Coup de tonnerre/Sénégal : Macky Sall ne briguera pas de troisième mandat
Par France 24 - Sénégal. Macky Sall ne briguera pas de troisième mandat.
Après des mois de tergiversation, Macky Sall a finalement annoncé qu'il ne briguerait pas de troisième mandat lors de l'élection présidentielle sénégalaise de 2024. France 24 revient sur les faits marquants de sa présidence et le vif débat suscité par l'éventualité d'une nouvelle candidature.
Le président sénégalais Macky Sall ne se représentera pas à l'élection présidentielle de février 2024.
Le président sénégalais Macky Sall ne se représentera pas à l'élection présidentielle de février 2024. ©
Depuis des mois, il entretenait le flou quant à un éventuel troisième mandat. Le président sénégalais Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, a finalement annoncé, lundi 3 juillet, qu'il ne serait pas candidat à la présidentielle de février 2024.
Ardemment espérée par ses soutiens, l'éventualité d'une nouvelle candidature suscitait depuis des mois une vive polémique au Sénégal, ses détracteurs reprochant au président de vouloir instrumentaliser en sa faveur les règles de la nouvelle Constitution du pays, qu’il a lui-même fait adopter en 2016.
Macky Sall laissait pour sa part entendre que le Conseil constitutionnel avait tranché cette question et que, du point de vue du droit, rien ne l’empêchait de se représenter.
Le "message à la Nation" de Macky Sall intervient dans un contexte particulièrement tendu entre le camp présidentiel et son principal opposant, Ousmane Sonko, dont la condamnation dans une affaire de mœurs a provoqué début juin des émeutes d'une rare violence ayant fait 16 morts.
Développement et réformes sociales
Élu président le 2 avril 2012, Macky Sall avait alors fait campagne contre son ancien mentor, le président Abdoulaye Wade, lui-même en lice pour un troisième mandat.
L’ancien Premier ministre (2004-2007), à la tête de son propre parti, l’Alliance pour la République (APR), s’était opposé à la candidature du président, qu’il jugeait anticonstitutionnelle. Parvenant à fédérer une large partie de l’opposition, il s’était offert une victoire confortable (65,80 % des voix), promettant une gouvernance de "rupture", axée sur la justice sociale, les réformes structurelles et les projets de développement.
Parmi ses réformes phares figurent la bourse familiale – une allocation versée à 300 000 bénéficiaires pauvres, récemment élargie et revalorisée dans le contexte d’inflation lié à la guerre en Ukraine – ainsi que des projets d’infrastructures tous azimuts : travaux aéroportuaires, ferroviaires, ville nouvelle de Diamniadio, construction du stade de Dakar, axe routier vers le Mali...
Si l’économie a connu une nette progression ces dernières années au Sénégal (avec un PIB passant de 17 à 27 milliards de dollars au cours des dix dernières années), le taux de chômage demeure élevé, au-dessus de 22 %, affectant prioritairement les jeunes.
Sur la scène internationale, le président s’est illustré par une diplomatie proactive, prônant l’annulation de la dette africaine, le renforcement de la lutte antiterroriste ou bien encore le rejet des coups d’État militaires. Lors de la présidence tournante de l’Union africaine (février 2022- février 2023), il a défendu les intérêts africains face à la guerre en Ukraine ainsi que la candidature de l’Afrique au G20.
Réforme constitutionnelle et troisième mandat
Parmi les autres axes majeurs du premier mandat de Macky Sall figurait la réforme constitutionnelle. Alors qu'il avait déclaré être "favorable à la limitation des mandats dans le temps", Macky Sall avait promis lors de la campagne le retour du quinquennat avec effet immédiat. Pourtant, lors de l’organisation du référendum sur ce nouveau texte, adopté en mars 2016, il avait finalement annoncé qu’il irait bien au bout de son septennat, comme préconisé par le Conseil constitutionnel. Cette décision avait alors fait débat, certains juristes affirmant que l’avis de l’institution n’était que consultative et que le président n’était pas tenu de la suivre.
Resté en sommeil après la réélection en 2019 du président, le sujet a resurgi lors de ses vœux du 31 décembre 2020. Interrogé par un journaliste sur la possibilité d’une nouvelle candidature, il avait répondu "ni oui, ni non".
"Ce débat, je le traiterai en temps voulu (…). Aujourd’hui, c’est le travail", déclarait-t-il un an plus tard lors d’une interview sur France 24. Se revendiquant "profondément démocrate", il avait alors assuré qu’il ne "poserait jamais un acte antidémocratique ou anticonstitutionnel", tout en rappelant la position du Conseil constitutionnel selon laquelle son septennat "est juridiquement hors de portée de la réforme puisqu’elle ne valait que pour l’avenir".
Tensions sociales
Depuis ces propos ambigus, la polémique n’a cessé de croître entre les soutiens du président, qui l’appelaient à se présenter, et ses opposants, qui l’accusaient de vouloir s’accrocher au pouvoir. Dans ce contexte, la condamnation à deux ans de prison du principal rival de Macky Sall, Ousmane Sonko, pour "corruption de la jeunesse" dans une affaire de viol présumé a mis le feu aux poudres, provoquant deux jours d’émeutes meurtrières dans ce pays, longtemps considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest.
En parallèle, ces derniers mois, plusieurs organisations comme Amnesty International ou Reporters sans frontières ont alerté sur "le contexte de restriction des libertés" dans le pays.
"La question du troisième mandat ajoutait à l’incertitude que nous connaissons actuellement au Sénégal", souligne Alioune Tine, fondateur du think tank sénégalais Afrikajom Center, spécialisé dans la défense des droits humains.
"L’article 27 de la Constitution est on ne peut plus clair : ‘Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs’. Macky Sall affirmait pour sa part qu'il avait le droit à un second quinquennat. Nous sommes soulagés qu'il y ait finalement renoncé", conclut-il.
Maintenant le suspense jusqu'au bout, le président sénégalais avait reçu, samedi, à deux jours de son annonce tant attendue, les 475 maires et 37 présidents de conseil départemental, signataires d’une pétition en faveur d'une nouvelle candidature. Lundi soir, lors de son discours, il leur a signifié "sa profonde reconnaissance", à défaut d'exaucer leur souhait.
David Rich