Brésil : Lula élu président par 50,9% des voix
Par Le Figaro - Brésil. Le candidat de gauche Lula élu président, Bolsonaro se tait.
L'ex-président brésilien (2003-2010), favori de l'élection depuis plusieurs mois, en est sorti vainqueur, malgré un scrutin ultra-serré face à son opposant conservateur Jair Bolsonaro.
Par Michel Leclercq
Rio de Janeiro,
Le dirigeant de gauche Luiz Inacio Lula da Silva a été élu dimanche pour un troisième mandat à la tête du Brésil, distançant d'une très courte tête le président sortant Jair Bolsonaro qui cinq heures après l'annonce officielle des résultats n'avait toujours pas reconnu la victoire de son rival honni.
Le président élu a obtenu 50,90% voix contre 49,10% pour Bolsonaro, soit un peu plus de deux millions de voix d'avance sur 156 millions d'électeurs. Il s'agit de l'élection la plus serrée de l'histoire du Brésil depuis le retour de la démocratie en 1985, après vingt-et-un an de dictature militaire, illustrant l'implantation du bolsonarisme, appelé à survivre à la défaite de son chef.
Le plus vieux président du Brésil
Lula retrouve le palais présidentiel du Planalto douze ans après avoir quitté le pouvoir. Quand il prendra ses fonctions, le 1er janvier, il sera à 77 ans le plus vieux président de l'histoire du Brésil. Il a déjà annoncé que cette sixième candidature sera la dernière. «Maintenant, je veux voter pour d'autres», a-t-il dit dimanche. L'ancien ouvrier métallo et leader syndical, né dans la misère dans le Nordeste, aura eu un destin exceptionnel et marqué un demi-siècle de l'histoire du Brésil. Qui imaginait que, condamné pour corruption, il reviendrait trois ans plus tard à la présidence ? «Le Nordestin qui a survécu à la faim ne craint rien», avertissait Lula en recouvrant la liberté après 580 jours en prison.
À l’issue d'une soirée pleine d'émotions et de suspense, la victoire de Lula a été saluée par des explosions de joie dans les grandes villes du pays. Des foules en liesse étaient descendues dans la rue avant même l'annonce officielle, des cris «c'est Lula» ont fusé, pétards et feux d'artifice ont éclaté, des concerts de klaxon ont retenti. L'avenida Paulista, les «Champs Élysées» de Sao Paulo, était dès la fin de l'après-midi noire de monde.
À Rio de Janeiro, c'était la fête sur la grande place de Cinelandia, dans le centre, où des milliers de personnes se sont retrouvées pour célébrer la victoire de Lula. «Il fallait que je sorte dans la rue pour faire la fête. Je suis soulagée mais avec la peur que Bolsonaro n'accepte pas le résultat», dit Luiza Donner, 32 ans, dans un bar rempli de partisans de Lula, dans le quartier de Leme, près de la célèbre plage de Copacabana. À quelques dizaines de mètres seulement, dans un bar de supporters de Bolsonaro, l'agent immobilier Jose do Santos porte un tee-shirt vert et jaune. «Je suis démocrate, je vais respecter le verdict des urnes mais la défaite de Bolsonaro va apporter énormément de problèmes au Brésil», dit-il, en citant le Venezuela et l'Argentine.
Après une campagne électorale agressive, violente, aux allures d'une «guerre de caniveau», où la désinformation et les insultes ont éclipsé les programmes de gouvernement, Lula a prononcé un discours de victoire pacificateur qui, au-delà de ses électeurs, s'adressait à tous les Brésiliens. «C'est l'heure de baisser les armes», a-t-il lancé, entouré de ses alliés centristes dont son colistier Geraldo Alckmin réunis dans un grand hôtel de Sao Paulo.
«Besoin de paix et d'unité»
«Le Brésil a besoin de paix et d'unité», a insisté le président élu, pour réconcilier un pays fracturé par quatre ans de gouvernement Bolsonaro. Sa priorité, a-t-il dit, sera «d'en finir avec la faim» qui touche 30 millions de Brésiliens. Il a aussi souligné que le Brésil était «prêt à reprendre son leadership dans la lutte contre la crise climatique (...) Le Brésil et la planète ont besoin d'une Amazonie en vie».
Après l'annonce de sa défaite Jair Bolsonaro s'est isolé et n'a voulu recevoir ni ministres ni conseillers. Son aide de camp a informé les visiteurs qu'il s'était retiré dans sa chambre «pour dormir», a rapporté un éditorialiste du journal O Globo, Lauro Jardim. Il précise que le président pourrait s'exprimer lundi matin. C'est la première fois dans l'histoire récente du Brésil qu'un président en exercice ne réussit pas à se faire réélire.
Son silence ouvre une période d'incertitude, avec une contestation du vote et d'éventuels troubles fomentés par ses partisans les plus radicaux. Après avoir mis en doute pendant des mois la fiabilité des urnes électroniques, il a fini par admettre vendredi soir, dans une volte-face dont il est coutumier, qu'il respecterait le choix des électeurs. «Il n'y a pas le moindre doute. Qui obtient le plus de votes l'emporte. C'est la démocratie.» Mais l'étroitesse de son écart avec Lula ouvre toutes les possibilités. «J'espère que si je gagne l'élection, il aura un moment de sagesse et me téléphonera pour reconnaître le résultat», avait dit Lula lundi dernier. Dimanche dans la nuit, il attendait encore.
Plusieurs dirigeants mondiaux, tels que Joe Biden et Emmanuel Macron, ont très vite félicité Lula, une manière de faire pression sur l'actuel président pour qu'il reconnaisse rapidement sa défaite.
«Désarmer les esprits»
«Son silence est préoccupant. Le fait qu'il n'ait pas reconnu sa défaite renforce la crainte qu'il n'accepte pas le résultat et tente d'organiser des actions violentes, du genre de l'invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump», le 6 janvier 2021, relève le politologue Mauricio Santoro, professeur à l'Université fédérale de Rio de Janeiro.
Mais il est probable que Bolsonaro soit de plus en plus isolé. Les militaires ont déjà fait savoir qu'ils ne se lanceraient pas dans une aventure putschiste. Un de ses proches alliés, le président de la Chambre des députés Arthur Lira, a déjà tourné la page et a tendu la main au président élu. «Il est temps de désarmer les esprits.»
Le Figaro avec AFP