Cameroun / 89 ans, 40 ans de règne : Paul Biya ou le pouvoir à vie du sphinx d’Etoudi

Par Lemondeactuel- Cameroun / 89 ans, 40 ans de règne. Paul Biya ou le pouvoir à vie du sphinx d’Etoudi.

Dans la mythologie égyptienne, le sphinx est une créature légendaire ayant la tête d’un humain, d’un faucon, d’un chat ou d’un bélier et le corps d’un lion. Il représente Rê-Horakhty, une forme du puissant dieu solaire, et est l’incarnation du pouvoir royal et le protecteur des portes du temple. Au sens figuré, une personne est appelée sphinx lorsqu’elle apparaît aux yeux de tous comme un individu énigmatique, à l’attitude mystérieuse. C’est à juste titre qu’en Côte d’Ivoire, l’ancien chef de l’Etat, Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, le parti politique fondé par feu Félix Houphouët-Boigny, est appelé « le sphinx de Daoukro », du nom de sa ville natale située à environ 300 km d’Abidjan. A 86 ans, Bédié demeure énigmatique sur son avenir, sa succession et ses options politiques.

Idem pour Paul Biya, président de la République du Cameroun depuis 1982. Il est le deuxième chef d’Etat que le Cameroun ait connu depuis son indépendance. Le premier étant Ahmadou Ahidjo qui a volontairement démissionné en 1982 après 22 ans de pouvoir. Appelé le « sphinx d’Etoudi », du nom du palais présidentiel de Yaoundé au Cameroun, Paul Biya est un personnage fort énigmatique qui règne sans partage sur le pays. Loin des exigences démocratiques, du respect des droits de l’homme et des libertés ainsi que de la transparence dans la gestion des affaires publiques. Le Cameroun figure parmi les pays les plus corrompus du monde. Il occupe le 144ème rang dans le classement de l’Indice de perception de la corruption 2021(IPC) rendu public par l’ONG Transparency International. Agé de 89 ans avec 40 ans passés au pouvoir, Paul Biya n’a visiblement pas l’intention de prendre sa retraite pour permettre aux Camerounais de vivre une nouvelle ère avec de nouveaux dirigeants. Ses partisans susurrent même qu’il pourrait se présenter à nouveau à l’élection présidentielle de 2025. Evidemment si le destin n’en décide pas autrement.

C’est sans doute dans la perspective de 2025 et afin de remobiliser ses militants et tous les Camerounais que le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), formation politique fondée par Paul Biya en 1985, deux ans après son accession au pouvoir par legs, célèbre ce dimanche 6 novembre 2022, les festivités marquant les 40 ans de pouvoir de M. Biya. A 89 ans, Paul Biya, dont la santé paraît fragile, cultive la discrétion. Ses apparitions publiques sont rares. L’une de ses dernières apparitions remonte au 26 juillet 2022, lors de la visite à Yaoundé du chef de l’Etat français, Emmanuel Macron.

Il alterne les séjours entre le Cameroun et la Suisse au point d’être perçu comme le chef d’Etat africain qui passe beaucoup plus de temps à l’étranger que dans le pays qu’il est censé diriger. Ses séjours à Genève, à l’hôtel InterContinental, sont si réguliers qu’en 2021, des activistes camerounais avaient manifesté devant l’établissement hôtelier pour dénoncer les coûteux séjours en Suisse du président et ses absences répétées du Cameroun. Ce mode vie interroge d’autant plus que la situation du Cameroun se dégrade. 30 % des 28 millions d’habitants vivraient dans la pauvreté, tandis qu’une partie de l’entourage présidentiel profite de la corruption qui règne au Cameroun.

Les opposants camerounais dont les plus en vue Maurice Kamto et Cabral Libii ainsi que la société civile appellent à une alternance au pouvoir qui peine à advenir à cause des élections accusées de frauduleuses. Quant à Paul Biya, il semble être dans une logique de mourir au pouvoir que tout autre chose. A preuve quand on l’interroge sur ses intentions après 2025, le président camerounais répond de façon évasive : « Le mandat que je mène a une durée de sept ans. Quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informé sur le point de savoir si je reste ou si je m’en vais au village ». Un flou entretenu à dessein au moment où des supputations vont bon train sur son éventuelle succession. Au grand dam des opposants, des noms circulent dans l’entourage du président Biya. Il s’agit de son fils aîné, Franck Biya, homme d’affaires âgé 51 ans que l’on dit cependant peu intéressé par la politique même s’il était impliqué dans les différentes campagnes électorales de son père. Il y a également l’actuel ministre des Finances ou encore le ministre de la Communication. Sans oublier le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui bénéficierait du soutien de la Première dame Chantal Biya.

Le parti au pouvoir, le RDPC, fête, ce dimanche 6 novembre 2022, les 40 ans de règne de Paul Biya sous le thème de « la stabilité politique et la paix » ; au moment où le pays, en vérité, se trouve dans une mauvaise passe. Confronté qu’il est, à de sérieux défis, économiques et sécuritaires. Par exemple, l’ouest anglophone du Cameroun -frontalier du Nigéria- étant en proie à une rébellion armée qui a fait plus de 6.000 morts et un million de déplacés depuis 2016.

Un dossier réalisé par

Didier Depry