Kouassi Kouamé Patrice, Député Pdci: « Notre base n’est pas favorable au parti unifié »

Par Le Temps - Kouassi Kouamé Patrice, Député Pdci « Notre base n’est pas favorable au parti unifié ».

Le Député Pdci de Yamoussoukro, Kouassi Kouamé Patrice. Image d'archives.

Elu député en 2016 sur une liste indépendante, Kouassi Kouamé Patrice Dit KKP a fini par rejoindre sa famille politique, le Pdci-Rda. Mais il garde encore sa liberté de parole et son franc-parler. Dans l’interview qu’il nous a accordée dans la foulée de la fête du Travail le 1er mai à Yamoussoukro, il évoque l’alliance Rhdp et donne avis sur le parti unifié.

Vous avez été élu en tant qu’indépendant et vous avez battu le candidat du Rhdp. Il y a également le fait que la liste Rhdp a été battue par une liste de candidats indépendants aux sénatoriales. Comment expliquez-vous ces différentes défaites ?

Je pense qu’il faut tirer les conséquences de cette défaite du Rhdp à Yamoussoukro lors des sénatoriales. Le Rhdp ne marche pas à Yamoussoukro. À chaque fois qu’il y a une liste Rhdp, la liste a été battue par les indépendants. Je fais le constat, il est factuel. Mais, la liste Rhdp perd à Yamoussoukro parce que le Rhdp est rejeté.

Pourquoi le Rhdp est rejeté à Yamoussoukro?

Le principe même du Rhdp à Yamoussoukro crée une frustration au niveau des militants. Comment pouvez expliquer que dans les bastions du Rdr, ce sont des listes Rdr, habillée en Rhdp, et dans les bastions du Pdci, ce soit des listes Rhdp. C’est cela la problématique. Vous allez prendre tous les bastions du Rdr, vous n’allez pas voir un seul Pdci dans la liste. Ils sont tous Rdr et on nous demande à Yamoussoukro, sous le prétexte du Rhdp, d’avoir une liste composée du Rdr, du Pdci et de tout le monde. Il faut être cohérent. Si dans les bastions du Rdr, il n’y a pas de mixtes Pdci-Rdr pourquoi vouloir avoir des mixtes Rdr-Pdci à Yamoussoukro.

Mais à qui la faute ? Est-ce que le Pdci n’a rien à se reprocher sur ce chapitre ?

Je ne cherche pas les fautes. Je cherche les réponses qu’on apporte à ce genre de situations et la réponse qui est apportée à chaque fois, c’est que les listes Rhdp sont battues. Voilà la réponse qu’apportent les populations. On oublie parfois la position des populations en regardant seulement les leaders. Mais la position des leaders peut être en déphasage avec celle des populations. Et quand il y a déphasage, la réponse qui est donnée, c’est celle que nous voyons.

Comment se fait-il que le Rhdp perd dans le village natal d’Houphouët Boigny, alors qu’il se réclame de l’houphouétisme ?

Je ne sais pas si c’est la philosophie d’Houphouët qui est défendue effectivement, mais je fais des constats. Pourquoi cette philosophie d’Houphouët serait-elle à géométrie variable ? Elle est valable seulement à Yamoussoukro et elle n’est pas valable ailleurs. Je suis désolé. Il faudrait l’appliquer de façon uniforme partout. Au sein de tous les partis du Rassemblement.

Dites-nous un peu vous qui êtes député, quelle est la configuration à l’assemblée nationale au niveau des groupes parlementaires. Y a –t-il un groupe parlementaire Rhdp ?

Au niveau de l’Assemblée nationale, il n’y a pas de groupe parlementaire Rhdp. il y a un groupe parlementaire Pdci, un autre Rdr et d’autres groupes parlementaires. Et je pense que cette configuration va évoluer avec l’ouverture de la deuxième session parce qu’on ne sait pas encore s’il y a une recomposition des groupes parlementaires. Mais ce que je note après les débats que nous avons eus sur la question du groupe parlementaire Rhdp à l’Assemblée nationale, la position du Pdci est claire et non-équivoque. Il y aura un groupe parlementaire Pdci au Sénat. Donc la question ne prête plus à débat. Il y a un groupe parlementaire Pdci à l’Assemblée nationale et un groupe parlementaire Pdci au Sénat. Je pense que c’est conforme à l’idée qu’on se fait du groupement politique dans lequel nous sommes. Chacun garde son entité, son autonomie.

Mais honorable, il y a un député Pdci du nom de Félix Anoblé qui milite activement pour la mise en place du groupe parlementaire Rhdp ?

Écoutez, ce n’est pas parce qu’on est dans un parti politique, que c’est la pensée unique. Chacun garde sa liberté de pensée et d’expression. N’oubliez pas que d’un point de vue constitutionnel, le mandat du député est non impératif. Le député ne reçoit d’instruction de personne. Quand il y a une consigne du parti politique, c’est celui qui veut qui y adhère. Nous voulons rester dans le groupe parlementaire Pdci, maintenant ceux qui ne veulent pas, qu’ils partent. La porte est ouverte. De la même façon la porte restera ouverte s’ils veulent revenir. Donc on n’oblige personne à rester dans le groupe parlementaire Pdci.

Avez-vous interpellé votre direction sur les deux défaites du Rhdp à Yamoussoukro et quelle a été leur réponse ?

J’estime que nous n’avons pas à interpeller la direction. Parce que la problématique que vous posez, c’est de savoir est-ce que c’est la direction qui suit la base ou c’est la base qui suit la direction.

Pour vous c’est qui alors ?

Pour être pragmatique, c’est la direction qui doit suivre la base. Et savoir quelles sont les aspirations profondes de la base. Quand la direction est en déphasage avec la base, ça donne ce que ça donne.

Honorable est-ce que le parti unifié sera possible si déjà même au niveau des députés, la fusion n’est pas facile à se mettre en place ?

Je pense que la question du parti unifié a déjà donné la première réponse à 94% à bulletin secret. Parce que c’est de cela qu’il s’agit également. Nous sommes dans un système où les gens ont peur. Ils ont peur d’exprimer leur opinion. Quand vous mettez le cadre pour que leur opinion soit exprimée, ça donne 94% de non au parti unifié sans crainte de représailles. Et je pense que la base n’est pas favorable au parti unifié. C’est ça la réalité.

Donc vous êtes en train de demander au Pdci de suivre la voie de l’Upci à son prochain congrès ?

Nécessairement, un congrès doit entériner l’accord de principe qui a été signé.

Honorable, comment expliquez-vous cette cacophonie au Rhdp. Le président Bédié qui signe cet accord dont il dit que ce n’est pas un manifeste et que le candidat du Rhdp sera issu du Pdci en 2020. Adama Bictogo sort pour dire qu’en 2020, le candidat du Rhdp sera issu du Rdr. Aujourd’hui, vous dites que l’Upci dit non au Rhdp ?

Moi je n’écoute pas ce que disent les autres partis. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se dit au Pdci. Dans notre parti, il y a un président qui décide de la direction à prendre. Et quand il a pris la direction, c’est de savoir est-ce que les troupes suivent ou pas. Donc les troupes donneront une réponse au congrès. Donc pour moi, l’accord de principe ne prête pas à conséquence juridiquement. Par contre, la décision de signer un accord politique, prête à conséquence politique par rapport à la base. Parce que quand j’ai vu comment les cadres avaient du mal à cerner la subtilité entre manifeste et accord politique, je me suis dit que la base pourrait moins comprendre cette subtilité. Donc d’un point de vue politique, ça prêtait à confusion au niveau de la base. Moi, en tant qu’avocat, quand j’ai regardé l’accord qui a été signé, ça ne prêtait pas à conséquence au niveau du parti.

C’est-à-dire ?

Mais parce que ce n’est qu’un accord politique. Ce n’est qu’un accord politique de principe! Même si on est président de parti et qu’on le signe, cela doit être ratifié par le congrès.

D’autres militants estiment que vu que l’accord n’a pas été paraphé par la présidente du Rdr, mais plutôt par le président d’honneur du Rdr, ils ne se sentent pas engagés par cela. Alors juridiquement qu’en pensez-vous ?

Alors c’est un peu la situation dans laquelle on se trouve aujourd’hui avec la réponse que l’Upci a donnée. Il y a un accord politique qui est signé. Que vous soyez mandaté ou pas, les organes qui sont habilités à prendre cette décision-là, vont soit ratifier, soit ne pas ratifier. Donc aujourd’hui, il appartiendra au Rdr de donner une réponse à cela à son congrès du 5 mai (ndlr, le oui l’a emporté) en disant par exemple que nous n’avons pas mandaté le président de la république pour signer un tel document, on ne le ratifie pas. ou alors, on ratifie ce qui a été fait parce qu’on est en phase avec ce qui a été signé. Je crois que c’est le congrès au final qui a le dernier mot.

Vous faites allusion à la base. Quelle image veut-on donner à la Côte d’Ivoire quand le président Bédié signe sans consulter la base, le président de l’Upci signe sans consulter également sa base ?

Ce qu’il faut savoir c’est que les présidents de partis politiques, ont quand même l’obligation d’indiquer la direction dans laquelle ils veulent partir et envoyer leurs militants. Mais ce n’est qu’une indication. Parce que la décision finale appartient à la base et au congrès. Donc pour moi, c’est cohérent.

Pour revenir au congrès, en 2012 le Pdci à travers son congrès a décidé de présenter un candidat à la présidentielle de 2015. Cependant, cette décision n’a pas été mise en application. Donc on se demande ce que vaut une décision du congrès face à la réalité du terrain politique ?

Je vous réponds que nous sommes en 2018 et les choses ont évolué depuis. Je ne vous dis pas le nombre de majeurs qu’il y a eu depuis ces quatre dernières années. En plus, je n’étais pas élu à cette époque. Je parle de 2018. Ce qui s’est fait par le passé, c’est le passé. Aujourd’hui nous sommes en 2018. Et je ne pense pas ces choses-là puissent se reproduire aujourd’hui.

Est-ce que le Pdci se sent trahi par l’allié qu’il a soutenu depuis 2010?

Mais il n’y a pas de trahison ! C’est comme dans une association, un mariage, quand vous n’êtes pas satisfait, mais vous partez ! Il n’y a pas de trahison là.

Mais le Pdci soutient que c’est son tour parce qu’en 2010 et 2015 il a soutenu Ouattara. Et que c’est son tour d’être soutenu par le Rdr en 2020 ?

Je n’y étais pas en 2010 et 2015, donc je ne sais pas ce qui a été dit en son temps. Mais ce que je note, c’est qu’il n’y a pas d’accord sur ce point. Et le président Bédié lui-même, a dit que les discussions avec nos partenaires continuent. La question c’est de savoir jusqu’à quel point, on va constater ce désaccord-là et dire qu’il y a rupture des négociations.

Honorable, je veux revenir sur la signature du document par tous les partis. Au niveau du Rdr, est-il juridiquement faisable que le président d’honneur signe cet accord à la place du président de ce parti ?

Je ne répondrai pas à cette question. Parce que cela regarde le Rdr. Moi, personnellement j’estime que je n’ai pas d’opinion politique sur la question. Si le Rdr ne trouve rien à redire sur le fait que le président de la république signe à la place du président du Rdr, c’est qu’ils sont confortables avec cela.

Qui est Kouassi Kouamé Patrice pour réussir l’exploit de battre le candidat du Rhdp aux législatives dernières ?

Je suis un inconnu indépendant et je pense que c’est ce qui plait aux populations. Parce qu’à un moment donné, vous savez, la démocratie aussi c’est l’alternance. C’est le changement ! Ce n’est pas que ça remet en cause vos compétences, vos qualités. Mais à un moment donné, la population a besoin de changement en fait. Quand en plus de cela et pas seulement à Yamoussoukro, les élus avaient l’habitude de surfer sur leur adoubement par les politiques et estimaient qu’ils avaient la garantie, entre guillemets d’être élus, ils se souciaient très peu de la population. Il y avait des moments où ils ne voyaient les populations que seulement au moment des élections. Donc ce sont les seuls moments véritablement où il y avait l’interaction avec la population. Aujourd’hui, celle-ci a atteint une maturité. Parce qu’également il y a des jeunes majeurs de plus en plus, des intellectuels qui arrivent à comprendre la nuance des choses et qui ne considèrent plus aujourd’hui la consigne de vote des partis politiques. Ils se font eux-mêmes leurs propres convictions et en fonction de leurs convictions, ils choisissent qui ils élisent ou pas.

Vous vous êtes senti appelé pour défendre une certaine cause ?

Je ne le dirai pas ainsi. Ce n’est pas un sacerdoce que de venir en politique. Le constat que j’ai fait est très simple. Dans toutes les régions de Côte d’Ivoire, vous savez en général, les gens qui ont réussi ne s’intéressent pas à la politique. Les cadres que vous allez voir, en général, ils font la politique de salon. Ils sont très forts pour critiquer mais jamais de propositions. Alors, quand j’ai regardé cela, j’ai dit mais je ne suis pas moins bon que ceux qui sont là. Pourquoi est-ce que je ne m’intéresserais à pas à la gestion de la chose publique en étant candidat ? Et comment vous voulez changer les choses si on ne mouille pas le maillot et si on n’est pas sur le terrain. Il n’y a que comme ça qu’on change les choses. Ce sont les hommes qui changent les choses. Si vous voulez changer les choses, il faut vous impliquer.

Mais qu’est-ce qui a fait la différence face à certains qualifiés de dinosaures à cette élection ? Parce que la première fois, vous avez perdu et la seconde fois, vous parvenez à battre le candidat du Rhdp ?

C’est déjà la jeunesse de l’électorat qui est sensible aux discours des jeunes que nous sommes. Ensuite, je me suis présenté la première fois à l’élection seulement trois mois avant l’élection elle-même. Trois mois de campagne, pour moi c’était une tribune qu’il ne fallait pas rater parce que c’était l’opportunité de se faire connaître. Donc, j’en ai profité, même si je ne me faisais pas d’illusions sur le résultat. Mais le résultat que j’ai obtenu n’était pas si mal et ça m’a encouragé à continuer. Après cette élection je me suis mis au travail. La première fois, je n’ai eu que trois mois pour me préparer mais la seconde fois, j’ai eu cinq ans pour me préparer. Donc le résultat, c’est celui d’un travail de cinq ans.

Pourquoi vous vous êtes présenté en indépendant ?

Parce que pour moi, c’est une aberration qu’on parle de Rhdp à Yamoussoukro. Et c’est une question de cohérence pour moi et qui doit s’étendre à tous les partis politiques sur toute l’étendue du territoire national. Il n’est pas normal qu’on me parle de Rhdp à Yamoussoukro avec des mixtes de partis politiques et qu’ailleurs, il n’y ait pas de mixtes de partis politiques, même si l’habillage est Rhdp.

Monsieur le député, ça a commencé avec les législatives, jusqu’où êtes-vous prêt à aller ? Est-ce qu’il y a d’autres challenges auxquels vous voulez prendre part ?

Le challenge, c’est tous les postes électifs. Tous les postes électifs, mais pas en cumulatif. Parce que je ne suis pas dans cette dynamique-là. Quand je dis tous les postes électifs, cela concerne la fonction de député, de maire, de président de conseil régional et de président de la République. Il y a une différence significative aujourd’hui; c’est qu’avant quand vous demandez à un jeune qui est-ce qu’il voit qui pourrait être candidat à la présidentielle, il regarde au-dessus de lui pour voir quel grand-frère, oncle, papa pouvait y prétendre. Nous ne sommes plus à ce stade. Aujourd’hui, nous considérons que nous sommes la jeunesse, nous sommes les jeunes qui pouvons prétendre être élus président de la république, maires, députés ou président de conseil régional. Nous avons toutes les compétences et qualités pour être candidats à des postes électifs à tous les niveaux.

Quels sont vos rapports avec les «anciens» à Yamoussoukro la capitale politique ? Est-ce que Kkp gêne les grands noms?

Je rectifie quelque chose, c’est que Yamoussoukro n’est pas la capitale politique de la Côte d’Ivoire. Elle est la capitale de la Côte d’Ivoire selon la loi de 1983. Ici c’est un gros village, on est plus ou moins tous parentés, donc on a des relations de famille. Les grands noms dont vous parlez, ce sont soit des oncles, soit des cousins, donc on a des relations les plus cordiales. En ce qui me concerne, je n’ai pas grand problème avec les anciens, les jeunes, les femmes etc.

Interview réalisée par Y G