Côte d’Ivoire : La LIDHO « sort de la brousse » pour dire qu’ « Il faut sanctionner tous les coupables d’exactions sans considération de camp politique »
Publié le mercredi 21 septembre 2011 | IVOIREBUSINESS – Grâce à Notre voie (21/09), la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) est
Publié le mercredi 21 septembre 2011 | IVOIREBUSINESS – Grâce à Notre voie (21/09), la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) est
sortie de la brousse, c’est-à-dire de la clandestinité. Qui se souvenait de la Lidho ? Personne. Tous les gars des droits de l’homme, Lidho de Réné Okou Legré, Fidhop de Boga Sako, sont rentrés en brousse.
C’est vrai qu’on ne peut pas leur en vouloir, car c’était chaud. « Djo », qui est fou pour « dja », c’est-à-dire mourir, pour des « gaous ».
René Okou Légré, président intérimaire de la Lidho a même demandé qu’ “Il faut sanctionner tous les coupables d’exactions sans considération de camp politique”.
Ça c’est nouveau, mais c’est bien quand même.
Ça veut dire que les choses commencent à rentrer dans l’ordre. Tout doucement, mais ça vient quand même.
Réné Okou Legré a même fait une interview à Notre voie qu’on vous livre içi.
Tchééé, il « pale mal » (il s’exprime sans détours et n’élude aucune question).
Affaire à suivre (Nous y reviendrons).
Serge Touré
Notre Voie : Quel est le regard de la Lidho sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire ?
René Hokou Légré : La situation des droits de l’homme au regard de ce que nous avons vécu ces derniers mois, avec la guerre, est préoccupante. La guerre est le sommet des violations. La Côte d’Ivoire n’a pas échappé à la règle. Nous avons connu des situations qu’on ne pouvait pas imaginer dans ce pays épris de paix et de dialogue. On a vu venir les choses, mais les Ivoiriens dans leur foi en l’avenir de leur pays ont toujours pensé qu’il y aurait un sursaut d’orgueil qui pouvait nous permettre d’éviter cette confrontation. Ce conflit a été le cadre de très graves violations des droits de l’homme. Des atteintes graves à la vie. Une mort est une mort, mais une mort qui est causée dans des conditions qui sont celles qu’on a connues, dénote de la déshumanisation d’une partie importante de la population. Des personnes qui sont brûlées vives ; des personnes qui sont écartelées ; des femmes enceintes éventrées. Ce sont des situations qu’on ne pouvait pas imaginer quelques soient les récriminations des uns contre les autres. On a atteint les sommets en terme d’atteinte à la vie ; en terme d’atteinte aux libertés, même les plus élémentaires. On a fait un pas en arrière. Même les acquis les plus élémentaires ont été remis en cause. Liberté d’opinions, liberté de presse, tout y est passé.
N.V. : Est-ce que la guerre justifie toutes ces violations ?
R.H.L. : La guerre ne saurait justifier toutes ces violations. Mais il est de notoriété publique que la guerre créé les conditions de cette violation. Encore que la guerre est réglementée. On ne tire pas sur une personne désarmée ; on ne tire pas sur les populations civiles ; on ne tire pas sur une ambulance ; on ne tire pas sur des enfants. Pendant la guerre, le minimum qu’on demande, c’est le respect de la dignité humaine. Les règles humanitaires doivent être respectées, et ça n’a pas été le cas en Côte d’Ivoire. On avait l’impression que c’était l’occasion de s’exterminer pour se retrouver devant un pays sans hommes. Ce que les Ivoiriens ont vécu est terrible. En dépit de la présence de forces internationales ; d’une mobilisation exceptionnelle, ce qu’on a voulu éviter s’est passé, et dans des conditions dramatiques.
N.V. : Si des gens se sont délibérément livrés à des exactions, alors des sanctions s’imposent…
R.H.L. : Il y a des personnes qui ont été identifiées aussi bien par des organisations nationales qu’internationales de droits de l’homme, comme étant des commanditaires de ces crimes. Il y a des complices et des exécutants qui sont identifiés. Il faut que ces personnes sur la base d’enquêtes claires, soit inculpées et jugées. Il faut sanctionner tous ceux qui seront reconnus coupables, sans considération de camp politique.
N.V. : Justement le procureur de la République, Simplice Koffi Kouadio, soutient qu’il n’engagera pas de poursuites contre les forces pro-Ouattara, par exemple, qu’il considère comme les sauveurs. Réaction ?
R.H.L. : Un sauveur vient pour rétablir un ordre normal. Si on suppose que les populations étaient sous l’emprise d’un régime autoritaire. On vient pour rétablir un ordre différent et meilleur. Et donc les sauveurs devraient donner l’exemple du respect de la dignité humaine et de la vie. Mais on ne peut pas être sauveur et reproduire ce qu’on reprochait aux autres. Dans ces conditions, leur action de salut est entachée. On ne saurait passer sous silence les crimes qu’ils ont commis. Pour que la réconciliation advienne véritablement, il faut qu’une enquête impartiale puisse établir les responsabilités de sorte que tous les auteurs quels qu’ils soient et quelle que soit leur appartenance politique puissent être jugés. On ne peut pas de façon unilatérale faire l’impasse sur les violations qui sont commises par un camp, parce que ces violations seraient le fait de personnes qui seraient venus pour sauver la République ou une vision.
N.V. : Que dit la Lidho sur les exactions de Duékoué ?
R.H.L. : Nous y avons une représentation qui nous a donné une idée de la situation. Nous avons un rapport sur la situation qui est très grave. Nous avons des rapports d’organisations qu’on ne peut soupçonner d’accointances avec qui que ce soit et qui se sont penchés sur la situation. Il revient que ce sont des violations basées sur des considérations tribales et ethniques. Ce sont des gens d’une communauté donnée, qui ont été exterminés. Ce sont les enquêtes qui vont nous permettre de déterminer les responsables de ces crimes. On en a une idée générale, mais il est bon que les enquêtes diligentées par le gouvernement soient publiées pour qu’on les confronte avec celles des organisations nationales et internationales des droits de l’homme. Pour le moment, la situation est suffisamment fragile, pour qu’on n’en rajoute pas.
N.V. : Quelle réaction par rapport à l’occupation de certaines résidences privées ?
R.H.L. : C’est une réalité que des domiciles soient occupés. Il n’y a pas que les domiciles. Des sièges d’organisations privées, tels que les journaux, sont aussi occupés. Il est heureux de savoir que le siège de Notre Voie a été libéré. C’est une situation qu’on ne pouvait soutenir plus longtemps, parce qu’il s’agit d’une atteinte grave à la liberté de presse. On sait ce que représente Notre Voie, dans le paysage médiatique en Côte d’Ivoire. Il y a aussi des mairies, des conseils généraux qui sont occupés. Certains commencent à être libérés mais c’est une situation qu’on ne peut pas accepter. Ce sont des excès qu’on ne peut pas se permettre dans un Etat de droit. Pour ce qui concerne la Lidho, nous avons produit une déclaration dans ce sens, il y a quelques mois, pour demander que ces lieux ne soient plus occupés, qu’ils reviennent à leurs propriétaires. Il y va de la réconciliation entre les populations et du droit de chacun à vivre et s’épanouir dans son propre pays car la bonne gouvernance, c’est le respect des droits de l’homme.
N.V. : Comment jugez-vous l’attitude des pouvoirs publics face ces violations massives ?
R.H.L. : Si on s’en tient aux discours des pouvoirs publics, c’est une préoccupation pour les autorités. Mais dans les faits, il y a une lenteur dans les décisions qui dénote de ce qu’il y a une certaine gêne vis-à-vis des personnes qui occupent ces lieux. On a l’impression que ces personnes sont toutes puissantes et qu’elles peuvent se permettre d’occuper des lieux publics et privés sans qu’aucune autorité ne puisse changer la donne. Le gouvernement ne doit pas donner l’impression qu’il n’a aucune emprise sur ces personnes. Il y va de la crédibilité de son discours. Il faut mettre fin à ces situations qui sont dommageables à la cohésion nationale.
N.V. : Pensez-vous comme beaucoup Ivoiriens qu’on soit dans une situation de justice sélective préjudiciable à la réconciliation nationale ?
R.H.L. : Nous sommes une organisation des droits de l’homme. Nous luttons contre l’impunité, parce qu’elle fait le lit des violations des droits de l’homme. Si on est certain qu’on ne se retrouvera pas devant les tribunaux, en violant les droits de l’homme, il est clair qu’on agira sans retenue. On ne peut pas encourager l’impunité dans un Etat de droit. Donc la justice n’est pas incompatible avec la réconciliation. Maintenant, la justice, elle est pour tous. C’est-à-dire pour la même faute commise, il n’y a pas de raison que certains soient épargnés et que d’autres soient inculpés. Je ne parlerai pas ici de justice de vainqueurs, comme certains, mais on constate qu’il y a des personnes qui sont inculpées. Il y en a d’autres sur lesquelles pèsent les mêmes soupçons de violations des droits de l’homme qui ne sont pas inculpées. On espère que les gouvernants se donnent le temps d’inculper ces hommes, sinon, ce serait dommageable pour la cohésion sociale.
N.V. : Que pensez-vous de la détention des dignitaires de l’ex-régime ?
R.H.L. : Nous avons réagi par une déclaration. Et nous avons associé à cette déclaration la position des organisations sœurs pour dénoncer les conditions de détention des barons du régime déchu. Nous avons estimé que cela relevait d’une atteinte à leur dignité. On peut reprocher des choses à des gens, mais il faut admettre que ce sont des êtres humains. Il faut donc leur éviter les traitements dégradants et humiliants. Il y a eu une réaction prompte des organisations internationales à cette déclaration. Des visites ont été conduites sur les lieux. Nous pensons qu’il y a eu une amélioration.
N.V. : Pensez-vous que le fait de vouloir traduire certaines personnes devant la Cpi peut aider à la réconciliation ?
R.H.L. : En réalité, la Cour Pénale Internationale (Cpi) est une juridiction internationale qui intervient pour juger les auteurs de crimes de sang, de crimes contre l’humanité en cas de manque de volonté ou de défaillance des juridictions nationales. Or dans notre cas, le pouvoir judiciaire a déjà inculpé des personnalités pour des crimes économiques à l’occasion de la crise postélectorale et se propose même de les juger en Côte d’Ivoire. En conséquence, nous estimons à la Lidho que l’Etat de Côte d’Ivoire devrait prendre ses responsabilités. Quand on se tourne vers la Cpi, on traduit deux choses. Soit, il y a un manque de volonté de juger sur place ; soit, il y a une incapacité à juger. Il serait indiqué que les personnes à qui on reproche un certain nombre de choses soient jugées en Côte d’Ivoire, devant les Ivoiriens, pour que tout le monde comprenne ce qui s’est réellement passé et qu’on en tire les leçons. Qui sont les commanditaires ? Qui sont les exécutants ? Quels étaient leurs complices ? A la Cpi, on prête, en quelque sorte, notre préoccupation à la communauté internationale. Et refuser de juger ces personnes en Côte d’Ivoire traduirait l’incapacité de notre système judiciaire à connaitre des infractions commises sur le territoire national. Or la justice constitue un élément de la souveraineté. Dans ce sens, la justice doit être indépendante, juste et équitable afin de rassurer toutes les populations vivant en Côte d’Ivoire. Mais le plus important c’est de juger tous les auteurs des graves violations des droits de l’homme quelle que soit la juridiction pour éviter les frustrations et les ressentiments. C’est à cette condition essentielle que la Côte d’Ivoire peut parvenir à une réconciliation véritable et à une paix durable.
Entretien réalisé par
César Ebrokié in Notre Voie
ebrokie2@yahoo.fr