Face au président ivoirien Alassane Ouattara: le «silence assourdissant» d'Emmanuel Macron

Par Liberation.fr - Face au président ivoirien Alassane Ouattara, le «silence assourdissant» d'Emmanuel Macron.

Alassane Ouattara, le 7 août à Abidjan. Photo Sia Kambou. AFP.

Le président ivoirien, qui brigue un troisième mandat controversé, était ce vendredi en visite à Paris. Ses opposants dénoncent un «coup d'Etat institutionnel» et reprochent au chef de l'Etat français de ne pas s'exprimer sur cette candidature.

En célébrant le 150e anniversaire de la République française quelques heures avant sa rencontre avec Alassane Ouattara, Emmanuel Macron a-t-il envoyé un message subliminal à son homologue ivoirien ? Après avoir insisté sur l’importance de la citoyenneté et des droits qui l’accompagnent, le président français a déjeuné avec le chef de l’Etat ivoirien, briguant un troisième mandat controversé lors de l’élection du 31 octobre prochain.

L’annonce de sa candidature, début août, a provoqué des manifestations sporadiques à travers le pays, ayant fait au moins une quinzaine de morts. «Nous nous sommes réjouis de nos convergences de vues sur la situation économique et politique en Côte-d’Ivoire, notamment l’élection présidentielle dans un climat de paix», a réagi Alassane Ouattara sur Twitter juste après la rencontre.
Partenaire commercial et militaire

La participation au scrutin du président sortant, âgé de 78 ans, élu en 2010 puis réélu en 2015, est jugée anticonstitutionnelle par l’opposition et une partie de la population. En mars, Ouattara avait annoncé solennellement qu’il ne se représenterait pas, afin de «transférer le pouvoir à une jeune génération». Emmanuel Macron avait alors salué une «décision historique», estimant que son homologue avait fait preuve d’exemplarité.

Mais le décès soudain de son dauphin, le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, âgé de 61 ans, a rebattu les cartes d’une élection à haut risque. C’est dans ce contexte «exceptionnel», créant une «situation d’urgence», qu’Alassane Ouattara a finalement décidé de revenir dans la course. Ce revirement semble aujourd’hui mettre Paris, qui se passerait volontiers d’une nouvelle crise électorale en Côte-d’Ivoire, dans l’embarras.

La relation entre les deux pays est basée sur des «liens historiques et d’amitiés», comme l’avait rappelé Emmanuel Macron lors d’une visite en décembre 2019. Signe de la profondeur de ces liens, le président français avait fait d’Abidjan l’une de ses premières destinations sur le continent africain après son arrivée à l’Elysée.

Sur le plan économique, la Côte-d’Ivoire est le premier partenaire commercial de Paris au sein de la zone franc CFA et le deuxième en Afrique subsaharienne. Du côté militaire, les forces françaises bénéficient d’un statut de force de présence et constituent l’une des deux bases opérationnelles avancées en Afrique, à l’heure où la Côte-d’Ivoire fait face à la menace jihadiste.
«Oripeaux» de la Françafrique

Malgré les polémiques, «Paris va sans doute choisir la neutralité en adoptant un ton très précautionneux et en se montrant courtois mais pas complaisant», analyse le politologue Franck Hermann Ekra. Un difficile jeu d’équilibriste, d’autant que l’opposition multiplie les demandes à Emmanuel Macron d’éclaircir sa position sur la candidature de Ouattara.

Dans une lettre ouverte, le candidat du Front populaire ivoirien (FPI), Pascal Affi N’Guessan, dénonçait le 2 septembre un coup d’Etat institutionnel : «Votre parole est très attendue. En ne cautionnant pas ce coup de force institutionnel, en exigeant des élections transparentes et inclusives, vous serez fidèles aux valeurs démocratiques issues des Lumières dont la France est porteuse», écrit-il.

Quelques jours plus tôt, l’ex-Premier ministre Guillaume Soro, candidat à la présidentielle malgré son exil à Paris et une condamnation par la justice ivoirienne, dénonçait le «silence assourdissant» de la France sur la situation en Côte-d’Ivoire.

Pendant ce temps, plusieurs ministres appartenant à la mouvance présidentielle ont fait le déplacement à Paris pour défendre la candidature d’Alassane Ouattara auprès de quelques médias français. Un air de campagne présidentielle ivoirienne dans l’Hexagone alors qu’Emmanuel Macron cherche à se débarrasser des «vestiges» et des «oripeaux» de la Françafrique.

«Il devra assumer le passé de la relation entre les deux pays et ne pourra s'abriter derrière une apparente neutralité, explique Franck Hermann Ekra. Quoi qu’il fasse, on lui reprochera sa position d’ingérence.»

Léa Masseguin

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