Plus jeunes, Mebe Ngo’o et Motaze conservent leurs chances mais pourraient pâtir du fait d’être issus de la même région que l’actuel président.
Les dénonciations sont récompensées, la délation, entrée dans les mœurs
S’il garde le silence, le chef de l’État sait tout. Rédigées par les services spéciaux, des notes sur ces dauphins lui sont adressées par dizaines. Elles recensent les comptes bancaires de l’un, les participations de l’autre au sein d’entreprises privées, des détournements d’argent public vrais ou fantasmés. Le président entretient aussi des réseaux informels d’informateurs qui eux aussi consignent leurs faits et gestes. Les dénonciations sont récompensées, la délation, entrée dans les mœurs.
Ces notes ont également décrit Jean-Marie Atangana Mebara comme l’initiateur du G11, un groupe de hauts dignitaires qui se seraient réunis pour envisager l’après-Biya. Cet ancien secrétaire général de la présidence croupit désormais en prison, où il purge une peine de 15 ans.
Les clés du RDPC
Pour l’instant, le « chef » n’a donné aucun signe qui trahisse sa volonté de se retirer. Et, en cas de démission, de décès ou d’empêchement, la Constitution prévoit que le président du Sénat assure l’intérim et dispose de cent vingt jours pour organiser des élections auxquelles il ne pourra lui-même se porter candidat. Mais, pour cette génération de politiciens qui doit son émergence au mode de dévolution du pouvoir inauguré par l’ex-président Ahmadou Ahidjo, démissionnaire en 1982 au profit de Biya, le pouvoir ne peut se transmettre que par héritage.
La grande bataille consistera à prendre possession de la machine à gagner ultradominante, le RDPC
Même si le chef de l’État affirme le contraire, il y a des chances que l’heureux « élu » soit celui que le sortant aura choisi. Ou, en cas de décès, celui qui aura les clés du RDPC. En effet, les lois camerounaises ne permettant pas aux personnalités indépendantes de se porter candidates, la grande bataille consistera à prendre possession de la machine à gagner ultradominante qui a accaparé l’administration et contrôle 148 des 180 députés à l’Assemblée nationale, et 306 mairies sur les 360 que compte le pays.
Au Sénat, elle dispose de 80 sénateurs sur 100. En cas de retrait du président, comme en cas d’indisponibilité, la commission électorale, composée à 90 % d’anciens membres du RDPC et de quelques représentants de la société civile, sera également un atout majeur susceptible d’aider le système à se perpétuer.
Sauf qu’au sein du parti au pouvoir un obstacle « technique » pourrait empêcher pareil scénario pacifique de s’écrire. Taillés sur mesure pour son fondateur, les statuts de ce parti ne prévoient pas de conduite à tenir en cas de disparition de son président, qui est le « candidat naturel » du parti à la présidentielle. Ce casse-tête juridique est au moins susceptible de faire du RDPC un albatros qui ne pourrait plus décoller. Ou de faire sortir du bois les prétendants à la succession et de provoquer une guerre ouverte entre eux.

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