FOOTBALL: BECKHAM SIGNE AU PSG

Le 01 février 2013 par Lemonde.fr - Beckham, la cerise sur le mercato.

Il y a une douzaine d'années, la FIFA avait lancé le chantier d'une vaste réforme des transferts [1]. Le projet, ambitieux, voulait par exemple imposer l'indexation des indemnités de transferts à des critères fixes (durée restante du contrat, montant du salaire, âge du joueur...), mais n'avait abouti qu'à un compromis modeste [2], qui n'allait évidemment pas enrayer, ni même ralentir, la course aux armements.
Entre autres choses, le projet prévoyait de transformer le "mercato d'hiver" en simple période d'ajustement réservée à des joueurs dans l'impasse et des clubs dans l'embarras. On mesure aujourd'hui à quel point cette idée est restée lettre morte, plus particulièrement en ce lendemain de clôture de la fenêtre des transferts 2013: même si le marché n'est pas complètement sorti de son atonie pour cause de crise persistante et qu'il a concerné peu de joueurs de très haut niveau, on a bien vu que les mouvements n'ont pas manqué, quels qu'en soient les motifs.
SOLDES SUR LES JOUEURS
En Ligue 1 en particulier, c'est une soixantaine de joueurs qui a plié bagage pour rejoindre un autre effectif, alimentant le diagnostic d'une "hémorragie" subie par nos clubs. Encore faut-il pondérer par le fait, d'une part qu'une majorité de ces transactions concernent des prêts ou retours de prêt et des joueurs en fin de contrat, d'autre part que près de la moitié de ces mouvements se font vers d'autres clubs français.
Il reste que ces derniers se trouvent clairement dans l'obligation de "dégraisser" pour tenter d'équilibrer leurs comptes, soit en vendant des joueurs [3], soit en allégeant leur masse salariale avec les prêts et les fins de contrat amiables – quitte à compromettre directement leurs chances sportives. Certains flux témoignent du dérèglement et des déséquilibres actuels du marché, comme la francophilie quasiment irrationnelle du Newcastle FC: car si beaucoup de championnats européens souffrent, la Premier League conserve (malgré son endettement et à la faveur de nouveaux contrats records pour les droits de diffusion) une capacité d'investissement qui lui confère une véritable hégémonie économique. On voit donc des joueurs quitter des places fortes françaises pour des formations de milieu ou de fin de tableau anglais – ce qui renvoie à la question des motivations des joueurs (lire aussi "Culbute contre son camp").
On va donc une nouvelle fois s'interroger sur l'(éternel) affaiblissement du football français, sans se demander si l'émergence continue de jeunes joueurs formés en France ne compense pas en partie les départs, ni si la préservation de la santé financière des clubs n'est pas un objectif viable à moyen terme.
"L'EXCITATION" BECKHAM
Dans ce tableau, ou plutôt à côté, figure le cas très particulier du PSG, qui "donne" des joueurs de haut niveau, recrute le seul Lucas Moura pour 40 millions d'euros (les autres clubs n'ont vendu que pour 27,5 millions d'euros, et acheté pour 5), et s'offre la venue de David Beckham en une sorte de remake réussi du fiasco d'il y a un an(lire "Leurre de Beckham").

L'intérêt sportif assez mince du recrutement d'un joueur de bientôt trente-huit ans, certes d'un grand professionnalisme et d'une excellente mentalité, pour rejoindre un effectif aussi relevé, laisse peu de doutes sur ce qui relève d'une opération de communication et de marketing – derniers doutes levés par le "don" du salaire de Beckham à des associations caritatives (la charité plutôt que la fiscalité, une politique fort ancienne au sein des aristocraties).
Les dirigeants du PSG ne se contentent pas de créer une équipe du top niveau européen, ils achètent aussi de la notoriété et du potentiel commercial avec leur politique de l'étiquette. Ils font évoluer l'image du club lui-même en le dotant d'une figure positive, et font efficacement diversion au terme d'une semaine commencée avec l'enquête de France Football sur les conditions douteuses d'attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar... Nous voici vite replongés dans le rêve "plus grand" que promet le slogan officiel du club. Le joueur anglais, lui, s'est dit "excited" à au moins dix reprises au cours de ce jeudi.
VEDETTES À LOUER
En ce 1er février, on constate en tout cas que, même si le mercenariat des joueurs est communément dénoncé, personne ne trouve rien à redire au principe même du mercato d'hiver et à l'utilisation qui en est faite, très loin ce que la FIFA visa jadis. Personne ne trouve anormal que les équipes connaissent de tels remaniements en plein milieu de la saison, au détriment de l'équité et de la cohérence des compétitions, ni que tant de joueurs soient sollicités alors que le championnat est en cours et que certains portent deux maillots (parfois rivaux) au cours d'un même exercice.
La même indifférence accueille la manifestation la plus extrême de la versatilité des footballeurs: les piges de quelques semaines ou quelques mois que viennent effectuer certaines stars vieillissantes dans des clubs prestigieux. Thierry Henry à Arsenal et David Beckham à l'AC Milan avaient, à deux reprises chacun, fait figure de précurseurs, imités cette saison par Nicolas Anelka (vers la Juventus) ou... David Beckham, vers Paris donc. Il s'agit peut-être d'un épiphénomène, mais il n'en est pas moins significatif. Seuls les clubs les plus riches peuvent se permettre de s'offrir des pigistes de luxe et des remaniements en profondeur: dans ce cas comme dans les autres, la dérégulation leur profite.
Surtout, sur le fond, ces tours de piste donnent au football une allure de cirque dans lequel des vedettes viennent faire leur numéro, d'abord pour leur propre profit. Plutôt que de faire pour l'honneur et le plaisir un dernier round dans l'OM de son cœur, Didier Drogba quitte le Shanghai Shenhua pour Galatasaray et pour une prime à la signature annoncée à 4 millions d'euros.
Le goût des supporters et des médias pour les périodes de transferts (lire "L’appel des transferts") explique peut-être, en partie, l'apathie ou le fatalisme ambiants. Les absurdités du mercato d'hiver confirment en tout le déplacement du spectacle footballistique, dont une partie seulement se déroule sur les terrains, scène souvent secondaire du grand carnaval médiatique. Après cela, allez défendre l'idée qu'il est urgent de redonner un peu de sens sportif au football.

par Jérôme Latta

NB : Le titre est de la rédaction