Du rattrapage ethnique au rattrapage régional: Ouattara réveille les vieux démons

Par Notre Voie - Du rattrapage ethnique au rattrapage régional: Ouattara réveille les démons du rattrapage ethnique et régional.

« Le chef de l’Etat dénonce l’injustice faite au nord ». C’est le titre d’un article publié par le quotidien Nord-Sud hier en sa page 2. « Le nord n’a pas eu sa part de rétribution national », a martelé Alassane Ouattara à Ouangolo, selon l’envoyé spécial du journal pro-Soro, qui couvre la visite d’Etat dans le nord du pays. Pour M. Ouattara, il faut donc au nord « un léger plus pour rattraper le retard qui est visible, réel et concret ». « Donc je suis venu vous dire que j’ai de grandes ambitions pour le district des savanes. Nous avons commencé et nous irons plus loin », a-t-il promis.
Ainsi donc, du rattrapage ethnique dans les nominations dans l’administration publique et les sociétés d’Etat, Ouattara passe allègrement au rattrapage régional dans les investissements publics. De fait, il s’est engagé à investir massivement dans le nord au détriment des autres régions du pays sous le fallacieux prétexte de rattraper un retard imaginaire.
Assurément, il y a chez le président du rassemblement des républicains (Rdr), une irrésistible tentation ethno-régionaliste qui a fait tant de mal à la Côte d’Ivoire ces vingt dernières années. Visiblement, M. Ouattara a du mal à se démarquer des questions aussi sensibles que celles liées à l’ethnie, à la tribu et même à la religion.
Depuis la fameuse « charte du nord » dont la responsabilité avait été attribuée à l’artiste Alpha Blondy, jusqu’à la naissance de la rébellion de 2002 en passant par la création du Rdr en 1994, il apparaît clairement que M. Ouattara a choisi son terrain de prédilection : opposer le nord aux autres régions de Côte d’Ivoire pour mieux se positionner dans le rôle de « redresseur » de tort des nordistes.
Mais, peut-on vraiment se réclamer de l’houphouétisme et continuer de dire que le nord n’a jamais fait l’objet d’aucune attention ? Peut-on avoir Henri Konan Bédié comme tuteur légal et dire que le nord a été abandonné par les différents régimes qui se sont succédé ? Car si on fait bien les comptes, en 53 ans d’indépendance, Houphouët et Bédié ont dirigé la Côte d’Ivoire pendant 39 ans. Et les autres (Guéi, Gbagbo et Ouattara lui-même) 14 ans. Qui donc, selon Ouattara, est-il responsable de cet abandon programmé du nord ?
Il y a quelque chose de bizarre dans l’houphouet-bédiéisme d’Alassane Ouattara. Ou bien il s’en sert juste pour en tirer des dividendes politiques ou bien il est sincèrement convaincu que cela lui servira à cacher ses vrais desseins.
Il faut bien que M. Ouattara finisse par se rendre compte que la manipulation des différences régionales et parfois même ethno-religieuses ne peut constituer une politique nationale durable.
Le nord n’est certainement pas moins développé que toutes les régions de la Côte d’Ivoire. Il suffit de voir les voies d’accès aux zones productrices de cacao, la principale de devises du pays pour s’en rendre compte. Au sud, à l’Est, à l’Ouest et au Centre, il y a des localités inaccessibles, non électrifiées, sans centre de santé ni école.
Continuer à marteler devant de pauvres paysans qui n’ont pratiquement jamais quitté leurs hameaux que c’est leur tour de bénéficier parce qu’une politique délibérée visant à les exclure du développement aurait été appliquée pendant 50 ans, n’est certainement pas la meilleure façon pour M. Ouattara de construire la paix. Au contraire, c’est la façon la plus sûre de préparer les prochains affrontements armés. Car, les exclus d’aujourd’hui sont à coup sûr les rebelles de demain. Alors, attention à la manipulation !

Augustin Kouyo

INVITATION A LA RECONCILIATION: LA GRANDE COMEDIE DEPUIS LE NORD
Du haut de sa tribune à M’Bengué, Alassane Ouattara a invité à la réconciliation. Dans les villes du nord qu’il parcourt actuellement pour faire sa campagne électorale, il évoque, dans son discours, la réconciliation des Ivoiriens. Mais, étant au nord de la Côte d’Ivoire, quelle est la crédibilité de cette exhortation à la réconciliation ? On le sait tous, le nord du pays est érigé en lieu de détention des prisonniers politiques. Korhogo, Boundiali, Odienné, Séguéla, Katiola et Bouna sont des villes du nord devenues célèbres parce qu’elles accueillent en masse des prisonniers politiques qui sont des partisans de Laurent Gbagbo. C’est de son isolement à Korhogo que Laurent Gbagbo a été déporté à La Haye. Et, depuis avril 2011, les villes de Korhogo et Boundiali comptent de nombreux prisonniers. On se demande donc à qui s’adresse ce discours de Ouattara fait depuis le nord pour appeler à la réconciliation. C’est avec qui il va se réconcilier ? Avec des personnes qu’il maintient inutilement en prison ? Peut-on se réconcilier avec des gens qui se trouvent derrière les grilles d’une prison et à qui les visites sont interdites ? On ne le croit pas. Ou Alassane Ouattara invite ses parents du nord à se réconcilier avec eux-mêmes ? On ne le pense pas. Etant donné que les peuples du nord ne sont pas en conflit entre eux. Toutes les demandes de libération des prisonniers politiques ont toujours été rejetées par le chef de l’Etat. Ce dernier a tout le temps brandi la justice à toutes les personnes qui lui demandent de libérer les prisonniers politiques. Et pourtant, il pourrait accélérer le processus de réconciliation si son cœur devenait tendre pour libérer les prisonniers politiques. Mais Ouattara veut que les Ivoiriens rient, se fréquentent et s’applaudissent pendant que certains ont leurs parents en prison depuis plus de 2 ans. On ne peut pas tirer Simone Ehivet Gbagbo sous anesthésie de son lit à la Pisam pour la ramener à Odienné et voir ses parents aller à la réconciliation. Me Baï Patrice, Martin Sokouri Bohui, Bro Grébé Geneviève, Kuyo Téa Narcisse, Philippe Tacoury-Tabley et des proches collaborateurs de Laurent Gbagbo sont en prison au nord. C’est du nord que Ouattara lance son invitation à se réconcilier. Tout porte à croire qu’il joue à une comédie. Il prône la réconciliation tout en étant contre elle.

Benjamin Koré
INSTRUMENTALISATION DE LA QUESTION DES ORIGINES: IL MANIPULE ENCORE LE NORD
Au cours de sa visite d’Etat dans le District des savanes, nord du pays, qui cache mal une campagne électorale illégale, Alassane Dramane Ouattara a instrumentalisé les questions de la nationalité et des origines en brandissant maladroitement l’exemple américain. Notre analyse.
« J’ai déjà dit que je rêve d’une chose pour mon pays, c’est que chaque Ivoirien se comporte comme un Américain. Aux Etats-Unis, un Américain ne parle pas de son origine ou de son pays d’origine. Il est d’abord Américain. Je demande que tous les Ivoiriens, nous sommes d’abord Ivoiriens. Et que ce qui nous importe, c’est la Côte d’Ivoire et que la Côte d’Ivoire est au dessus de chacun d’entre nous (…) ». Ces propos sont un pan de l’intervention faite, le mercredi 3 juillet 2013, par le chef de l’Etat et candidat déclaré pour la présidentielle de 2015, Alassane Dramane Ouattara, à M’Bengué, lors de la première étape de sa visite d’Etat dans le nord du pays. Candidat en campagne électorale illégale puisque la période électorale ne s’ouvrira qu’en 2015, M. Ouattara qui veut visiblement réactiver une base électorale ethnique surfe sur la question épineuse de la nationalité ivoirienne et des origines des habitants de la Côte d’Ivoire. Devant des populations de M’Bengué et des localités environnantes qui ignorent assurément tout de la réalité américaine, Alassane Ouattara soutient qu’aux Etats-Unis, les origines importent très peu aux yeux des citoyens américains. Que seul compte pour eux leur appartenance aux Etats-Unis. Ces affirmations ont tout d’une manipulation à des fins électoralistes. D’autant qu’elles sont totalement aux antipodes de la réalité américaine.

Les Américains et leurs origines, un lien insécable

Certes, le patriotisme est une valeur sacrée aux Etats-Unis et tous ceux qui ont eu l’occasion de visiter ce pays comme nous le fîmes, il y a quelques années, peuvent en témoigner. Les Américains sont foncièrement attachés à leur pays. Mais, c’est archifaux de soutenir que la question des origines constitue une préoccupation résiduelle au pays de l’Oncle Sam. Bien au contraire, autant les Américains sont patriotes jusqu’à la moelle, autant ils brandissent partout leurs origines. On peut même affirmer sans se méprendre que les Etats-Unis sont l’un des grands pays les plus communautaristes au monde. Partout aux Etats-Unis, vous trouverez hissé sur la façade de nombreuses maisons deux drapeaux : celui des Etats-Unis et le drapeau de la République d’Irlande. Les Américains d’origine irlandaise ne cachent pas leur attachement à leur pays d’origine. Pareil pour les Américains d’origine hispanique, italienne, chinoise, anglaise etc. Face cette réalité visible et non feinte, les Américains noirs ont exigé qu’on les appelle dorénavant Africains-Américains. Pour affirmer leur attachement à leur origine, l’Afrique.
Si M. Ouattara veut donc s’inspirer de l’exemple américain, qu’il prenne plutôt celui liée à la nationalité américaine. Et à la rigueur qui sous-tend l’acquisition de cette nationalité. Une rigueur que tous les Américains respectent au nom du patriotisme. Ils sont nombreux les Américains qui, pour des raisons diverses, militent pour le changement du code de la nationalité américaine qui prône le droit du sol. Mais jamais, ils ne prendront les armes ou ne monteront une rébellion armée, comme on l’a vu en Côte d’Ivoire en 1999 puis en 2002, pour renverser les Institutions républicains américaines pour s’emparer du pouvoir par la force et imposer leur vue. Et puis jamais un chef de l’Etat américain n’osera avec son gouvernement attribuer la nationalité américaine sur des bases électoralistes et floues. Jamais ils n’oseront prendre des décisions sur cette question sensible de la nationalité sans associer le Congrès américain (constitué de la Chambre des Représentants donc des députés et du Sénat), la société civile, les partis politiques etc. C’est cela la démocratie. Qui est totalement différente de la dictature sous Ouattara. Au nom de laquelle, le gouvernement Ouattara a unilatéralement décidé d’attribuer la nationalité ivoirienne à certains ressortissants étrangers sur une simple déclaration. L’argument avancé par le régime Ouattara est l’accord de Linas-Marcoussis signé sous l’égide de la France en janvier 2003 à Paris entre certains partis politiques ivoiriens et la rébellion armée. Ni la société civile et l’Assemblée nationale, ni la majorité des partis politiques n’ont été associés à la signature de cet accord qui n’était pas, il faut le souligner, une constituante. A la recherche d’un bétail électoral en vue de la présidentielle de 2015, Alassane Dramane Ouattara manipule visiblement les populations du nord. Comme il l’avait fait dans les années 90 en soutenant qu’on ne veut pas qu’il soit candidat à la présidentielle en Côte d’Ivoire parce qu’il est musulman et ressortissant du nord. La suite, on la connait, le pays a connu un coup d’Etat et une rébellion armée.

Didier Depry didierdepri@yahoo.fr