Côte d’Ivoire: Le pouvoir ne se donne pas sur un plateau d’argent, Par Jean Claude Djereke

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Le pouvoir ne se donne pas sur un plateau d’argent, Par Jean Claude Djereke.

Jean-Claude DJEREKE.

Fin octobre 2020, lorsque la journaliste Denise Djengué Epoté de “TV5 Monde” fait remarquer que Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo sont sur le devant de la scène politique depuis 1999 et que la jeunesse souhaite qu’ils laissent la place à une nouvelle génération, l’ancien prisonnier de la Cour pénale internationale répond : “La jeunesse ne dit rien du tout. Ce sont les autres qui parlent pour notre jeunesse. Moi, j’ai été en prison une décennie et la vie a continué. Et elle peut bien continuer sans nous.”

Certains acteurs politiques refusent que la vie politique ivoirienne continue sans eux ; ils veulent participer aux législatives du 6 mars 2021 alors qu’ils ont plus de 70 ans et qu’ils ont déjà siégé au Parlement.

Des voix discordantes rétorquent qu’il est temps de faire confiance aux jeunes non seulement parce que ces derniers ont mouillé le maillot pour l’implantation et la victoire de leurs partis respectifs mais aussi parce qu’ils ont payé cher leur engagement politique, à l’image de Gnamien Parfait Anicet (PDCI), Dahi Nestor et Koua Justin (FPI) arrêtés et embastillés par le régime Ouattara pour des raisons différentes.

En d’autres termes, ceux qui militent pour la promotion et la responsabilisation de la jeunesse sont offusqués que Dahi Nestor et d’autres valeureux jeunes du FPI ne figurent pas parmi les candidats aux prochaines élections législatives et se demandent si un certain nombre de jeunes, frustrés d’avoir été mal récompensés pour le travail accompli, ne risquent pas de “s’allier au diable” comme Kouadio Konan Bertin nommé ministre de la Réconciliation après avoir accompagné Ouattara à l’élection du 31 octobre 2020, élection qui fut boycottée par la grande majorité des Ivoiriens et à laquelle le candidat du RHDP n’avait pas le droit de participer.

On peut s’étonner que certaines personnes peinent à souscrire à l’idée que le maître qui n’a pas échoué est celui qui a passé le témoin à son disciple après lui avoir donné la formation dont il a besoin pour bien accomplir la tâche qui l’attend ; on peut regretter que la plupart des formations politiques ivoiriennes rechignent à faire leur aggiornamento et à faire appel à des compétences plus jeunes, ce qui les prive d’un dynamisme certain ;

on peut ne pas apprécier le fait que les jeunes y soient réduits à coller les affiches, à placer bâches et chaises pour les meetings et conférences de presse ; on peut admettre que jeunesse ne rime pas forcément avec efficacité, intégrité morale et volonté de voir l’Afrique prendre son destin en main mais nos trentenaires et quadragénaires n’arriveront jamais au pouvoir s’ils se complaisent dans leur posture de “bons petits”, s’ils attendent que les anciens leur donnent le pouvoir sur un plateau d’argent.

Ce qu’ils doivent comprendre, c’est que le pouvoir ne s’octroie pas mais s’arrache. Jerry Rawlings, Thomas Sankara, Laurent Gbagbo, Emmanuel Macron et d’autres l’ont arraché en creusant leur sillon, en se dressant contre leurs aînés à qui ils reprochaient de mener une politique qui ne réponde pas aux attentes des populations. Mieux encore, ces esprits libres, qui voyaient grand et loin pour leurs pays, ne mâchaient pas leurs mots.

Les Ghanéens, qui suivirent le procès public de Jerry Rawlings, ne peuvent pas avoir oublié le discours historique que prononça Rawlings en 1979 et dans lequel il disait ceci : “Les officiers supérieurs, les politiciens, les hommes d'affaires et les criminels étrangers se sont servis de notre sang, de nos sueurs et de nos larmes, bref, de notre travail pour s’enrichir et se noyer dans le vin, dans le sexe. Pendant ce temps, vous, moi, la majorité, nous luttions quotidiennement pour survivre.

Moi, je sais ce que c'est que d’aller au lit avec un mal de tête provoqué par un ventre vide. Je préviens ceux qui s'aviseraient d’aider les goinfres qui nous exploitent à fuir qu'ils paieront pour eux. Ils seront jugés, châtiés pour les privations qu’ils ont imposées au peuple.” Quant au capitaine Thomas Sankara, sa sévère mise en garde adressée en direct à la télévision au gouvernement du colonel Saye Zerbo le 21 avril 1982 après qu’il eut démissionné de son poste de secrétaire d'État à l'Information en réaction à la suppression du droit de grève (“Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple !”) restera longtemps gravée dans les mémoires.

Rawlings et Sankara savaient qu’ils couraient de grands risques en s’exprimant de la sorte. Ils n’ignoraient pas qu’ils pouvaient être dégradés ou condamnés à mort mais, pour eux, le jeu en valait la chandelle. En critiquant la façon dont Houphouët dirigeait la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo était conscient, lui aussi, qu’il mettait sa vie en danger. Il dut effectivement s’exiler en France en 1982.

Revenu en Côte d’Ivoire en 1988, alors qu’on le croyait assagi et prêt à faire allégeance à Houphouët, il reprit ses critiques contre le parti unique et le gaspillage des deniers publics. En 1990, il commença à se démarquer de Bernard Zadi Zaourou et de Francis Wodié, ses camarades de la gauche ivoirienne auprès de qui il avait fourbi ses premières armes en politique. À tout ce qui précède, il convient d’ajouter que Gbagbo, Rawlings et Sankara n’étaient pas des hommes corrompus et qu’ils se battaient pour la liberté et la justice, deux qualités que le peuple aimait en eux.

Ce n’est donc pas en suivant bêtement leurs chefs, ni en chantant indéfiniment les louanges des aînés, ni en étant plus attirés par les avantages du pouvoir que par le service humble et désintéressé des populations, ni en faisant le pied de grue à la porte de la Franc-Maçonnerie ou de la Rose-Croix qui favoriseraient l’ascension sociale et politique des cadres africains, que les jeunes réussiront à s’imposer en Afrique.

Ils prendront du galon et donneront à nos pays l’opportunité de se réinventer et de vivre de nouvelles expériences si et seulement s’ils commencent à se prendre en charge, s’ils refusent de pactiser avec la facilité et la manie de vivre aux crochets des “vieux pères”, s’ils se montrent plus ambitieux et plus courageux, s’ils osent bousculer la vieille garde réactionnaire et allergique à toute opinion contraire, s’ils mènent des actions concrètes, s’ils ne laissent pas les autres penser et parler pour eux, etc.

Que ce soit en Chine populaire, en Indonésie, en Amérique latine ou aux Pays-Bas, ce sont les jeunes qui ont été à l’avant-garde des combats politiques et des révolutions. La soif de changement et la détermination, aussi utiles soient-elles, ne furent pas suffisantes pour que ces jeunes se retrouvent en première ligne. Ici ou là, certains durent “tuer’ le père comme Œdipe qui, dans la mythologie grecque, ôta la vie à Laïos, le roi de Thèbes, au cours d’une bagarre.

La jeunesse africaine, qui aspire à être aux affaires pour gouverner autrement, ne peut faire l’économie du parricide, surtout quand le père déclare lui-même que “la vie peut bien continuer sans nous”.

Une contribution de Jean-Claude DJEREKE