Culture: Remember Bernard Dadié avec Fodjo Kadjo Abo et Reading is so Bookul
Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Remember Bernard Dadié avec Fodjo Kadjo Abo et Reading is so Bookul.
Bernard Dadié a remporté bien des prix littéraires dans son illustre parcours d'écrivain, mais on dit qu'en choisissant de tirer sa révérence un certain 9 mars 2019 (et pas un autre jour), il a tenu à montrer lequel de ses trophées était son favori ; le Grand Prix des Mécènes en l'occurrence, qui lui a été décerné à Yaoundé au Cameroun deux ans plus tôt, jour pour jour, un certain 9 mars 2017. Il y a des coïncidences qui peuvent être bien plus que de simples contingences. Nous sommes en Afrique, Bernard Dadié fut un patriarche, et l'on sait que c'est le propre des hommes sages de s'exprimer en paraboles ou par des signes.
Fodjo Kadjo Abo n'est certainement pas l'un des écrivains les plus chevronnés de Côte d'Ivoire, loin s'en faut peut-être ; mais d'après une source bien introduite, il est celui qui, par son engagement (discret) pour une littérature africaine dynamique, a souvent eu à encourager le Grand Prix des Mécènes, en qualité de mécène justement, notamment par des contributions individuelles. Le sage Abron, ainsi qu'on le surnomme également, est aussi l'auteur d'un ouvrage qui a fait parler de lui au Cameroun, Que ne ferait-on pas pour du pognon, finaliste du GPAL 2015 dans la catégorie Recherche, et qui ne l'avait cédé que devant l'Essai sur la sémiotique d'une civilisation en mutation du Professeur Jacques Fame Ndongo, ministre de l'Enseignement supérieur au pays de Guillaume Oyônô Mbia.
Ce n'est donc pas fortuit, si nous avons choisi de nous entretenir avec l'essayiste ivoirien Fodjo Kadjo Abo pour commémorer ce troisième anniversaire de la mort de Bernard Binlin Dadié, icône de la littérature africaine. Nous remercions ainsi notre hôte, de l'honneur qu'il nous fait en acceptant de partager avec nous quelques pensées à la mémoire de son illustre compatriote.
Reading is so Bookul : Nous savons, M. Fodjo Kadjo Abo, que vous êtes écrivain de nationalité ivoirienne, un digne fils de la tribu des Abron ; vous êtes magistrat de carrière (aujourd'hui Magistrat hors hiérarchie du groupe A, Inspecteur Général des services judiciaires et pénitentiaires) ; et vous êtes l'auteur d'une douzaine d'essais qui vous ont valu le deuxième Prix d’excellence en Littérature, un prix institué par le président de la République Alassane Ouattara, et que vous avez reçu en 2017 des mains de Monsieur le ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Kouakou Bandaman. Qu'avons-nous oublié ? Que devrions-nous ajouter, en bref, pour présenter l'écrivain Fodjo Kadjo Abo à ceux qui ne le découvrent qu'aujourd'hui ?
Fodjo Kadjo Abo : Vous avez presque tout dit en quelques mots. Il me reste juste à ajouter que je suis également chef coutumier, précisément le chef d’Adoumkrom, village du nord-est de la Côte d’Ivoire qui m’a vu naître le 1er janvier 1959, il y a de cela 63 ans. Je suis par ailleurs président de l’association des chefs traditionnels de la sous-préfecture d’Appimandoum, dans le département de Bondoukou, région du Gontougo.
Cela dit, quels souvenirs gardez-vous de Bernard Dadié, en tant qu'homme, mais aussi en tant qu'homme de Lettres ?
Je m’en voudrais de répondre à cette question sans vous avoir remercié de l’hommage que vous avez bien voulu rendre à un compatriote, à un devancier et à un père spirituel à l’occasion du troisième anniversaire de son rappel à Dieu. Il est bien vrai qu’il s’est lui-même immortalisé à travers son œuvre. Mais, pour nous qui l’avons connu et lui vouons une grande admiration, il est aussi heureux de savoir qu’au-delà des frontières de son pays, il y a des bonnes volontés qui se préoccupent de l’entretien de sa mémoire.
Je tiens à vous remercier également de l’insigne honneur que vous me faites de m’associer, à travers cette interview, à un hommage consacré à une grande figure de la trempe de Bernard Dadié.
Les souvenirs que je garde de cet homme sont sans doute ceux que beaucoup d’Ivoiriens et même d’Africains ont de lui. Il était un homme épris de justice et de liberté. Toute sa vie, il s’était battu pour le triomphe de ses idéaux. Le rôle, très actif, qu’il a joué dans la lutte pour l’émancipation des peuples africains et l’indépendance de la Côte d’Ivoire lui a valu des ennuis judiciaires en 1949. Il n’a pas pour autant renoncé à ses convictions, qu’il a défendues jusqu’à la fin de sa vie.
Appelé à divers postes de responsabilité dont celui de ministre de la Culture, il a mis ses connaissances et sa riche expérience au service de la Côte d'Ivoire.
Je garde également de Bernard Dadié le souvenir d’un homme de Lettres hors du commun. À juste titre, il est considéré comme le père de la littérature en Côte d’Ivoire. En tout cas, il demeure une référence dans ce domaine. Ses nombreuses récompenses littéraires en font foi. Depuis 1960, année des indépendances, ses livres servent de support à l’enseignement dans bien des pays de l’Afrique francophone.
L'héritage littéraire d'un grand auteur de la trempe de Bernard Dadié doit être dur à mériter et à perpétuer pour la jeune génération. Pensez-vous qu'elle est à la hauteur ? Quels conseils le sage Abron donnerait-il aux jeunes auteurs africains d'aujourd'hui ?
C’est vrai, dans le domaine de la littérature, il n’est pas facile de succéder à un grand homme de la trempe de Bernard Dadié. Comme le dit un proverbe abron, « quand un gros arbre tombe, c’est un papayer qui pousse à sa place ».
Il ne sera pas facile de remplacer cette grande figure de la littérature africaine, mais l’apparition de nouveaux talents n'est pas à exclure. A chaque époque ses artistes, ses grands hommes et son histoire. Quand je pense au parcours d’autres écrivains ivoiriens comme Amadou Kourouma, hélas parti trop tôt, j’ai des raisons d’espérer une bonne relève.
La preuve, on a de plus en plus de jeunes écrivains ivoiriens qui font parler d’eux. Je le dis en pensant par exemple à Macaire Etty, qui a lui aussi été honoré au Cameroun à la suite de son sacre au GPAL 2017 dans la catégorie Belles-Lettres, et qui du reste est l'actuel président de l’AECI (l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire) ; je pense à Armand Patrick Gbaka-Brédé, connu sous le nom de plume Gauz, qui a obtenu diverses distinctions littéraires ; je pense également à Yaya Diomandé, entre autres. Au-delà de la Côte d’Ivoire, il y a aussi du potentiel : on peut compter avec l’écrivain camerounais Eric Mendi, que certains considèrent comme un auteur singulièrement doué qui devrait marquer son temps, ou encore le Congolais Fiston Mwanza Mujila dont on a beaucoup parlé également. Je pourrais citer d’autres exemples si je ne craignais pas d’être long.
Bernard Dadié a fait des émules, dont je fais partie. Ses ouvrages continuent de meubler les rayons des librairies et de servir de supports d’enseignement dans les lycées et collèges. Il n’est donc pas exclu qu’il puisse susciter des vocations littéraires dans les jeunes générations et même les générations futures.
À ceux qui rêvent de suivre ses traces, je recommande l’esprit critique, la neutralité et le courage. La vie littéraire a des exigences qui ne s’accommodent pas de la paresse d’esprit et de la peur. Comme écrivain, Bernard Dadié s’est inspiré des problèmes, des réalités de son époque. Quand il publiait les livres qui l’ont révélé au monde, la liberté d’expression n’était pas reconnue aux Nègres. Il lui a fallu de l’audace pour le faire.
L’Afrique évolue dans un contexte riche en enseignements et en sujets de méditation. Il revient aux jeunes générations de s’en inspirer pour enrichir leur héritage littéraire.
Quelques grands titres de Bernard Dadié se sont inscrits dans la mémoire collective. On pourrait citer Climbié, ou encore Un nègre à Paris et bien d'autres. Quel est votre préféré, et pour quelle raison ?
Climbié m’a particulièrement marqué. C’est un roman que j’ai découvert très jeune, quand j’étais à l’école primaire. J’y ai trouvé des réflexions qui ont été pour moi une véritable exhortation. Je me rappelle souvent ce passage de ce livre : « Le travail, et après le travail, l’indépendance mon enfant, n’être à la charge de personne, telle doit être la devise de votre génération. Et il faut toujours fuir l’homme qui n’aime pas le travail ».
Une question de politique pour terminer (n'oublions pas que Bernard Dadié fut aussi un homme politique). Quelle lecture faites-vous de l'actualité africaine qui prévaut aujourd'hui, en votre qualité d'auteur et moraliste ? Pourrait-on dire, au regard de tout ce qui se passe à travers le Continent, qu'il y a peut-être une certaine leçon de Bernard Dadié que nous n'avons toujours pas assimilée ?
L’actualité en Afrique est marquée par la résurgence des coups d’État et le recul de la démocratie. Bien entendu, il n’y a pas d’effet sans cause. Et si l’on veut éviter les effets, il faut agir sur les causes.
Au-delà des condamnations et des mesures de coercition, qui ont montré leurs limites, les organisations régionales et sous-régionales devraient s’intéresser aux causes profondes de la résurgence de ce phénomène qui semblent aller au-delà de celles invoquées par les putschistes. Un adage ne dit-il pas qu’il vaut mieux prévenir que guérir ?
Tant que les organismes communautaires africains ne seront pas capables de diagnostiquer eux-mêmes les maux de leur continent avec objectivité et d’y apporter, sans faiblesse, les remèdes appropriés, les coups d’État auront encore de beaux jours. Bien plus, tant que les pays africains se croiront obligés de s’atteler à l’Occident pour pouvoir s’en sortir, leur indépendance restera théorique : les Occidentaux continueront à y faire la pluie et le beau temps.
Tous les pays, quels qu’ils soient, sont dans la course à la survie et au développement. Et dans une course, chacun compte avant et après tout sur ses propres forces. Nul n’est assez insensé pour donner à son adversaire les moyens de le talonner ou de le dépasser.
Nos ancêtres, pour permettre à nos pays d’accéder à la souveraineté, se sont battus, illustrant ainsi cette pensée de Bernard Dadié : « Aucun tyran, si puissant soit-il, ne peut durant des siècles opprimer tout un peuple ». Il nous revient, en nous inspirant de cette leçon, de nous battre à notre tour pour que nos jeunes États soient en mesure d’exercer cette souveraineté. Mais le faisons-nous ? De quelle combativité faisons-nous montre ?
Tout, dans nos actes, porte à croire que la finalité de nos efforts est de conduire nos pays au développement en les maintenant sous la tutelle des anciennes puissances coloniales. Tant que nous serons dans cette logique, nos États seront semblables à la liane qui veut atteindre la canopée et s’épanouir en prenant un arbre comme tuteur.
La jouissance effective de la souveraineté est un préalable au développement. Et il est illusoire de croire que les pays africains peuvent s’épanouir pleinement en se maintenant sous la tutelle des anciennes puissances coloniales. Si nous voulons que la souveraineté des pays africains ait un sens, nous devons faire nôtre la leçon de Bernard Dadié et combattre le néocolonialisme comme nos ainés ont combattu le colonialisme.
L’Europe a colonisé tous les autres continents, mais l’Afrique est le seul qui continue à s’agripper aux anciennes puissances coloniales pour assumer son destin. Le constat est que les peuples africains sont sans cesse en proie à l’insécurité et à la misère, tandis ceux des autres continents qui ont choisi d’assumer leur souveraineté et de voler de leurs propres ailes émergent. Qu’est-ce qui peut justifier que nous préférions de continuer à survivre dans la « vassalité » plutôt que d’évoluer dans l’auto-détermination ? Il y a là matière à réflexion.
Correspondance : Reading is so Bookul