Francophonie: Pour Alain Mabanckou, la langue française est la langue de la dictature
Par LE FIGARO - Pour Alain Mabanckou, la langue française est la langue de la dictature.
L'écrivain franco-congolais est revenu sur son refus de participer au projet francophone d'Emmanuel Macron sur France Inter. Pour lui, « la francophonie est la continuation de la politique étrangère de la France», telle qu'elle était du temps des colonies.
«La Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies.» C'était en janvier dernier. Alain Mabanckou prenait la plume pour expliquer son refus de participer au projet francophone d'Emmanuel Macron.
Sept mois plus tard, l'écrivain, auréolé du prix Renaudot 2006, est toujours aussi pugnace. Invité à l'antenne de France Inter pour parler de son douzième roman Les Cigognes sont immortelles, (Seuil), il a défendu une vision plurielle de la langue française avant de dénoncer la politique internationale de la France.
Comme toujours chez Alain Mabanckou, l'écriture est politique. Comme toujours aussi, elle est un moyen romancé d'éclairer la réalité et a fortiori l'Histoire. Les Cigognes sont immortelles, fresque du colonialisme et de la décolonisation, ne fait pas exception.
L'œuvre permet non seulement de revenir avec «humour» et «ironie» sur «les rapports entre la France et l'Afrique [qui] n'ont jamais été discutés de façon apaisée» mais elle est une manière pour l'auteur de faire parler son héritage linguistique. «Ce que je revendique dans ma langue française, c'est l'accent congolais. Lorsque j'écris, même mes silences ont des accents», explique l'auteur.
Alain Mabanckou, ce n'est pas du «Houellebecq»
La langue française une et unique est un mythe, souffle Mabanckou. «Quand j'écris dans la langue française, tout le monde sait bien que ce n'est pas Houellebecq qui est en train d'écrire, ou Foenkinos. On sait que c'est un Congolais qui est en train d'écrire la langue de Voltaire, de Kourouma et de Sony Labou Tansi», indique l'auteur. Et de préciser: «La variété des accents fait que la langue française redonne des espoirs a tous ceux qui en ont perdu.» Car, il n'est pas de ceux à avoir oublié le passé et l'histoire francophone de son pays.
France Inter
✔
@franceinter
.@AMabanckou : "La langue française c'est la langue de la dictature" #le79inter
08:36 - 27 août 2018
«Le Congo est un pays dans lequel un président de la République est là depuis 32 ans, sous le regard satisfait de la France», explique Alain Mabanckou. Et ce rapport-là, l'auteur -qui est aujourd'hui interdit de séjour en son pays natal pour avoir critiqué la politique du président Denis Sassou-Nguesso- ne le supporte pas.
C'est d'ailleurs à cause de cette vision qu'il explique avoir refusé de collaborer au projet d'Emmanuel Macron. «On me demande d'être celui qui va travailler à la rénovation de la francophonie et de la langue française. Mais c'est une aberration», s'insurge l'écrivain. «Ça fait 16 ans que j'enseigne le français aux États-Unis pendant que ceux qui donnent des leçons en France dorment, regardent la télé.»
Alain Mabanckou fustige les biens penseurs et les moralistes. Mais pas seulement. «L'organisation internationale de la francophonie (OIF) est dirigée par un ou une secrétaire qui est élu par l'ensemble des membres qui constituent la francophonie. Parmi ses membres, il y a des pays africains. Et parmi ses pays, plus de 80 % sont des pays de dictature», s'étrangle l'auteur qui ne dément pas l'affirmation, discutable, du journaliste Nicolas Demorand: «La langue française, c'est la langue de la dictature.»
Pas question donc de baisser la voix. Et en l'occurrence ici, le stylo. «Quand on lit Les cigognes sont immortelles, [on lit] cette sorte de combat que je mène contre la post-colonie», explique Alain Mabanckou. Conscient de l'histoire de son pays, l'auteur veut mettre fin à la francophonie, «continuation de la politique étrangère de la France par une voie détournée» et appelle pour «une francophonie des peuples».
Alice Develey