Centrafrique - Tribune: Le peuple centrafricain doit sortir de l’impasse, Par Marie-Reine Hassen
Par correspondance particulière - Le peuple centrafricain doit sortir de l’impasse.
Depuis que le 24 mars 2013, une coalition hétéroclite de divers mouvements rebelles issus du Nord, la Séléka, a renversé par les armes le président François Bozizé, le territoire entier est plongé dans le chaos et soumis aux pillages en règle et aux exactions en tous genres. Les atrocités de cette nébuleuse sont commises sur l’ensemble des 76 sous-préfectures du pays, et la capitale Bangui est totalement dévastée. Rien n’a été épargné : les hôpitaux, les orphelinats, les églises (surtout catholiques), les prêtres et les religieuses, les enfants, les écoles, les
administrations (y compris les mairies et les ministères), les commerces et les domiciles…Les bureaux de tous les acteurs humanitaires ont été pillés et détruits, privant les blessés et les réfugiés de vivres et de soins nécessaires.
Tous les secteurs socio-économiques ont été affectés. Le climat des affaires n’a jamais été aussi catastrophique.
A plusieurs reprises les institutions internationales ont tiré la sonnette d’alarme. Le HCR s'inquiète des meurtres, viols, pillages, arrestations arbitraires, tortures et recrutements d’enfants.
Le 25 avril 2013, Leila Zerrougui, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les enfants s’inquiétait publiquement du sort que leur réserve la Séléka, notamment en les enrôlant de force dans ses rangs.
L’accroissement de l’anarchie a poussé d’innombrables personnes à fuir le pays ou à se réfugier dans la brousse. Suite à la violence des derniers mois dans le pays, l’ONU estime à 173.000 le nombre de déplacés internes, et à près de 50.000 le nombre de réfugiés à l’extérieur du pays. La violence et l'insécurité ont atteint leur paroxysme et les centrafricains, traumatisés par les exactions, vivent dans la terreur. Le peuple centrafricain est en danger d'extermination ; il
survit dans des conditions insupportables et inacceptables.
La Séléka et son président autoproclamé ont démontré leur incapacité à ramener l’ordre et la sécurité dans le pays ainsi qu’à rassurer les Centrafricains et la communauté internationale. Le nouveau dirigeant Djotodja n’arrive pas à imposer la discipline à ses milices disparates. La horde incohérente n’a aucun projet de société et aucune vision pour le futur de la RCA. Le bilan de cette prise de pouvoir est désastreux.
Le Premier ministre Nicolas Tiangaye, adoubé par la CEEAC et censé être l’acteur clé de la transition en RCA, se retrouve otage de la Séléka et caution à la destruction du pays. Après le « Tsunami Séléka », le gouvernement n’a procédé à aucune évaluation des besoins urgents du pays et de sa population. M. Tiangaye s’est rendu à Paris, puis à Bruxelles, pour rencontrer les bailleurs de fonds sans aucun dossier crédible à défendre. Dans ces conditions, les discours pour demander une aide d’urgence ne sont d’aucune efficacité. Les institutions financières
internationales et les autres bailleurs de fonds préfèrent s’abstenir, privant ainsi le pays d’aide financière extérieure. Ils savent que tous les fonds qui seraient alloués à la RCA tomberaient inévitablement dans l’escarcelle des bandits. Pire encore : ils ne feraient qu’alimenter le terrorisme.
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La RCA est donc totalement écartée de la scène internationale. Ne pas agir en Centrafrique avant les élections attendues et imposées dans 18 mois, c’est continuer à fermer les yeux sur les massacres à grande échelle qui s’y perpétuent. Dans les conditions actuelles, la tenue d’élections crédibles à cette échéance est impossible sans le retour de la sécurité dans le pays.
L’on constate aujourd’hui que ni les nombreux sommets, ni les multiples dialogues, ni les diverses réunions, ni les innombrables appels et suppliques, n’ont ramené la paix dans le pays et la sécurité au sein des populations de la RCA. Dans mes nombreuses analyses, diffusées par la voie de presse audiovisuelle ou écrites, j’ai insisté de manière constante sur l’urgence de s’attaquer très rapidement aux racines de l'instabilité pour éviter un affrontement armé
généralisé. Ce que je craignais est malheureusement arrivé. Aujourd’hui le pays est paralysé.
Pour en sortir, il convient d’abord d’enrayer les conditions de l’émergence de nouvelles rébellions. Ensuite, les dirigeants doivent mettre en oeuvre un ensemble de réformes de structure pour reconstruire le pays sur de nouvelles bases. Pour réussir ces défis, il faut installer les conditions nécessaires à ce processus à travers la tenue d’une « conférence nationale souveraine » visant à débattre publiquement, clairement et ouvertement des maux de la RCA et de leur résolution.
UNE CONFERENCE NATIONALE SOUVERAINE
La solution de sortie de crise rapide et définitive est la tenue d’une Conférence Nationale
Souveraine avec différentes commissions dont une « Commission Vérité, Justice et Réconciliation » qui sont des instruments destinés à mettre fin à l’impunité, aux pillages, aux destructions afin de construire un Etat de droit, les fondements du développement et une paix durable. En RCA, la « Commission Vérité, Justice et Réconciliation » initierait un processus de stabilité de la paix à long terme. La gestion post-conflit implique des soins progressifs mais définitifs de celles et ceux qui ont été déchirés par le conflit, et dont les plaies ont été laissées béantes dans les chairs et dans les coeurs. Il est fondamental de
s’employer très rapidement à panser les blessures des victimes : créer des centres d’accueil et d’adoption des orphelins, fournir des compensations matérielles, reconstruire les habitations, accompagner tout particulièrement les femmes victimes de viols. L’impunité et les amnisties sont trop douloureuses pour les victimes qui ont besoin d’une reconnaissance publique de leurs droits,
de leurs souffrances, et des réparations matérielles et financières. Le passé des Centrafricains est très lourd ; ils ont besoin de s’en libérer pour se tourner vers le futur. C’est seulement sur la base de la vérité assumée et de la justice rendue aux victimes qu’une véritable réconciliation nationale peut avoir lieu. Les préoccupations profondes et prioritaires des différentes composantes de la société doivent être prises en compte. La société centrafricaine a besoin de se reconstruire par-delà les divisions et les luttes du passé, et d’exister comme nation fondée
sur la reconnaissance des droits de l’homme et de la démocratie.
Un gouvernement de transition doit avoir la lourde tâche de faire face au passé et aux violations perpétrées par l’État, les rébellions et les brigands, tout en préparant l’avenir à travers une société démocratique fondée sur l'Etat de droit. Selon Jose Alvarez, professeur de droit international à l’université de Columbia, « les commissions de vérité sont des outils indispensables pour
établir la vérité sur les crimes passés, un moyen pour dédommager les victimes et des instruments pour promouvoir la paix et la réconciliation ». Une Commission permet le
rétablissement de la confiance des citoyens dans les institutions nationales, et offre aux
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personnes touchées directement ou indirectement par les séquelles des crises l’occasion de
communiquer leurs récits et expériences.
Les rapports d’une commission de ce type éclaircissent, documentent et établissent les faits du
passé, et débouchent sur une discussion publique. Cette documentation fait partie de la
conscience nationale ; elle permet de créer une culture des droits de l’homme et d’empêcher que
de tels crimes ne se reproduisent. Ce processus permet donc de construire une mémoire
collective plus juste qui, tout en intégrant l’histoire des exactions, permettrait de bâtir des
projets communs et non d’entretenir la vengeance. Les mesures de transition ne pouvant avoir
lieu dans le vide, il faut les renforcer avec d’autres mesures d’établissement de la paix et de
développement, y compris avec des programmes DDR, la mise en place des Pôles régionaux de
développement et le micro-financement des initiatives économiques.
Le succès du Rwanda dans la réconciliation, la reconstruction et le développement depuis la fin
de l’un des conflits les plus violents du 20ème siècle repose sur la combinaison de leadership,
d’appropriation nationale, d’exercice de la justice nationale et internationale, et de
méthodologies innovantes en matière de gouvernance ainsi que dans la création d’emplois avec
l’appui de la communauté internationale.
Ce grand débat doit avoir lieu pour que les dirigeants centrafricains comprennent enfin
qu’ils doivent gouverner pour le peuple et non contre le peuple.
La tenue immédiate de cette « Conférence Nationale Souveraine » est l’étape cruciale et
déterminante pour réussir la transition et jeter les fondations solides de la reconstruction.
Ce sera l’occasion de mener une psychanalyse publique et globale : qu’avons-nous fait, ou pas
fait, pour plonger notre pays dans cette tragédie.
La Conférence Nationale Souveraine devra :
•se prononcer sur les voies et moyens de la réconciliation nationale ;
•convoquer les associations de femmes, tous les acteurs des organisations politiques,
économiques et sociales, les acteurs indépendants, les associations représentatives
diverses, les organisations syndicales, les représentants de la société civile, les
représentants des Centrafricains de l’extérieur, les représentants des organisations
régionales (agriculteurs, éleveurs, artisans…), les représentants des associations
culturelles et des communautés religieuses, les associations des Jeunes… Toutes les voix
de la société centrafricaine devront y être représentées et entendues.
•être dirigée par des personnalités indépendantes et de grande probité.
•délibérer pour identifier les candidats, puis procéder à l’élection du collège appelé à
diriger le pays pendant la transition. Le peuple pourra ainsi effectuer son choix en
connaissance de cause, car un vote démocratique n’est pas une loterie.
•permettre aux Centrafricains de mettre en place l’organisation de la transition et :
- décider dans le calme des différentes procédures à mettre en place : l’identification
de nos priorités, la sécurité nationale, la reconstruction….
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- définir un agenda des chantiers précis et prioritaires à mener par le collège de
dirigeants (éducation, santé, sécurité, justice, infrastructures…)
- déterminer le délai de la transition et de la sortie de cette transition par les élections
générales (législatives et présidentielles).
•demander à la Cour pénale internationale (CPI) de poursuivre les auteurs de tous les
crimes et violations des droits de l’homme en République Centrafricaine.
Le collège, composé d’une vingtaine de personnes choisies parmi les différents représentants,
sera comptable de la transition : il rendra compte au peuple centrafricain à l’issue de la transition,
juste avant les élections.
La Conférence Nationale Souveraine devra réaffirmer l’organisation politique et économique du
pays en s’appuyant sur le principe « ORC » (définition des orientations des politiques publiques,
organisation des réglementations et des régulations pour le fonctionnement de l’Etat, installation
des organes de contrôle et de sanction à tous les niveaux du pays).
La Conférence mettra en place un comité de suivi pour garantir l’application des décisions
prises durant les débats qui dureront de deux à quatre semaines.
La Conférence Nationale devra mettre un accent particulier sur les trois volets suivants :
1° Le volet sécuritaire
La mise en oeuvre du programme DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) ne pacifiera
pas la RCA. Ce vieux dossier n'a jamais évolué sous le régime Bozizé. Les programmes DDR
constituent pourtant un instrument important de gestion des sorties de conflits armés lorsque ces
programmes intègrent suffisamment les données socioculturelles locales, et qu’ils contribuent
réellement à créer les conditions professionnelles et économiques favorables au retour à la
paix et à la réinsertion effective des anciens combattants. Dans le cas de la RCA, les options de
réintégration proposées sont inadaptées au contexte local. La volonté politique des acteurs
nationaux est très faible, et les bailleurs ont encore une approche techniciste de leur appui au
processus. Enfin et surtout, le programme DDR est devenu un vrai business à la gestion
totalement opaque, dont les détournements réguliers de fonds ont énormément profité au
président Bozizé et à un certain nombre de personnes de son entourage. Le développement rural
est nécessaire au succès du DDR. C’est ainsi que la Commission Européenne a mis sur pied un
programme de Pôles de développement qui n’a jamais démarré.
Bien que le DDR demeure un élément central de tout processus de paix, sans une stratégie
globale de réformes exhaustives adressant les causes profondes de l'insécurité, le DDR ne
saurait constituer à lui seul un processus de paix efficace sur le long terme. La dimension
régionale des conflits nécessite une stratégie concertée de la résolution globale des conflits à
l’échelle régionale. Comme les menaces, les crises et les conflits revêtent un caractère
transnational, les mécanismes de gestion devraient s’appliquer en même temps à un ensemble
régional. A cet égard, les mécanismes régionaux de prévention et de règlement tels que le
Conseil de Paix et de Sécurité (COPAX) de la CEEAC et le récent « Pacte de Non-agression, de
Solidarité et d’Assistance Mutuelle » de la CEMAC doivent être privilégiés.
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Dans l’immédiat, la RCA a besoin d’une Coopération internationale de sécurité avec une
force d’intervention de 7.000 hommes pour rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire
et maintenir la paix.
La FOMAC et les FACA, noyau central de la sécurité centrafricaine, comprendraient 3.000
éléments. Cette organisation serait élargie à l’Union africaine avec 3.000 éléments. Les
instructeurs, chargés de l’appui et de l’encadrement, garants de la sécurité internationale, seraient
français, avec 1.000 éléments de l’armée. La Conférence Nationale se tiendra ainsi sous haute
protection de cette force régionale et internationale.
2° Le volet financier
Sachant que les financements de la Conférence Nationale Souveraine viendront de l’extérieur, les
circuits de financement devront être systématiquement audités par des cabinets internationaux
pour éviter les détournements et l’alimentation du terrorisme.
3° Le volet gouvernance
Les difficultés des gouvernements durant les trois dernières décennies trouvent leur origine dans
leur composition et dans leur incapacité administrative à oeuvrer pour la protection de la
population et pour le développement. De la qualité des membres de l’équipe gouvernementale
dépendra l’efficacité de toutes les actions à mener. Une équipe gouvernementale compétente
et redynamisée apaiserait les tensions politiques. Il est impératif pour la RCA d’avoir recours à
de nouvelles ressources humaines, techniques et politiques, de recourir à des techniques
modernes pour changer le mode de gouvernance et gérer les programmes. Par conséquent, la
définition des compétences requises pour chaque portefeuille devient
incontournable. Diriger un ministère, c’est manager une équipe et gérer des compétences. Les
ministres doivent donc être des managers expérimentés et intègres. En plus des qualifications qui
ne suffisent pas à elles seules, il faut de l’expérience professionnelle et la connaissance de
terrain, surtout pour un gouvernement de transition dont le temps de l’action est contraint et dont
les membres doivent être immédiatement opérationnels. L’intégrité morale des membres d’un
bon gouvernement est l’un des ingrédients qui fera renaître la confiance de la communauté
internationale et des bailleurs de fonds, et rétablira la crédibilité de la RCA. Ces critères de
qualité devront être appliqués à tous les agents de l’administration publique et à toutes les
instances de gestion de l’Etat.
Une contribution de Marie-Reine Hassen
Ancien ministre des Affaires Etrangères
Ancienne candidate à l’élection présidentielle
E-mail : mrc.centrafrique@gmail.com