Libération/Côte-d'Ivoire: La participation à la présidentielle crée la polémique

Par Libération - Libération/Côte-d'Ivoire. La participation à la présidentielle crée la polémique.

La commission électorale ivoirienne vérifiant les résultats de Cocody, à Abidjan, le 26 octobre. Photo Sia Kambou. AFP.

Par Maria Malagardis, envoyée spéciale à Abidjan

Alors que les Ivoiriens ont voté pour reconduire ou non le favori Alassane Ouattara, le taux d'abstention fait débat, dans l’attente du verdict des urnes.
Combien d’Ivoiriens ont voté dimanche pour désigner leur président ? Si le résultat du scrutin semblait connu d’avance, c’est bien le niveau de la participation qui était mardi le sujet de certaines polémiques, alors que les résultats définitifs n’étaient toujours pas connus en début d’aprés-midi. Dès lundi, la Commission électorale avait pourtant annoncé une participation de 60%. Bien inférieure à celle du précédent scrutin en 2010 (80%), mais encore honorable dans un contexte de désaffection des électeurs qui n’ont été que 55% à retirer leurs cartes pour aller voter, contraignant les autorités ivoiriennes à décréter in extremis, à la veille du scrutin, qu’une simple carte d’identité suffirait le jour du vote.

Mais encore faudrait-il que ce chiffre de 60% soit le bon. Car dès lundi soir, il était revu à la baisse par l’une des rares organisations civiles ivoiriennes à avoir suivi cette élection : la Plateforme des organisations de la société civile pour l’observation des élections en Côte-d’Ivoire (Poeci) a en effet annoncé de son côté un chiffre de participation de 53% «avec une marge d’erreur de 1,8%». Et dans la foulée, une plateforme rassemblant des partis de l’opposition (certes nettement moins neutre) a évalué à 18% la participation au vote.

Boycott du scrutin

L’un des membres de cette coalition, l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, qui était lui-même candidat avant de se retirer samedi de la course électorale, a accusé la Commission électorale, dans un tweet posté lundi, de «mentir» aux Ivoiriens, sur «une participation imaginaire», exigeant la publication des «vrais chiffres» recueillis par les ambassades occidentales et le National Democratic Institute (NDI), un organisme américain venu superviser les élections. Il était bien l’un des seuls sur place. Car peu d’observateurs internationaux ont suivi ce scrutin, considéré comme gagné d’avance.

Président sortant, Alassane Ouattara sollicitait en effet dimanche un nouveau mandat, sans véritable challenger de poids face à lui. Notamment à cause de la division des héritiers de son adversaire de 2010, Laurent Gbagbo, aujourd’hui incarcéré à la Cour pénale internationale à La Haye. Le parti de Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), est en effet entré dans la course électorale en l’absence d’une grande partie de ses forces qui ont choisi de boycotter le scrutin. Trois candidats en lice au départ, dont Charles Konan Banny, se sont retirés avant le vote dénonçant l’organisation du scrutin.

En renforçant du coup la victoire de Ouattara ? Peut-être, mais à condition que la participation soit crédible et que l’abstention ne vienne pas gâcher la fête, en limitant de manière implicite la légitimité du président sortant, élu une première fois dans un contexte très polémique en 2010. Aujourd’hui encore, une partie des Ivoiriens, principalement les pro-Gagbo, ne reconnaissent toujours pas la victoire de Ouattara en 2010. Cette fois-ci, le scrutin se devait donc d’être irréprochable, et si possible suffisamment mobilisateur pour faire oublier les polémiques de 2010.

Difficile d’adhérer à l’idée d’une «participation massive»

Combien d’Ivoiriens ont donc voté dimanche ? Difficile de se faire une idée en l’absence d’observateurs suffisants pour couvrir l’ensemble du territoire. L’Union européenne s’est contentée d’une «mission d’experts» et l’Union africaine a elle aussi joué le service minimum, avec 120 observateurs arrivés la veille du vote, au sein d’une délégation dirigée par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo.

Croisée dans un bureau de vote du Plateau au moment du décompte des voix, l’ancienne Premier ministre sénégalaise Aminata Traore minimisait, avec une moue dubitative, la référence aux bureaux de vote désertés dans certains quartiers : «Tout dépend de l’endroit où l’on se trouvait», constatait-elle, sans plus de précision. Ni de curiosité.

C’est vrai, on ne peut pas être partout. Mais difficile d’adhérer à l’idée d’une «participation massive» annoncée peut-être un peu vite dimanche matin par le Président lui-même. Bien au contraire, dans les quartiers populaires de Yopougon, Koumassi ou Williamsville, l’affluence s’est révélée plutôt très faible. Elle semble s’être quelque peu accrue en fin de journée. A cause de la fin des pluies torrentielles qui ont surpris les électeurs le matin même ? Peut-être.

Mais à deux endroits différents du quartier du Plateau, tous deux investis par la coalition présidentielle, Libération a pu observer que des électeurs étaient «remerciés» de leurs votes en échange de 3 000 à 5 000 CFA (5 à 7 euros). Pas pour rentrer chez eux en bus, ce qui serait déjà discutable et coûte nettement moins cher. De petits gbakas (minibus qui circulent dans les quartiers populaires) étaient de toute façon affrétés non loin des lieux concernés, où les «militants méritants», selon l’expression d’une représentante de la coalition présidentielle interrogée sur place, étaient invités à déposer leur carte d’électeur munies du tampon certifiant qu’ils avaient bien voté. Bien sûr, il était impossible de connaître le choix de ces électeurs dans le secret de l’isoloir. Mais eux pouvaient prouver qu’ils avaient au moins participé au scrutin. Ce ne fut visiblement pas suffisant pour imposer un consensus.

Mardi à la mi-journée, personne ne s’était encore mis d’accord sur les chiffres définitifs de la participation, alors qu’on attendait aussi le verdict des urnes, qui lui ne devrait réserver aucune surprise.
Maria Malagardis envoyée spéciale à Abidjan

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