Côte d'Ivoire: La France défend ses intérêts. À nous de défendre les nôtres, Par Jean Claude DJEREKE
Par Ivoirebusiness/Débats et Opinions - Côte d'Ivoire. La France défend ses intérêts. À nous de défendre les nôtres, Par Jean Claude DJEREKE.
Que le président français soit persuadé que Dramane Ouattara voulait partir du pouvoir mais qu’il a décidé de se représenter pour la seconde fois par devoir, qu’il l’ait félicité ensuite pour sa “réélection” ne peut choquer que ceux qui ont (déjà) oublié que Ouattara fut installé au pouvoir en avril 2011 par le voyou et inculte Nicolas Sarkozy à coups de bombes qui firent plusieurs morts et des milliers de blessés graves.
C’est l’inverse, c’est-à-dire la condamnation du viol de la Constitution ivoirienne par celui qui est censé la protéger, qui eût surpris. Pourquoi ? Parce que la France ne s’est jamais préoccupée en Afrique francophone de la démocratie ni du respect des droits de l’homme, ni de la bonne gouvernance. Sinon, Sarkozy n’aurait pas limogé Jean-Marie Bockel qui avait eu l’audace, lors de ses vœux à la presse, puis dans “Le Monde” du 15 janvier 2008, d’exprimer sa volonté de signer l’acte de décès de la Françafrique et de critiquer la manière dont Omar Bongo dirigeait le Gabon.
Le limogeage de Bockel avait été demandé par l’ancien président gabonais. 26 ans plus tôt, Jean-Pierre Cot avait été évincé du ministère de la Coopération par François Mitterrand pour avoir refusé que des crédits de coopération servent à rénover la décoration intérieure de l’avion présidentiel gabonais et pour avoir exigé que l’aide de la France n’aille plus aux dirigeants africains qui violent les droits humains.
Les félicitations de Macron, personnage dont certains avaient naïvement pensé qu’il n’appartenait pas à l’ancien monde fait de duplicité, de magouilles et de coups tordus, montrent à quel point la France demeure constante dans sa politique qui consiste à placer les affaires et le fric au-dessus de la vie et des droits des Africains.
Il faut avoir tout cela en tête pour comprendre pourquoi la décapitation de N’Guessan Koffi Toussaint par des miliciens proches de monsieur Ouattara suscite moins d’indignation en France que celle de Samuel Paty, pourquoi les dirigeants français jugent le viol de la Constitution ivoirienne moins important que le fait de soutenir un régime qui, quoique vomi et honni ad intra, leur a permis de recoloniser la Côte d’Ivoire,
d’y jouir de toutes sortes d’avantages et de privilèges et d’y avoir le monopole à tous points de vue, pourquoi ils ne mettront jamais fin à la Françafrique qui “illustre les relations bilatérales incestueuses entre certains chefs d'État africains et le chef de l'État français, relations qui présentent de multiples facettes :
le soutien ou la tolérance vis-à-vis de régimes politiques dictatoriaux, parfois installés par le gouvernement français lui-même, malgré le rejet de la majorité des habitants ; les circuits mafieux d'argent ; le déni de l’Histoire; des politiques de solidarité qui s’effritent ; des interventions militaires improvisées et l'absence totale de respect des peuples africains et de leurs dirigeants” (cf. Kofi Yamgnane, ‘Afrique. Introuvable démocratie’, Paris, Éditions Dialogues, 2013).
Bref, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, la classe politique française se fiche royalement de savoir si les Africains sont maltraités, volés, opprimés ou tués par leurs dictateurs. Elle a toujours défendu et privilégié ses intérêts.
D’ailleurs, tous les pays occidentaux ne se battent-ils pas pour leurs intérêts ? Seule l’Afrique semble refuser de défendre ses enfants et ses richesses. Un seul exemple suffira ici pour étayer notre affirmation. Laurent Gbagbo s’était empressé en 2004 de réhabiliter le lycée français et de dédommager certaines entreprises françaises sans que nos aéronefs détruits au sol sur ordre de Jacques Chirac n’aient été remplacés par le gouvernement français.
Il s’était même opposé à ce que les Ivoiriens portent plainte contre la France, ce qui n’empêcha pas Paris de le bombarder avec sa famille et ses collaborateurs en mars-avril 2011 et de le déporter à la Haye.
En 2007, un chercheur belge, dont j’avais fait la connaissance au cours d’un colloque organisé à Paris, me disait ceci : “Vous les Africains, non seulement vous oubliez et pardonnez trop vite, mais tout est cadeau chez vous ; ni vos frontières ni votre territoire ne sont protégés ; les lois étant peu appliquées, on peut se permettre tout dans vos pays.” Je fus incapable de le contredire , tant son diagnostic était juste.
C’est la défense des intérêts de la France qui a conduit Macron à accepter le 3e mandat anticonstitutionnel de Ouattara. Qu’est-ce qui nous empêche, nous, de défendre les nôtres ? Pourquoi ne faisons-nous pas ce qui arrange notre pays et ses populations ?
Au lieu de nous émouvoir des félicitations de la France à Ouattara, pourquoi ne commençons-nous pas à boycotter ses produits et entreprises tout en réfléchissant à d'autres actions pour lui faire payer son soutien au dictateur-criminel ? Depuis que nous pourfendons leur hypocrisie, leurs mensonges et crimes, les autorités et hommes d’affaires français ont-ils changé de comportement ? Sont-ils devenus moins cupides et plus humains?
Non ! Que nous reste-t-il alors à faire ? Le boycott. Frappons-les au portefeuille ! Cessons de les enrichir ! Ne leur donnons plus notre argent !
On aurait aimé que Tidjane Thiam rentre en Côte d’Ivoire pour mener ce combat. Alors que les Ivoiriens sont emprisonnés, enlevés, séquestrés, assassinés ou machetés par les milices de Ouattara pour avoir dit “non” au viol de leur Constitution, Thiam préfère se rendre à Kigali pour diriger le conseil d'administration de Rwanda Finance Limited.
Que recherchait-il en faisant annoncer qu’il rejoignait Pascal Affi N’Guessan, Henri Konan Bédié et les autres ? La libération du pays ou le fauteuil présidentiel ? Où est son patriotisme ? En quoi est-il différent du président reconnu par la CEDEAO et la France ? Et l’autre, qui, le 10 octobre 2020, déclarait être “prêt à mourir pour libérer le pays de la dictature d’Alassane Ouattara”, où est-il aujourd’hui ? Un pays peut-il briser ses chaînes et se remettre debout avec des gens inconstants, bavards et opportunistes ?
Jean-Claude DJEREKE