Politique : A Quatre mois seulement avant les élections, la France craint le pire en Côte d’Ivoire

Par Le Nouveau Courrier - A Quatre mois seulement avant les élections, la France craint le pire en Côte d’Ivoire.

François Hollande et Alassane Ouattara à l'Elysée. Image d'archives.

Selon un récent rapport de l’Assemblée nationale française, «nombre de pays africains, francophones ou anglophones restent profondément marqués par d’importantes fragilités structurelles qui handicapent leur développement, quand elles ne l’hypothèquent pas pour longtemps». Parmi eux, la Côte d’Ivoire où une élection présidentielle est prévue en octobre prochain, alors que de nombreux facteurs d’implosion existent qui sont minimisées voire entretenus par le régime Ouattara.
Au moment où la Côte d’Ivoire s’apprête à aller à des élections présidentielles dans un contexte de retour au monopartisme imposé par le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, le rapport d’information n°2746 de l’assemblée nationale française en date du 6 mai 2015 tire la sonnette d’alarme. Il s’agit en fait de la conclusion des travaux d’une mission d’information de la commission des affaires étrangères constituée le 11 décembre 2013 sur la stabilité et
le développement de l’Afrique francophone. La mission était composée de M. Jean- Claude Guibal, président, M. Philippe Baumel, rapporteur, de MM. Jean-Paul Bacquet, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Meyer Habib, François Loncle (jusqu’à sa démission le 13 avril 2015), Guy Teissier, Michel Terrot et Michel Vauzelle. Sur le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, qui «revient de loin (mais) reste un pays fragile et instable», les rapporteurs admettent que plus de quatre ans après la grave crise post-électorale qui a failli plonger la plonger dans la guerre civile, le pays «reprend son souffle. Mais alors que les élections de 2015 censées «donner les clefs de la sortie de crise en désignant une équipe gouvernementale légitime», les parlementaires français attirent l’attention sur des «des signes de fragilité (qui) persistent.» «Sans revenir ici sur les fondements de la catastrophe que la Côte d’Ivoire a vécue, force est de constater que le processus de sortie de cette crise a été lent, qu’il a subi de multiples aléas au long des années 2000, souffrant de multiples blocages dus au manque de volonté des parties en présence, quels que soient les efforts de la communauté internationale. Il aurait difficilement pu en être autrement après plus d’une décennie de guerre civile et de marasme économique, politique et social, qui ont provoqué des blessures qui seront longues à cicatriser», lit-on dans le rapport de 233 pages. Echec de la réconciliation et question sécuritaire Les difficultés de sortie de crise détectées par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale de France sont de divers ordres. En premier l’échec d’un processus de réconciliation nationale et la question sécuritaire, du fait notamment du manque de volonté du régime Ouattara. «Est-il certain, au vu des soubresauts politiques qui agitent actuellement le pays, autour du procès du clan Gbagbo, que la réconciliation politique, premier pas, sans doute, de ce processus, soit en cours, si ce n’est seulement esquissée ?» C’est ainsi que les députés français traduisent leurs vives inquiétudes et réoccupations. «On imagine mal que le pays puisse retrouver le chemin d’un apaisement durable et consolidé sans que ces problématiques soient traitées en profondeur et fassent l’objet de solutions partagées par les différentes communautés du pays», préviennent-ils. Le rapport est explicite sur la question : «Les enjeux auxquels la Côte d’Ivoire fait face depuis lors consistent en premier lieu à réussir le processus de réconciliation nationale, mené par une Commission «Dialogue, Vérité et Réconciliation» dont les travaux ont longtemps peiné à avancer et à donner des résultats concrets et prometteurs. En parallèle, le rétablissement de la sécurité sur le territoire national s’est effectué dans un contexte tendu, troublé, tout du moins dans les premiers temps, de tentatives d’attentats, de lenteurs extrêmes dans le désarmement des milices et la réinsertion de leurs membres dans la société civile ou dans les forces armées nationales. Selon un récent rapport de l’ICG, dans le Grand Ouest, zone la plus instable du pays, au début de 2014, les tensions communautaires restaient fortes, la réconciliation n’avait toujours pas été lancée. (…) Comme le souligne le dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies relatif à la Côte-d’Ivoire, ce n’est finalement qu’au milieu de l’année 2014 que le dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition a repris, que des mesures d’apaisement, avec l’élargissement de certains proches de l’ancien président Gbagbo, ont été adoptées, et qu’une commission électorale indépendante a été constituée, chargée de mettre en place le processus électoral pour les élections présidentielles prévues pour le mois d’octobre prochain.» N’empêche, «des troubles se produisent parfois au sein de certaines unités des forces armées et le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion tend à trouver ses limites naturelles, faute de débouchés possibles : «Le 4 novembre, l’Autorité du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion (ADDR) a annoncé que quelque 44 000 anciens combattants, dont 3 538 femmes, avaient été désarmés et que le nombre de ceux qui devaient l’être avant le 30 juin 2015 avait été revu et s’établissait à 67 460. Au 1er décembre, selon les statistiques officielles, 27 034 armes, y compris des grenades, et 1 537 engins explosifs avaient été collectés. ». Par ailleurs, souligne le rapport, des troubles continuent toujours de survenir, comme c’est le cas depuis plusieurs années, sur la frontière sudouest du pays, depuis le Liberia. La poursuite de la justice des vainqueurs Ce que les parlementaires français ne disent pas, c’est que la fameuse CEI fortement dominée par le régime Ouattara dans sa composition et toujours dirigée par le très controversé Youssouf Bakayoko, l’homme qui a fait basculer le pays dans la violence en 2010, en béissant aux ordres du président français Nicolas Sarkozy qui lui avait envoyé un courrier. Il fait l’objet de contestation. La coalition de l’opposition récemment mise sur pied, la CNC, fait de la refonte de cette commission un préalable pour participer aux futures joutes électorales. Composée entre autres du parti du Pr. Mamadou Koulibaly, du FPI de Sangaré Aboudrahamane, de l’UDL de Martial Ahipeaud, de Kouadio Konan Bertin (KKB), etc., cette coalition qui compte en son sein plusieurs candidats déclarés à la présidentielle de 2015 mérite bien que ses préoccupations soient prises en compte. Et si tel n’est pas le cas, il est à craindre que cela engendre des violences, et entache gravement la crédibilité des élections qui ne pourraient être, comme souhaité, «crédibles, transparentes et ouvertes à tous.» Cette question, ajoutée il faut le dire à celles relatives à l’éligibilité de Ouattara et à la poursuite des arrestations arbitraires dans le camp des pro-Gbagbo, contribue à raviver les rancoeurs et les tensions dans le pays qui, manifestement, n’est pas sorti de l’ornière. Questions foncières et crises communautaires latentes Les députés français ont pu se rendre compte également que «les questions foncières restent un facteur de tensions communautaires et de vifs incidents qui continuent d’éclater», principalement dans l’ouest du pays. «En lieu et place d’un traitement politique et économique des problématiques en jeu dans cette région qui, mise à part la capitale, a été la plus durement touchée par les tensions et les violences, la réponse du gouvernement est restée essentiellement sécuritaire, alors même que la question foncière entre propriétaires autochtones et paysans étrangers qui a présidé dans les années 1990 aux crispations intercommunautaires, n’était pas réglée», souligne le rapport. En toile de fond, l’occupation des forêts appartenant aux autochtones ou des forêts classées par des ressortissants des Etats de la Cedeao, principalement les colonies burkinabè particulièrement actives dans la région et au centre de violences ayant coûté de nombreuses morts d’hommes. Une opération conduite par des seigneurs de guerre tels que Amadé Ouérémi, dont les hommes ont pris une part active à la guerre post-électorale qui s’est soldée par la victoire d’Alassane Ouattara qui réçu l’appui inestimable des forces françaises de la Licorne, sur instruction de son ami personnel Nicolas Sarkozy. Ce vent d’expropriation des populations autochtones toléré voire encouragé par le régime Ouattara faire courir à la région de graves risques de violences, qui éclatent déjà par endroits et de façon récurrente. Pour les parlementaires français, cette exacerbation des tensions communautaires latentes pourrait à nouveau faire basculer le pays dans un nouveau cycle de violence, vu l’enjeu important que représente aujourd’hui la terre, dans un pays qui connait une forte croissance démographique et un taux de chômage endémique (près de 50% de la population), touchant surtout les jeunes, proies faciles pour le terrorisme qui gagne de plus en plus de terrain.

In LE NOUVEAU COURRIER N°1285 Du Mardi 2 Juin 2015