Arrestation arrangée ou réelle: Richard Dakouri, N°2 de Charles Blé Goudé, rompt le silence
Le 24 janvier 2013 par L'INTER - Ses révélations sur l’opération d’Accra à Abidjan.
Arrestation arrangée ou réelle - Richard Dakouri, N°2 de Charles Blé Goudé, rompt le silence Ses révélations sur l’opération d’Accra à Abidjan
Richard Dakouri était le N°2 de la galaxie patriotique à Abidjan, avant la crise post-électorale. En exil au Ghana, comme son mentor Charles Blé Goudé, il a été témoin des procédures qui ont conduit à l’extradition du président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP) à Abidjan. Au moment où le doute plane sur l’opération menée à Accra, l’ancien leader des ‘’Sorbonnards’’ d’Abidjan rompt le silence et explique. Entretien.
M. Richard Dakouri, que savez-vous de l’arrestation de Charles Blé Goudé, le leader de la galaxie patriotique refugié au Ghana ?
Avant tout propos, je voudrais saluer tous les Ivoiriens et Ivoiriennes et leur dire merci pour la mobilisation autour du charismatique leader de la jeunesse ivoirienne, en l’occurrence le président Charles Blé Goudé. Pour revenir à votre question, le jeudi 17 janvier 2013 a été pour moi un jour cauchemardesque. Une partie de moi venait d’être retirée.
En effet, ce jeudi 17, les éléments du B.N.I (bureau of national investigation) et des éléments de la police ivoirienne ont investi le domicile (sis à Accra et non à Tema) du président Charles Blé Goudé aux environs de 7h du matin. Nous avons reçu toutes ces informations du jeune ghanéen avec lequel il vivait. C’est manu militari qu’il a été conduit dans les locaux du BNI.
Ce même jour, nous nous y sommes rendu avec Me Rockson pour qu’il bénéficie d’une assistance comme tout prévenu. Malheureusement, nous avons essuyé une fin de non-recevoir. Le lendemain ‘vendredi 18 janvier’ aux environs de 10h, Me Daniel Yaw Amoah (du même cabinet que Me Rockson) et nous, décidions de nous rendre encore sur les lieux de la détention.
A notre arrivée, après avoir observé les procédures d’usage, les dames chargées de l’accueil nous confirment la détention de notre leader. C’est ainsi que nous prenions place dans la salle d’attente avec d’autres camarades de lutte et des journalistes de la presse internationale. Après une heure d’attente, à notre grande surprise, les dames nous informent de l’absence du directeur du BNI, la seule autorité habilitée à accorder les autorisations de visite, et nous recommandent de repasser à 15h. Comme convenu, nous nous présentons à l’heure indiquée. Il est 15h30mn quand des policiers, visiblement surexcités, nous intiment l’ordre de quitter les lieux, sans aucune explication. 15 h45mn, nous constatons un cortège de véhicules blindés. Trois véhicules de type 4x4 et une fourgonnette blindée commise au transport de prisonnier important. C’est à 17h que Me Daniel Amoah nous informe que le président Charles Blé Goudé n’était plus dans les locaux du BNI et qu’il venait d’être extradé en direction d’Abidjan. Voici les faits tels que nous les avons vécus.
Connaissez-vous les motifs de cette arrestation ?
Nous n’avons malheureusement pas eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés. Les avocats commis pour protéger ses intérêts n’ont pas eu accès à lui et au dossier. La célérité avec laquelle il a été extradé nous a laissé dans la confusion.
Des voix élèvent des doutes sur cette arrestation, et on parle même d’un deal de Blé Goudé avec des autorités proches du pouvoir pour un retour normal au pays. Qu’en dites-vous ?
C’est avec amertume que j’ai pris connaissance des analyses et commentaires farfelus de ces polémistes qui ne sont pas à leur première méchanceté gratuite. Là où les Ivoiriens attendent qu’ils soient solidaires de leur camarade de lutte, ils prennent le malin plaisir, comme à leur habitude, de fantasmer sur le malheur des autres par un rituel de verbigération inqualifiable. Quel est la profitabilité politique d’une telle démarche ? Cher ami, après lecture, j’ai pu noter quelques incohérences et insuffisances qu’il me parait important de soulever. Premièrement, ils affirment qu’il n’était pas dans les locaux du BNI et se contredisent plus loin dans la même déclaration, en disant que même s’il y était, c’était pour convaincre les autorités ghanéennes qu’il avait choisi le retour volontaire et non l’extradition. Le BNI serait-il désormais un centre de détention pour le retour volontaire des exilés? Nous avons encore en mémoire le retour des exilés tels que le maire de Yopougon et autres qui sont rentrés au pays sans faire une escale dans les geôles du BNI. Et pourtant, leur retour était volontaire et arrangé avec le pouvoir d’Abidjan.
Deuxièmement, selon eux, le président Charles Blé Goudé serait en contact avec Hamed Bakayoko pour bénéficier d’un soutien financier de ce dernier après son extradition. Soyons quand même sérieux! Comment peut-il faire un tel deal, les mains menottées devant le juge d’instruction ? C’est absurde! En réalité, ces voix qui s’élèvent préparent psychologiquement les Ivoiriens à accepter l’assassinat de Charles Blé Goudé qu’ils voudraient voir en sacrifice expiatoire et propitiatoire pour leurs ambitions démesurées en le présentant comme un traître. Je demande aux iIvoiriens d’être sereins et de ne pas accorder de crédit à ce grossier montage du siècle des soi-disant leaders dont le sujet favori est de nuire à Charles Blé Goudé. C’est malheureux et honteux!
Quand avez-vous pour la dernière fois votre camarade de lutte ?
La veille de son arrestation, c’est-à-dire le mercredi 16 janvier 2013, nous avions convenu de nous retrouver le lendemain pour nous pencher sur l’interview qu’il devait accorder à votre confrère ‘’L’Intelligent d’Abidjan’’. Il m’a déposé quelque part pour prendre mon taxi. Il était 19h quand nous nous sommes quittés.
De votre dernière conversation, donnait-il l’impression de quelqu’un qui voulait rentrer au pays ?
Non. Il préparait la rentrée politique du COJEP France et Angleterre, respectivement le 03 février et le 23 février 2013. A cet effet, il attendait de recevoir une délégation de la diaspora, le 22 janvier 2013 (hier : ndlr) à Accra pour des séances de travail. Nous préparions également un document sur sa proposition de sortie de crise. Il était jovial lorsque nous nous séparions. D’ailleurs, il n’a jamais été question pour lui d’entreprendre une démarche solitaire pour le retour au pays. C’est à juste titre qu’il m’a désigné pour le représenter dans la délégation des pro-Gbagbo invités à Dakar à l’occasion des discussions sur la réconciliation en Côte d’Ivoire avec le chef de l’Etat sénégalais, Son Excellence M. Macky Sall.
Blé Goudé n’est pas la première personnalité arrêtée au Ghana. Il y a le cas de Koné Katinan que le pouvoir ivoirien n’a pas réussi jusque-là à faire extrader. Comment expliquer la procédure rapide qui a conduit à l’extradition du président du COJEP ?
Vous savez, la ‘‘goudéphobie’’ qui s’était emparée des autorités d’Abidjan les empêchait de dormir tranquillement. Ils avaient une image caricaturale de Blé Goudé à qui ils ont donné des pouvoirs énormes. Ils avaient très peur de ce fils digne. Il suffit de faire une rétrospection sur les interviews d’Alassane Ouattara avec la presse, dans lesquelles il mentionnait son arrestation comme une des priorités du gouvernement ivoirien. Aussi, l’implication de la communauté dite internationale a certainement joué un rôle dans la gestion expéditive du dossier. Cher ami, c’est un secret de polichinelle que d’affirmer qu’il était très recherché par les autorités d’Abidjan et de l’O.N.U. C’était le ‘’wanted’’ n°1et l’homme à abattre du régime. Je me souviens encore de l’hélicoptère de l’O.N.U qui survolait sa résidence de ‘’North Legon’’ à Accra en 2011. Au regard de ce qui précède, il est très aisé de démêler l’écheveau de ce dossier et de donner une explication claire à cette saga politico-judiciaire qui a l’allure d’un règlement de compte politique. C’est la raison pour laquelle la procédure d’extradition n’a pas obéi aux règles requises en la matière.
Le Ghana peut-il livrer aussi facilement Blé Goudé ?
Même s’il n’avait pas le titre de réfugié, cela ne saurait expliquer la rapidité de son extradition. Considérons qu’il était en situation irrégulière, il a quand même droit de bénéficier d’une assistance judiciaire et d’un procès équitable aux fins de constater l’irrégularité de son séjour. C’est quand même un ancien ministre du gouvernement Aké N’gbo, et à ce titre, il aurait dû bénéficier d’une attention particulière. Malheureusement, c’est impuissant que nous avons vu notre ami extradé en direction d’Abidjan. Que pouvons-nous devant la souveraineté des Etats ?
Que pensez-vous de ce silence sur le cas Blé observé par les autorités ivoiriennes pourtant si promptes à communiquer sur ce genre d’opération?
Ils ont voulu certainement éviter d’éventuels troubles en présence des chefs d’Etat de la CEDEAO qui se penchaient sur le dossier malien ce jour-là. Pour finir il a été brandi à la télé ivoirienne le lundi 21 janvier 2013, en harmonie avec la pratique qui leur est si chère.
Comment entrevoyez-vous la suite des choses ; Blé Goudé est-il en danger?
Nous nous mobilisons déjà pour lui apporter notre soutien indéfectible au niveau politique, diplomatique et judiciaire. Au niveau judiciaire, nous avons commis un collectif d’avocats dirigé par Me Bobré Félix, pour défendre ses intérêts. Souffrez que je n’aborde pas les autres aspects de notre démarche. En ce qui concerne son intégrité physique, nous émettons des réserves. Vous savez, le scénario est connu de tous. On vous présente à la télé et après, vous êtes déporté au Nord vers une destination inconnue, après avoir subi une torture digne de l’époque de ‘'Kunta Kinté'’. Commandant Séka Séka Anselme, porté disparu, commandant Katé Gnatoa, pour ne citer que les cas les plus récents, sont illustratifs de ces pratiques d’un autre âge. J’espère que cette fois-ci, ils feront l’économie d’une telle barbarie.
Comment vivez-vous cette interpellation, dans la sérénité ou dans la crainte ?
Nous sommes encore sous le choc, vu la rapidité avec laquelle notre ami a été extradé. L’atmosphère est très accablante dans nos rangs et chacun s’interroge sur l’avenir. Sérénité ou crainte, nous sommes déjà dans la vague et nous n’avons pas le choix. Il nous faut resserrer les rangs pour une solidarité effective et non patauger dans la gadoue de la haine et de la mesquinerie. Pour ma part, je reste serein car c’est Dieu qui décide de l’accomplissement des événements.
Entretien réalisé par Félix D.BONY