Affaire Michel Gbagbo : la VRAIE leçon de la mésaventure parisienne de Guillaume Soro à Paris, Par Théophile Kouamouo
Par Mondafrique - Affaire Michel Gbagbo. La VRAIE leçon de la mésaventure parisienne de Guillaume Soro à Paris, Par Théophile Kouamouo.
Cette fois-ci, il s’en est sorti. En prenant littéralement ses jambes à son cou et en sautant dans un avion présidentiel ivoirien pour rentrer au pays et éviter ainsi de répondre, à Paris et devant la juge Sabine Kheris, des faits qui lui sont reprochés par Michel Gbagbo – c’est-à-dire des faits « d’enlèvement, séquestration, traitements inhumains et dégradants ». Promis, juré, il s’exprimera sur le perchoir du président de l’Assemblée nationale sur la récente actualité et « cassera la baraque » pour le plus grand plaisir de ses aficionados…
Cela dit, maintenant que les feuilletons français et burkinabé dont il est le personnage principal semblent avoir pris une pause, pouvons-nous réfléchir avec un peu de recul à la mésaventure parisienne de Guillaume Soro, ex chef rebelle ivoirien et ex Premier ministre ?
Un point essentiel n’a été à mon avis que peu évoqué. Alors que Guillaume Soro a commencé son aventure guerrière (et meurtrière) il y a plus de treize ans, et que son nom a été cité dans un grand nombre de crimes de sang et de crimes économiques (actes terroristes du 19 septembre 2002 à Abidjan, meurtre de 86 gendarmes et de leurs familles à Bouaké le 6 octobre 2002, « casses » des agences de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest en 2003, épuration violente au sein de la rébellion alors appelée MPCI, assassinat de Ibrahim Coulibaly dit « IB » et de Désiré Tagro, complicité d’actes terroristes au Burkina Faso…), ce n’est que sur le cas Michel Gbagbo qu’il est véritablement inquiété aujourd’hui.
Pourquoi ?
Parce que Michel Gbagbo est Ivoirien ET Français.
Michel Gbagbo est de nationalité française, ce qui lui donne le droit de saisir un juge de son pays quand ses droits sont bafoués. Il se trouve que dans ce pays, en 2015, l’équilibre des pouvoirs constitutionnels fait que les magistrats choisissent très souvent de suivre des dossiers politiquement complexes, y compris contre l’avis des dirigeants politiques, au nom du droit de leurs concitoyens à bénéficier d’une justice équitable.
Bien entendu, ce n’est pas un univers idyllique. Il y a en France comme ailleurs des juges corrompus, carriéristes, ambitieux et/ou incompétents. Mais globalement, il est acquis que chaque fois qu’un Français est tué, blessé ou torturé, il a droit à l’ouverture d’une information judiciaire.
Distribution massive de la mort
Le résultat de cet acquis est qu’il donne, d’un point de vue mathématique, plus de « valeur » à la vie d’un Français qu’à la vie de milliers d’Ivoiriens dans le cas qui nous intéresse. Le millier de morts de Duékoué ne fait bouger ni la justice ivoirienne ni la CPI.. mais les sévices subis par une seule personne, dont les agresseurs étaient pourtant les supplétifs locaux de la volonté impériale de Paris, font trembler tout un establishment.
On peut en conclure – sans survaloriser les « modèles » occidentaux – que dans leur rapport à l’Etat, les citoyens français ont obtenu, par leurs luttes, un certain nombre de « garanties » quant au respect et à la déférence accordés à leurs vies. C’est important de le signaler au regard des polémiques et des frustrations qui ont agité le « village numérique » franco-africain après les hommages aux victimes des attaques terroristes du 7 janvier et du 13 novembre derniers à Paris. « Pourquoi en font-ils autant ? Et nos morts ? Nous sommes Garissa. Nous sommes Kolofata. Nous sommes Duékoué », ont réagi beaucoup d’internautes.
Ce qui se joue à Ouaga
Le problème est justement que c’est une « réaction ». « Nous » avons été Garissa/Kolofata/Duékoué parce qu' »ils » ont été Charlie. Les politiciens africains, les magistrats africains, les systèmes socio-politiques africains, dont tous les Africains sont coresponsables (certes à des degrés différents), n’accordent pas plus de valeur aux vies africaines que ne le font les Occidentaux. La distribution massive de la mort lors de nos guerres, sur nos routes déglinguées, dans nos hôpitaux laxistes, via l’imprudente manière de vivre de nombre d’entre nous, notre fatalisme désenchanté, notre opportunisme nécrologique… contribuent à des degrés divers à nous désensibiliser en ce qui concerne l’impérieuse nécessité de faire des vies de nos semblables un bien précieux à préserver. « Il nous faut revaloriser la vie », s’écriait déjà, en 1999, le penseur camerounais Achille Mbembe. Revaloriser la vie revient également à préciser notre regard sur la liberté et l’indépendance de l’Afrique. Les États africains doivent être indépendants des tutelles extérieures, souvent violentes et prédatrices, mais les citoyens qui se trouvent dans les frontières de ces États doivent exiger d’eux qu’ils garantissent leurs libertés et leurs droits, notamment leur droit à la justice.
Il ne faut pas se faire d’illusion. Ce n’est pas la CPI, machine de guerre qui se déguise en « figure du Bien universel » qui revalorisera les vies africaines. Elle ne fera que profiter de notre apparent mépris généralisé pour la vie en tant que concept dans le but de légitimer sa « mission civilisatrice ». Ce ne sont pas non plus les justices occidentales, dont la vocation est de défendre les droits de leurs propres ressortissants. Comme c’est le cas de Michel Gbagbo.
C’est en ce sens que ce qui se joue à Ouaga est important. Ce début de mandat de Roch-Marc Christian Kaboré est manifestement placé sous le signe de la lutte contre l’impunité. Des « vieux » dossiers ont beaucoup avancé sous la transition et demandent à être accélérés : celui de l’affaire Thomas Sankara et celui de l’affaire Norbert Zongo notamment. S’ils conduisent à des procès exemplaires et cathartiques, et si l’affaire de la « putschtape » va jusqu’au bout, la conscience politique générale se souviendra qu’à un moment de l’Histoire, les vies burkinabé ont été « revalorisées ».
Par Théophile Kouamouo