Le système de retraite par capitalisation : la solution pour une large couverture sociale en Côte d’Ivoire, Dr Prao Yao Séraphin

Le 02 janvier 2013 par IVOIREBUSINESS - Texte proposé par Dr Prao Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER

La structure démographique a des effets sur certaines variables macroéconomiques comme l’épargne, l’investissement et le taux de croissance. Il en découle que le rapport de dépendance démographique peut influencer l'épargne domestique et partant la croissance économique. Avec la tendance mondiale à la chute des taux de mortalité et de fécondité, les pyramide des âges se modifient avec un accroissement de la part occupée par les personnes âgées. D'ici 2050, le nombre de personnes âgées, en Afrique, dépassera 200 millions, et les femmes auront une espérance de vie supérieure de 3 à 5 ans supérieure à celle des hommes (ISSA, 2008).
En Côte d’Ivoire, la démographie est caractérisée par une baisse progressive du taux de natalité et de la mortalité, et l’allongement de la durée de la vie en raison des progrès de l’hygiène, de l’alimentation, de l’éducation et de la médecine. Selon les statistiques des Nations Unies, le taux de mortalité et l’indice synthétique de fécondité sont respectivement passés de 600 pour 1000 et 6,5 enfants par femme en 1990 à 116,9 pour 1000 et 4,5 enfants par femme en 2007. Quant à l’espérance de vie à la naissance et le taux de survie des personnes âgées de plus de 60 ans qui étaient de 47,9 ans et 40,2 en 2000, ces chiffres passeront respectivement à 60,4 ans et 60,1 en 2025 et à 68,1 ans et 73,5 en 2050 (United Nations, 2008). Ces statistiques appellent à repenser les systèmes de retraite, particulièrement en Afrique où les caisses de retraite enregistrent des déficits prévisionnels importants.
Cette réflexion a une seule ambition : montrer que le système de retraite par capitalisation est à la fois un moyen de sauver les retraites et d’élargir la couverture sociale à un grand nombre. Nous présentons d’abord les données démographiques et les analyses afférentes. Ensuite les mesures prises pour traiter les déficits des caisses de retraite. Enfin, les avantages du système de retraite par capitalisation.

1. Présentation des données et analyse

1.1. Le cas général des pays africains

L’Association Internationale de la Sécurité Sociale (AISS) estime à environ 40 millions le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus sur le continent. Ce chiffre devrait doubler en 2030 et dépasser les 200 millions en 2050. Selon la Banque Mondiale, environ 90% de la population active ne bénéficie d’aucune couverture sociale. Les privilégiés qui peuvent compter sur une pension de retraite sont les travailleurs du secteur public, les salariés des entreprises privées les plus importantes, ainsi que les cadres des multinationales, des organismes internationaux ou des banques, qui cotisent parfois à deux caisses, celle de l’Etat et celle de l’entreprise. D’un autre côté, les indépendants, les personnes à faibles revenus, les intermittents et les personnes évoluant dans l’informel sont laissées pour compte. Certaines personnes ignorent même l’existence des systèmes de retraite.
Presque tous les régimes de retraite d’Afrique subsaharienne sont calqués sur le modèle français. Le système de retraite par répartition peine à trouver ses marques du fait de la faiblesse de la création d’emplois. Ainsi la capacité des actifs à cotiser pour les inactifs s’amenuise. De six pour un dans les années 70 et 80 au Sénégal, on est passé à deux pour un en 2010. D'une manière générale, les régimes de retraite sont très faibles et en proie à de fortes pressions sur leurs trésoreries. En Afrique de l’ouest, la Côte d'Ivoire et le Sénégal sont des exemples patents du dysfonctionnement du système de retraite.

1.2. Le cas spécifique de la Côte d’Ivoire

En Côte d'Ivoire, le nombre des personnes âgées a été multiplié par 2,6 en 23 ans, passant de 233 745 en 1975 à 604 934 en 1998. En rapport au postulat démographique, en Côte d'Ivoire, on note un vieillissement progressif de la population : le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans est passé de 3,5% en 1975 à 3,9% en 1999, soit au moins 2,5 fois l'effectif collecté de 1975. Notre pays est engagé dans un processus de vieillissement démographique. Certes la transition démographique n'est pas encore constatée mais, la dynamique du nombre des personnes âgées se constate. On assiste à une augmentation de la part des personnes âgées de plus de 60 ans dans la population ivoirienne, accroissant de ce fait l'importance des inactifs. Et l’analyse de l’impact économique du vieillissement dans ses dimensions croissance et structure par âges de la population se rapporte essentiellement à la question des comportements d’épargne corrélés avec l’âge, avec les conséquences sur le volume d’épargne disponible dans l’économie. L’économie ivoirienne se dirige-t-elle vers un tarissement de l’épargne à cause du nombre élevé de vieux ? La réponse découle des statistiques suivantes : la part de la population de 65 et plus en pourcentage de la population totale a connu une croissance de 56% en 50 ans. Pour l’ensemble de la période 1960-2010, on enregistre une moyenne annuelle de 2,7. C’est en 2010 qu'on enregistre le plus haut niveau (3,8) et c'est en 1960 qu'on enregistre le plus bas niveau (2,4). Au niveau de la population de 15 ans à 64 ans (% de la population totale), cette part enregistre sur la même période une croissance de 3% en 50 ans. Pour l'ensemble de la période 1960-2010, on enregistre une moyenne annuelle de 53,2. C'est en 2010 qu'on enregistre le plus haut niveau (55,3) et c'est en 1983 qu'on enregistre le plus bas niveau (51,5). Les ratios de dépendance sont très élevés en Côte d’Ivoire. 93, 2 % en 1975, 100,9% en 1988, 88, 3% en 1998, 72,7% en 2009 et 80% en 2011. En 2003, le taux de dépendance était de 142 personnes inactives pour 100 personnes actives. Le ratio de dépendance démographique est le ratio des personnes inactives de moins de 15 ans et de plus de 64 ans par rapport à la population en âge de travailler, les personnes âgées de 15 à 64 ans. Le ratio représente la proportion des personnes inactives par rapport à 100 personnes en âge de travailler. Début 2010, le taux de couverture sociale de la population active de la Côte d’Ivoire, était d’environ 15% .

2. Le traitement des déficits des caisses de retraite

2.1. Le système de retraite par répartition

Le système de retraite par répartition fonctionne comme suit : les cotisations prélevées sur les salaires sont versées à des caisses qui les utilisent presque aussitôt pour payer les pensions de retraite. La répartition est un pacte de solidarité intergénérationnel reposant sur 3 principes : Principe 1 : les cotisations versées par les actifs servent à payer immédiatement les retraites. Principe 2 : par leurs cotisations, les actifs se génèrent des droits pour leur future retraite. Principe 3 : le montant des retraites servies en répartition ne doit pas être déconnecté à l’excès du revenu d’activité. A défaut de quoi, le pacte de solidarité intergénérationnel ne serait qu’une aumône ou une incantation. C’est donc l'exercice de la solidarité intergénérationnelle

2.2. Les causes des déficits des caisses de retraite

La Caisse générale des retraités et agents de l’Etat (Cgrae) de Côte d’Ivoire accuse un déficit prévisionnel de 50 milliards de FCFA depuis plusieurs années. En 2011, au niveau de la CNPS, on a atteint plus de 100 milliards de déficits. Les causes des déficits sont structurelles.
- Le chômage qui est grandissant à cause, entre autres éléments, des licenciements consécutifs à la privatisation tout azimut et à la récession économique. Selon l’INS, le taux de chômage officiel était de 18% pour cent en Mars 2010 et il a augmenté à plus de 20% pourcent en Mars 2012. Selon nos informations, l'annonce de la tendance à la hausse serait issue d'un rapport sur le marché du travail pour l'année 2012 qui aurait été commandé par le président Ouattara. Cette étude évoque des statistiques de hausse qui avoisinent les 25% de la population active en âge de travailler, estimée à plus de 11 millions d'individus en Côte d'Ivoire .Le président avait fait la promesse de créer un million d’emplois en 5 ans soit 200 milles emplois par an.
- Le nombre de retraités augmente.
- Il y a également le fait que le régime de retraite de la Cnps promet plus qu’il ne collecte, car le taux de cotisation proposé ne permet plus de financer les prestations de la branche .
- Et le nombre de départs annuels à la retraite va être multiplié par plus de 3 entre 2010 et 2055.
- Il faut aussi prendre en considération que du fait de l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre d’années pendant lesquelles un individu perçoit sa pension ne cesse d’augmenter ;
- A la Cgrae, le nombre de cotisants pour un retraité passera de 4 en 2010 à 1,5 en 2050. Par exemple, la Cgrae a au cours de l’exercice 2006, distribué environ 115 milliards F CFA aux 60.000 pensionnés qu’elle gère.
- Des retards importants dans la liquidation et la transmission des dossiers de retraite par le Ministère de la Fonction Publique et de l’Emploi.

2.3. Les mesures prises

Le gouvernement ivoirien a pris des mesures pour contenir les déficits. A la Cgrae, parmi ces mesures, figurent le relèvement dès 2012 du taux de cotisation (de 18 à 25%, dont 2/3 à la charge de l’Etat et 1/3 à la charge de l’employé), l’allongement de l’âge de départ à la retraite, de 57 à 60 ans pour les personnels civils de la catégorie D à A, grade A3 et de 60 à 65 ans, pour les personnels civils de la catégorie A, grades A4 à A7.
Il fallait procéder à une réforme complète du système. Une institution de prévoyance sociale est, par définition, une société de personnes de droit privé. Elle se caractérise par sa gestion paritaire et un éventail de prestations, dans le cadre de sa mission de couverture des risques de la vie que sont la maladie, l’incapacité de travail, l’invalidité et le décès. Comme une mutuelle, elle est à but non lucratif. Les excédents financiers dégagés par son activité servent, non pas à rétribuer des actionnaires (qui n’existent pas), mais à proposer de nouvelles garanties, à améliorer les garanties déjà existantes, à renforcer la qualité de ses services ou la sécurité de ses engagements. Un peu trop adossée, jusqu’ici, aux institutions étatiques, la Cgrae, dans ce nouveau schéma, ne sera plus soumise au régime fiscal ordinaire. Elle disposera, par ailleurs, d’une autonomie de gestion et pourra faire des placements de fonds.
A la CNPS, la réforme concerne plusieurs paramètres, à savoir l’âge de la retraite où l’on note un rallongement de 5 ans, mais aussi le taux de cotisation qui passe de 8 à 12 % en 2012 et de 14 % en 2013, la base de calcul des pensions qui prend en compte les 15 meilleures années contrairement à 10 ans dans l’ancien système, la revalorisation des pensions qui tiendra compte du coût de la vie, le plafond de cotisation qui ne sera plus indexé au Smig, enfin, l’augmentation de l’âge limite de l’enfant donnant droit à la bonification. Pour le gouvernement, en augmentant le taux de cotisation et en repoussant l’âge de la retraite, l’on s’assure d’un équilibre sur vingt ans au moins en ce qui concerne notre système de sécurité sociale.
Dans l’ancienne disposition, l’employeur endossait 60% et le travailleur, 40%. Mais dans les nouvelles dispositions, la part de l’employeur s’élève à 55% tandis que les 45 % reviennent au travailleur. Ici, le travailleur cotise un peu plus.

3. Le système de retraite par capitalisation est la solution pour élargir la couverture sociale à tous.

3.1. Le système de retraite par répartition et la faible couverture sociale

Il a été dit plus haut que seulement 15% de la population bénéficie d’une couverture sociale. Selon M. N’Doumi , «8% seulement des employeurs cotisent à la CNPS pour leurs employés». C’est donc dire que près de 92% d’employeurs pratiquant « l’évasion sociale ». Cette faible couverture sociale est en partie, le reflet de la structure du système productif ivoirien marqué par un secteur agricole dominant et un poids important de l’emploi informel. Les régimes de sécurité sociale en Afrique ont été introduits par la colonisation, comme ce fut le cas dans de nombreux pays d’Afrique. Ces systèmes, destinés au départ aux colons faisant partie du personnel administratif et militaire, se sont étendus à la population lorsque l’administration coloniale a recruté du personnel local. Cette extension n’a donc concerné qu’une infime partie de la population, laissant plusieurs secteurs comme le secteur agricole sans couverture sociale (plus de 90% de la population à l’époque) . Aujourd’hui encore, le système des pensions a gardé les principales caractéristiques du modèle colonial, et est de nature « bismarkienne » : il est contributif, obligatoire, centré sur les salariés. Dans ces conditions, une part importante de la population active ne cotise pas en vue de la retraite et se trouve exclue de tout système de protection.
En Côte d’Ivoire, la part de l’emploi informel a doublé entre 1980 et 1995, passant de 12,7% de l’emploi total en 1980 à 24% en 1992, soit 1200000 actifs. La part de l’informel dans le PIB était estimée à 20% en 1995. En 2008, la part de l’emploi informel est au-dessus des 30%. Le système de retraite actuel exclut une grande partie de la population ivoirienne.

3.2. Le système de retraite par capitalisation est profitable à la croissance et à l’épargne

Non seulement notre système de retraite par répartition connaît des difficultés mais également il exclut un grand nombre d’ivoiriens. Le système de retraite par capitalisation se présente comme une alternative sérieuse au système actuel. Avant de présenter les avantages de ce système , il convient de le définir. Le système de retraite par capitalisation perçoit les cotisations, et en assure la gestion financière en les accumulant pour constituer un capital qui s’accroît de ses fruits, intérêts ou autres. Cela, jusqu’au moment où le salarié ayant cotisé fait valoir ses droits à retraite. Celle-ci est alors prélevée par prélèvements successifs sur le capital constitué, qui diminue ainsi progressivement. 27 pays dont 12 européens se sont orientés vers la liberté en proposant à chacun de choisir des fonds de pensions ; parmi eux se trouvent le Chili, la Nouvelle-Zélande, Singapour. Ce système présente au moins trois avantages.
Premièrement, il sauve les retraites. Dans un régime de retraite par capitalisation, les actifs épargnent en vue de leur propre retraite. Les cotisations font l’objet de placements financiers ou immobiliers, dont le rendement dépend essentiellement de l’évolution des taux d’intérêt. Cette capitalisation peut être effectuée dans un cadre individuel ou collectif. Du coup, les déficits des caisses de retraite actuels seront de vieux souvenirs.
Deuxièmement, le PIB va connaître une croissance importante. L’épargne des cotisants constitue un véritable vivier pour le financement de l’investissement, ce qui, en dernier ressort impacte positivement la croissance. Le Chili est passé à ce système il y a 31 ans et 95 % des travailleurs ont choisi librement le nouveau système. La prospérité s'est accrue d’une façon spectaculaire et le taux de croissance atteint régulièrement 7 % par an. Au chili, le taux de chômage est de 6% en 2011.
Troisièmement, le système de retraite par capitalisation permet d’élargir la couverture sociale à la population. Ce système permettra aux paysans, aux artisans, à ceux qui exercent dans le milieu informel, de pouvoir épargner pour leurs vieux jours. Avec ce système , au Chili, le taux de couverture qui était de 51% en 1980 est passé à 70% en 2010. Dans notre pays, pour améliorer la couverture sociale, des mesures complémentaires sont nécessaires.
Conclusion
Les mesures prises par le gouvernement concernant le système de retraire en Côte d’Ivoire ne sont que conjoncturelles. En réalité, c’est un simple pansement sur une jambe de bois. La réforme structurelle à entreprendre est sans doute l’adoption d’un système de retraite par capitalisation. Il a ceci de particulier : il enrichit les retraités et impacte positivement l’épargne nationale, l’investissement, la croissance et l’emploi. En outre, il règle le sempiternel problème de la faible couverture sociale. Sur ce dernier point, il faudra par exemple :
- Renforcer la lutte contre le travail au noir (secteur informel). Transformer l’emploi informel en emploi formel puisque le montant du salaire à prendre en considération comme base de calcul des cotisations ne peut être inférieur au SMIG. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est de 36.607 francs CFA pour 40 heures de travail hebdomadaire.
- Réglementer durablement les services à domicile (domestiques, gardiens, nounous) et les travaux contractuels ( artisans, artistes, etc. ) afin de prendre en compte dès le début de leur activité, les prestations sociales dont ils ont droit de même que la couverture sociale.
- Renforcer la protection des jeunes et futurs diplômés à travers des dispositifs législatifs limitant l’utilisation abusive des contrats précaires (CDD et Stages à longue durée, apprentissage).

Une contribution de Dr Prao Yao Séraphin,
Délégué national au système monétaire et financier à LIDER