Côte d’Ivoire: Les licenciements abusifs, sur fond de rattrapage ethnique, reprennent au Port d’Abidjan

Par Le Nouveau Courrier - Les licenciements abusifs, sur fond de rattrapage ethnique, reprennent au Port d’Abidjan.

Depuis le 10 décembre dernier, un mauvais vent à fort relent de rattrappage ethnique souffle sur le port autonome d’Abidjan (PAA), qui va plonger plus d’une centaine de travailleurs dans l’incertitude et le désarroi en cette periode de fin d’année.
La direction générale a porté à la
connaissance des partenaires sociaux – délégués du personnel, syndicats, etc., sa décision de concéder dès début janvier 2014 à la Société ivoirienne de remorquage (IRES) l’activité de lamanage. 120 lamaneurs, des travailleurs qui procèdent au remorquage des navires devant entrer à quai et aux activités de sauvetage, devraient percevoir à la fin de ce mois leur dernier salaire du port d’Abidjan. «La société IRES hérite d’un effectif de 120 lamaneurs (leur liste jointe au document) dont tous les avantages sociaux sont conservés (les dispositions actuelles de l’assurance maladie), les salaires et accessoires de salaires sont conservés (primes de rendement trimestrielles…), ainsi que les catégories socioprofessionnelles et l’ancienneté acquise au PAA», indique la note de service de la direction générale dont Le Nouveau Courrier a obtenu copie. Comme en 2011, la liste des infortunés sera certainement affichée après les fêtes de fin d’année.
Un tas d’incongruités entoure ce dossier. Et à l’analyse, il s’agit d’un licenciement
déguisé en dépit des clauses de la cession de l’activité de lamanage qui tendent à faire croire que les droits des travailleurs ont été préservés. Selon nos informations, l’IRES qui ne peut prétendre avoir les mêmes capacités que le PAA a déjà signifié qu’il n’a besoin que d’une soixantaine de personnes pour fonctionner. Il n’y a dans ces conditions aucun doute que la direction générale a choisi, en procédant ainsi à la concession de l’activité à une entité privée,
d’envoyer des travailleurs indésirables à l’abattoir. Car il est clair que dans les mois qui vont suivre, tout sera mis en oeuvre pour se séparer d’au moins la moitié d’entre eux abusivement. Comme le régime Ouattara en a l’habitude. «On demande à la Société ivoirienne de remorquage (IRES) de choisir. Mais pourquoi ne pas payer les droits de ces travailleurs correctement avant de les reverser dans les effectifs de la société à des Portugais ?», s’indigne un groupe d’agents du port qui s’est ouvert à nous, sous le sceau de l’anonymat.
Jusque-là, les lamaneurs, ceux qu’on appelle dans le jargon les gabiers, font
partie du personnel du port. C’est un choix que le port a fait, explique le sachant. Dans d’autres ports, le lamanage est privatisé, parce que leur statut le permet. L’IRES qui était liée au port - fournissait la logistique nécessaire pour le remorquage des navires entrants. Les lamaneurs qui travaillent sur les remorqueurs qui font entrer les bateaux à quai sur instruction du commandant de bord.
Le sauvetage sur l’eau est également l’une de leurs prérogatives. «Aujourd’hui, la direction générale veut concéder le lamanage. Les 120 lamaneurs seront déversés dans la société. Alors que sur la base de la convention,
le PAA était actionnaire dans l’entreprise afin de pouvoir surveiller leurs actions», ne décolèrent pas nos interlocuteurs.
Ce qui est absurde, à les entendre, c’est d’abord qu’il n’y a pas eu d’appel d’offres pour cette concession d’activités qui porte sur de gros chiffres.
Deuxièmement, le directeur général agit toujours comme s’il n’y avait pas de
conseil d’administration. Aucune note de cette instance n’accompagne l’argumentaire du DG. Dans les faits, Hien Sié
piétine les prérogatives du conseil d’administration quasiment inexistant. Pour un projet d’une telle ampleur, le conseil d’administration devrait avoir voix au
chapitre, étant donné que c’est cet organe qui est habilité à valider les orientations que la direction générale
veut prendre. «Se débarrasser d’une activité aussi importante que le lamanage, qui emploie plus de 250 personnes,
c’est appliquer une politique d’orientation. Décider de ne plus faire du lamanage et concéder cette activité,
c’est changer d’orientation. Et une telle décision devrait être d’abord validée par le conseil d’administration qui doit l’autoriser
à dérouler son plan. Cela n’a pas été le cas. Hien Sié agit donc en violation
des statuts du port», accusent les travailleurs. Aussi font-ils remarquer que vu l’importance du dossier, le gouvernement
devrait normalement être saisi et le sujet débattu en conseil des ministres.
En réalité, l’objectif – encore une fois – serait de caser les ex-rebelles ou combattants
auxquels le régime est redevable, comme ça été le cas en 2011, quand une partie du personnel avait été licenciée.
Il s’agit donc de se séparer de travailleurs taxés de pro-Gbagbo qui seront très vite remplacés par les chouchous du régime. En 2011, il y avait entre 240
et 250 lamaneurs au PAA. A l’avènement du régime Ouattara, après le 11 avril, ils
ont licencié 70 d’entre eux et cette foisci, ce sont 120 travailleurs qui sont visés. On se rend compte ainsi que le
port garde tout de même un certain nombre de lamaneurs au sein de son personnel. Là encore on se demande pourquoi une telle décision à partir du
moment où l’activité est jugée non rentable et concédée à une entreprise privée.
Sur quels critères les uns ont-ils été mis à la disposition de l’IRES et les
autres maintenus à leurs postes ? Dans un souci de transparence, pensent des spécialistes de l’activité portuaire, la direction générale doit rendre public le
quitus – s’il l’a obtenu – du conseil d’administration et les critères de
sélection. Pis, sur la liste des travailleurs dans le viseur de la direction générale, on constate que tous ne sont
pas des lamaneurs. C’est le cas, entre autres, d’un chauffeur et d’une dame qui
servait à la radio au niveau du phare. «Le directeur général Hien Sié n’étant
pas jusque-là confirmé à son poste, près de trois ans après la prise du pouvoir par Ouattara, il se sent obligé de
recruter des ex-rebelles pour s’attirer les faveurs du régime. Quand Ouattara se rend à Bouaké et promet de trouver
du travail à ses bienfaiteurs, des patrons de sociétés d’Etat comme le directeur général par intérim se sentent
obligés de s’exécuter. Encore et toujours le rattrapage, le favoritisme !», s’exclame un de nos interlocuteurs.
Par ailleurs, au plan administratif, il est choquant de savoir qu’une telle note est signée du directeur des ressources
humaines, Méité Fofana. D’autant plus que c’est le directeur général qui embauche et c’est lui qui a la responsabilité
de licencier, selon les statuts du port. Selon les travailleurs mécontents, chaque fois qu’il s’agit de prendre une mesure impopulaire, il prête le stylo à la direction des ressources humaines.

Par Emmanuel Akagni
NB: Le titre est de la rédaction.