Cession des actifs africains du groupe : Bolloré à Abidjan avec Sarkozy pour convaincre Ouattara

Par Aujourd’hui - Cession des actifs africains du groupe. Bolloré à Abidjan avec Sarkozy pour convaincre Ouattara.

Une du quotidien Aujourd’hui du 26 janvier 2022.

Cyrille Bolloré et Nicolas Sarkozy ont séjourné à Abidjan, du lundi 25 janvier à hier mardi 26 janvier, pour y rencontrer Alassane Ouattara afin de, probablement, entériner la cession des actifs africains du groupe à MSC qui prévoit de débourser la coquette somme de 20 milliards d’euros pour les reprendre. Problème, on ne sait toujours pas ce que vend réellement Bolloré, vu que le contrat qui le lie à la vingtaine d’Etats africains est un contrat de type BOT qui donne un droit de préemption à l’Etat cocontractant.

Si le groupe Bolloré s’est jusque-là contenté de quelques lignes pour répondre aux rumeurs qui l’accusent de vouloir vendre tous ses actifs africains, cette fois-ci, les faits parlent d’eux-mêmes.

Avant-hier lundi, le fils de Vincent Bolloré, Cyrille, qui à 36 ans est le directeur général du groupe, est en effet arrivé à Abidjan flanqué de Nicolas Sarkozy, l’ami d’Alassane Ouattara.

TRANSACTION FLOUE

Selon LSI qui a donné l’alerte, les deux hommes sont à Abidjan pour convaincre le maître des lieux d’accepter que le groupe vende ses actifs africains à MSC. De cet échange de bons offices françafricains, Bolloré devrait tirer quelque 20 milliards d’euros. Mais les contours de l’acte sont d’autant plus flous que les actifs africains dont il s’agit sont essentiellement des infrastructures de l’Etat dont le groupe Bolloré avait la concession.
Ce contrat (un Build, Operate transfert, BOT), permet au concessionnaire de construire des infrastructures qu’il gère pendant un délai de concession imparti. Et à la fin, il transfère l’ouvrage à l’Etat qui en devient le propriétaire.
En Côte d’Ivoire, le groupe dispose de ce type de contrat de gestion avec Sitarail et sur le terminal à conteneurs d’Abidjan. Tous ces ouvrages doivent donc être rétrocédés à l’Etat à la fin du contrat de concession.
A titre d’exemple, le premier contrat de ce type a été signé en 1994 et porte sur le chemin de fer Abidjan-Niger. Sa durée était de 15 ans. A la fin de ce délai, la concession a été prolongée à 30 ans. L’autre concession concerne le terminal à conteneurs du Port d’Abidjan (TC1). Il a été signé en 2004 pour une durée de 30 ans. Hors de Côte d’Ivoire, d’autres pays ont aussi signé ce type de contrat. Il s’agit du Cameroun en 2015 pour le terminal à conteneurs du port de Douala et en Guinée en 2011 pour une durée de 25 ans.

Pendant la concession, le groupe Bolloré a la charge de financer tous les travaux de modernisation desdits ouvrages tel que stipulé dans le contrat et de les exploiter durant toute la période de concession.

MEFIANCE

C’est pourquoi l’accord de cession des parts africaines du groupe Bolloré suscite une grande méfiance. Que vend-il exactement ? L’ancien directeur général du Bnetd, Ahoua Donmello qui l’a posée dans une tribune qu’Aujourd’hui a publiée répond qu’il est impossible à Bolloré de vendre ces actifs parce qu’ils ne lui appartiennent pas.
Cette contribution abondamment relayée par RFI, lors de la revue de presse de vendredi dernier, a-t-elle pesé dans le voyage du directeur général du groupe qui s’est fait accompagner par Nicolas Sarkozy, un ami du couple Ouattara ?

CAISSE DE RESONNANCE

À Abidjan, on sait ce qu’Alassane Ouattara doit à Nicolas Sarkozy. En 2011, c’est lui qui met la force de sa diplomatie et de son armée au service de l’opposant ivoirien qui revendique alors, tout comme Laurent Gbagbo, la victoire finale.
Il ne pourrait donc rien refuser à l’ancien président français. Mais alors, quel serait le deal, vu que MSC ne peut pas devenir propriétaire du terminal à conteneurs construit et exploité par le groupe Bolloré ? Ou alors, le gouvernement ivoirien accepterait-il de manger son droit de préemption pour permettre à MSC de continuer la concession cédée par Bouygues, l’Etat ivoirien promettant, dans ces conditions, de ne pas porter plainte ?
C’est probablement vers cette hypothèse que nous allons dans ce dossier. Dans les deux cas, le côté nocturne de ce contrat sera sans conteste plus important que le côté diurne. Et comme l’Assemblée nationale est une caisse de résonnance, il ne faut pas s’attendre à ce que les députés ivoiriens demandent à être mis au courant de ce qui se trame ce mardi à Abidjan.
Nicolas Sarkozy et Cyrille Bolloré ont quitté, pour leur part, Abidjan hier mardi soir. Le patron français y a rencontré, dans la matinée, tous les directeurs pays du groupe qui se sont donné rendez-vous à Abidjan parce qu’ils craignent de perdre leur emploi. À Abidjan seul, Bolloré Logistics emploie quelque 1500 personnes. L'objectif de cette rencontre est donc d'expliquer la cession à MSC aux équipes et la reprise du personnel de Bolloré Africa Logistics par MSC.
Le patron et ses équipes mènent d’ailleurs cette discussion depuis fin décembre, soit avant même que les propriétaires des ouvrages ne soient informés. Tout est donc prêt pour que MSC soit le nouveau visage du port d’Abidjan et des rails ivoiriens, grâce aux douces combines de la Françafrique à l’ombre de laquelle Vincent Bolloré, le père, dont les acquisitions multiformes inquiètent les dirigeants de son pays, a fait asseoir son immense fortune.

SÉVÉRINE BLÉ