COUR PÉNALE INTERNATIONALE: LE PROCÈS DE GBAGBO N’EN FINIT PLUS DE S’ENLISER

Par Humanite.fr - COUR PÉNALE INTERNATIONALE. LE PROCÈS DE GBAGBO N’EN FINIT PLUS DE S’ENLISER.

Aujourd’hui s’ouvre à La/Haye une audience cruciale pour Laurent Gbagbo, ex-chef d’état de la Côte-d’Ivoire. P. Dejong/Pool/AFP.

Rosa Moussaoui
Avec un dossier d’instruction à charge, mal ficelé, le procès de l’ex-président ivoirien tourne à la débâcle. Ses avocats plaident aujourd’hui l’acquittement.

Les hélicoptères des forces de l’opération « Licorne » viennent de tirer leurs dernières salves sur la résidence présidentielle de Cocody, qui jouxte, sur les rives de la lagune Ébrié, les quartiers de l’ambassadeur de France. Un commando des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), anciens rebelles du Nord recyclés dans l’armée du candidat Ouattara, qui vient de prendre Abidjan avec l’appui de Paris, se fraye, aux derniers crépitements des mitrailleuses, un chemin dans la poussière et la fumée.

Dans la ville aux mains des com’ zone (1), qui pillent, tuent et font régner la loi du plus fort, c’est la stupeur. L’un de ces seigneurs de guerre fait exploser une serrure à la mitraillette. Pour les besoins de la propagande, une équipe de télévision française accompagne les « vainqueurs » dans leur traque, jusque dans les sous-sols de la résidence présidentielle. À Laurent Gbagbo, hagard, les hommes en treillis enfilent sans ménagement un casque et un gilet pare-balles. Son épouse, Simone, n’aura pas le droit à cette attention : elle est frappée, insultée. Au même moment, la presse parisienne brosse d’elle le portrait cruel d’une Messaline des tropiques, d’une « sorcière » assoiffée de sang – misère de l’imaginaire colonialiste !

Un climat de violation généralisée des droits humains

Le couple est traîné dehors, exhibé sous l’œil des caméras comme un trophée, avant d’être conduit à quelques encablures, à l’hôtel du Golfe, où le nouveau maître d’Abidjan, Alassane Ouattara, a installé son quartier général. Là, les captifs sont encore filmés, dans une mise en scène sordide, dominée par la volonté d’humiliation.

Ce 11 avril 2011, au terme d’une crise postélectorale qui a fait, selon l’ONU, plus de 3 000 morts, s’enclenche une mécanique redoutable, celle d’une « justice des vainqueurs » parrainée sans complexe par l’ex-puissance coloniale. À l’origine de graves crimes de guerre, comme le massacre de Duékoué, qui a fait plusieurs centaines de morts, les alliés d’Alassane Ouattara échapperont à toutes les poursuites de la justice, ivoirienne ou internationale.

Le camp Gbagbo, au contraire, paie seul l’addition de cette crise politique, avec des centaines de personnes arrêtées et incarcérées, selon les termes d’Amnesty International, « en raison de leurs affiliations politiques ou de leur appartenance ethnique », dans un climat de violation généralisée des droits humains. Jusqu’à la surprenante ordonnance présidentielle qui amnistiait, cet été, quelque 800 prisonniers politiques… dont Simone Gbagbo. Symptôme d’une machine de revanche politique désormais grippée.

Aujourd’hui s’ouvre à La Haye une audience cruciale pour Laurent Gbagbo, seul ancien chef d’État jugé par la Cour pénale internationale (CPI), devant laquelle n’ont comparu, en vingt ans, que des Africains (26 affaires, pour la plupart toujours en phase de procès, 32 mandats d’arrêt dont 15 ont été exécutés, 6 prisonniers, 1 condamné). Jugé depuis plus de deux ans, l’ex-président ivoirien demande, après sept ans de détention, son acquittement. Avec Charles Blé Goudé, l’ancien chef des Jeunes patriotes, il est accusé de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains. Les deux affaires ont été jointes en 2015 ; les deux accusés plaident non coupables.

Il faut dire que ce procès très politique tourne depuis longtemps déjà à la débâcle judiciaire, entre les carences de l’instruction à charge orchestrée par la procureure Fatou Bensouda, les témoins cités par l’accusation qui se défilent ou confortent finalement le récit de la défense, la mise en lumière des manœuvres interlopes de la France pour installer Ouattara au pouvoir et faire expédier à tout prix Gbagbo à La Haye, quitte à prendre des libertés avec la légalité.

Aucune preuve « susceptible de justifier une condamnation »

Le dossier, depuis le début, est si fragile que, en 2013, les juges de la CPI avaient refusé de mettre en accusation l’ex-président ivoirien, demandant à la procureure de produire des preuves dignes de ce nom et de donner davantage de corps à ses accusations.

Elle était revenue devant eux quelques mois plus tard, avec un dossier à peine plus étayé. Devant cette accusation qui n’en finit plus de s’enliser, le défenseur de Laurent Gbagbo, Me Emmanuel Altit, n’hésite pas à fustiger une enquête « approximative », qui n’aboutit à rien de « concluant ».

Conséquence, avant même la clôture officielle de l’accusation le 1er juin et sans citer de nouveaux témoins à décharge, les avocats de la défense demandaient, au printemps, l’autorisation de plaider sans tarder l’acquittement, aucune preuve « susceptible de justifier une condamnation » n’ayant été produite au cours de ce procès. Requête acceptée par les juges, qui demandent à la défense de présenter « des observations concises et ciblées sur les questions de fait précises pour lesquelles, à leur avis, la preuve présentée est insuffisante pour justifier une déclaration de culpabilité et à l’égard de laquelle, par conséquent, un jugement d’acquittement total ou partiel serait justifié ».

Gbagbo sera-t-il finalement acquitté et libéré ? Un tel précédent existe. Il y a deux ans, la CPI mettait fin aux poursuites contre le vice-président kényan William Ruto, les juges estimant insuffisants les éléments de preuve présentés par la procureure pour poursuivre le procès. Dans l’affaire Gbagbo, un tel épilogue porterait un nouveau coup dur à la crédibilité de la justice internationale et ferait, sur le plan politique, l’effet d’un coup de tonnerre, bien au-delà des frontières de la Côte d’Ivoire…

(1) « Commandants de zones » des Forces nouvelles, mouvement rebelle créé en 2002 au nord du pays.

Rosa Moussaoui

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