2 ans après l’arrestation de Gbagbo: Nady Bamba sort de sa réserve
Le 10 octobre 2012 par Le Temps - Pour la première fois, Nady Bamba, fondatrice du groupe Cyclone sort de sa réserve depuis le Ghana où elle s’est retirée en raison de la crise. Pour
dénoncer les fausses accusations de coup d’Etat portées à son encontre. En particulier le scoop de Rfi qui a mentionné un rapport supposé de prétendus experts de l’Onu la citant dans une manœuvre de «déstabilisation». Mais surtout, elle appelle à la paix et à la réconciliation vraie.
Madame Bamba, comment allez vous ?
Le 10 octobre 2012 par Le Temps - Pour la première fois, Nady Bamba, fondatrice du groupe Cyclone sort de sa réserve depuis le Ghana où elle s’est retirée en raison de la crise. Pour
dénoncer les fausses accusations de coup d’Etat portées à son encontre. En particulier le scoop de Rfi qui a mentionné un rapport supposé de prétendus experts de l’Onu la citant dans une manœuvre de «déstabilisation». Mais surtout, elle appelle à la paix et à la réconciliation vraie.
Madame Bamba, comment allez vous ?
Je vais bien, mais un peu attristée de voir mon nom associé à des pratiques immondes tel le terrorisme.
Est-ce cela qui vous fait sortir de votre réserve habituelle ?
Je suis toujours restée silencieuse face aux multiples attaques dont j’ai été souvent l’objet parce que la plupart des articles écrits sur moi relevaient de la sphère du privé. Et je pense que tout ce qui a trait à la vie privée doit rester privé. Je n’allais donc pas suivre les personnes qui n’avaient aucun respect pour ma vie privée, en m’étalant dans les médias, sur des sujets qui ne concernent que moi. Cependant, j’ai souvent réagi par l’intermédiaire de mes avocats quand ma réputation était souillée sur le plan politique, un domaine qui n’est pas mon champ de prédilection. Quand j’ai été accusée par l’union européenne, j’ai réagi en portant plainte auprès de la cour européenne et j’ai gagné mon procès. Une deuxième fois, j’ai réagi par le biais de mon avocat et par voie de presse quand le ministre ivoirien de l’Intérieur m’a accusée sans fondement d’être derrière un projet de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. J’ai pensé qu’en apportant ce démenti, j’aurais prouvé ma bonne foi. Mais je constate, malheureusement, avec ces nouvelles accusations très graves, qu’on me prête des pouvoirs et des moyens dont je ne dispose pas.
Vous démentez donc les accusations portées contre vous par le groupe des experts de l’Onu ?
Ecoutez, je pense que ce qui a été dit sur Rfi ne provient pas d’experts de l’Onu. J’estime que l’Onu dispose en son sein des personnes de bonne foi et suffisamment qualifiées pour faire la part des choses entre des rumeurs calomnieuses et la vérité. Dans une enquête, on recueille d’abord tous les propos, mensongers ou pas, et on recoupe les informations afin de faire jaillir la vérité.Des experts ont pu mener des enquêtes, mais je ne pense pas qu’ils ont abouti à de telles conclusions fallacieuses. Je démens donc et sous le couvert de Dieu qui sait ce qui est apparent et ce qui est caché, toutes les accusations colportées par Rfi contre ma personne. A ce sujet, j’ai demandé à mon avocat de se renseigner un peu plus sur toute cette affaire et d’y apporter, si cela est nécessaire, une réponse judiciaire. J’en profite aussi pour dire que je n’ai jamais été une va-t-en guerre et ce n’est pas aujourd’hui que je le serai. On pense aussi à tort que je dispose de gros moyens financiers. Même si cela avait été vrai, mes comptes bancaires sont gelés et j’attends toujours que le procureur de la République m’explique pourquoi il l’a fait et quand est-ce qu’il compte débloquer mes comptes.
Selon vous, pourquoi êtes-vous toujours citée? Ne dit-on pas qu’il n’y a pas de fumée sans feu ?
Je pense que dans mon cas, il y a fumée sans feu. Et cette question, vous devez la poser à mes accusateurs. Je ne sais pas ce qu’on me reproche réellement. Dans quel but, me salit-on injustement? Tous autant qu’ils sont, ils savent que je ne fais pas de politique. Je ne dispose pas d’un parti politique ; je n’ai pas de militants, je n’ai jamais été attirée par la politique par le passé. Je le suis encore moins aujourd’hui, après avoir pu constater, malheureusement, ce que cela pouvait entraîner comme destruction morale, psychique et physique. Pourquoi s’évertuer donc à me coller des objectifs ou des projets que je n’ai pas ? Ce sont des questions auxquelles je ne trouve toujours pas de réponses. La seule leçon que je tire de tout cela, c’est qu’un matin, on peut vous coller une histoire totalement fausse. Et je pensais qu’on ne voyait cela que dans les films.
Mais, si vous n’avez rien fait, pourquoi votre «homme de main», pour citer le ministre Hamed Bakayoko, Monsieur Sy Savane Ousmane, est-il toujours détenu à la Maca ?
Monsieur Savane Ousmane est mon cousin et mon collaborateur. Il n’est pas mon «homme de main». J’avoue que je suis profondément malheureuse qu’il paie pour moi. À défaut de m’avoir, on arrête mon cousin et cela fait aujourd’hui plus de 6 mois qu’il est détenu sans procès. Ceux qui connaissent véritablement Ousmane peuvent témoigner de sa très grande probité morale et de son attachement aux valeurs imposées par notre religion l’Islam, lesquelles valeurs sont, entre autres, la tolérance, le pardon et l’acceptation que rien n’advient de bien ou de mal dans la vie si cela n’est pas voulu par Allah. Tout cela pour dire que si j’avais voulu, ne serait-ce qu’un jour, faire du mal à la Côte d’Ivoire, parce que c’est de cela que je suis accusée, il aurait été à la tête des gens qui me l’auraient fortement déconseillé. Et si je m’entêtais, il ne m’aurait pas suivie. Hélas, il a été arrêté, détenu un mois à la Dst avant d’être transféré à la Maca. Quand on m’a appelée pour me faire état de son arrestation, je ne me suis pas inquiétée parce que je me disais qu’il devait s’agir d’une erreur policière et qu’il allait être relâché dans les heures qui suivent. Je continuais d’y croire naïvement, jusqu’à la sortie médiatique, le 12 juin dernier, du ministre Hamed Bakayoko, sur les antennes de la Rti où j’ai moi-même été accusée de déstabilisation. Sans aucun respect pour le secret de l’instruction et sans m’entendre, le ministre m’a jetée en pâture ainsi que mon cousin. Face à cela, j’ai demandé à mon avocat d’apporter un démenti et cela a été fait deux jours plus tard. J’ai encore naïvement pensé qu’après cela, le ministre, à qui j’accordais la bonne foi en me disant qu’il a été certainement trompé par certaines personnes, cela arrivant très souvent quand on occupe de hautes fonctions, parce que délations et calomnies riment souvent avec pouvoir, allait prendre du recul et chercher à voir qui de ses informateurs ou de nous disait la vérité. Je continue de croire qu’il n’est pas trop tard pour faire triompher la vérité. J’estime que le ministre de l’Intérieur s’est dessaisi du dossier de mon cousin depuis le jour où il l’a remis aux autorités judiciaires. C’est donc le ministre de la Justice que je me permets d’interpeller afin que Monsieur Sy Savané puisse être entendu. Depuis le jour où il a été présenté, à sa sortie de la Dst, au juge chargé de l’instruction, afin de donner une base légale à son arrestation et permettre son transfert à la Maca, il n’a jamais été entendu et est toujours en attente d’une date de son procès. S’il est déclaré innocent, et je suis persuadée qu’il l’est, si la justice ne se laisse pas instrumentalisée par le politique, il aura passé tout ce temps en prison pour rien. Ce que je demande, c’est qu’on abrège ses souffrances parce qu’il n’a rien fait. Qu’on lui donne au moins le droit de se justifier. La justice est aussi faite pour blanchir un accusé. Qu’on ne lui dénie pas le droit du citoyen à un procès équitable et qu’on ne laisse pas croupir injustement un innocent dans les geôles ivoiriennes. J’ose croire, peut-être à tort, que les autorités ivoiriennes se sont fait abuser par des personnes qui ne prospèrent que dans les désaccords entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara.
Quand êtes-vous sortie de la Côte d’Ivoire ?
Je suis sortie de la Côte d’Ivoire le 16 avril 2011.
Mais, il avait été dit et écrit dans la presse que vous avez fui avant la chute du régime Gbagbo ?
Vous savez, la presse écrit souvent ce qu’elle veut bien écrire. Vous constatez avec moi que je suis, à mon corps défendant, un aimant à fausses rumeurs (rires). Non, je n’ai pas fui et je n’avais aucune raison de fuir. Aujourd’hui encore, je ne me considère pas comme une personne en fuite. Vous savez, quand j’ai vu que certains proches du président Gbagbo, y compris lui-même, étaient arrêtés les uns après les autres, j’ai spontanément pris mon téléphone et j’ai appelé un proche du Premier ministre d’alors, Guillaume Soro (il se reconnaîtra) pour lui signifier ma volonté de me rendre si j’étais aussi recherchée. Il m’a fait savoir qu’il était inutile que je me rende au Golf Hôtel. Je suis donc restée chez une amie parce que ma maison a été bombardée le 4 avril. Un de mes gardes de corps a été tué au cours de cette offensive. Mes parents (père, mère, frères et sœurs) avaient quitté le pays parce que leurs maisons avaient été aussi attaquées. Le matin du 16 avril, ma sœur et un très cher couple ghanéen, ami de la famille, m’ont demandé de bien vouloir venir me reposer à Accra, le temps que les choses se calment. En allant donc au Ghana, je ne fuyais pas la Côte d’Ivoire, j’y allais pour me remettre de mes émotions.
Finalement, vous y êtes restée…
Oui. Et quand j’ai vu que certains de mes proches continuaient à être traqués du fait de leur lien avec moi, j’ai préféré rester.
Pourquoi le Ghana ?
Je m’y suis sentie bien. Et, comme je sais que je suis amenée à revenir au pays, le déménagement sera plus aisé du fait de la proximité (rires).
Quand comptez-vous mettre fin à votre exil ?
Quand Dieu le permettra. Je ne pense pas que mon absence pose problème à la Côte d’Ivoire dans la mesure où je n’ai aucun rôle à y jouer. Cependant, si mon pays a besoin de moi pour apaiser, consoler, soulager, alors je le ferai avec plaisir. Mais à condition que cela se fasse dans la vérité et sans exclusion.
Votre mot de fin ?
Je voudrais rassurer mes frères et sœurs vivant en Côte d’Ivoire, que je ne serai jamais à la base de leurs malheurs et que je n’irai jamais chercher des terroristes pour venir troubler le peu de quiétude et de paix qu’ils recherchent. Un fait est là et cela est indéniable, la Côte d’Ivoire est fréquemment attaquée par des bandes armées. Quelles sont-elles? Qui a intérêt à ce que le pays brûle ? Il faut bien que nous trouvions les vrais coupables et c’est à cela que nos services de renseignements doivent s’atteler. S’il se trouve que les services de renseignements ivoiriens me croient coupable alors il y a à désespérer et à craindre le pire. Parce que les véritables responsables continueront leur besogne dans la mesure où ils ont l’assurance que les regards ne sont pas tournés vers eux. Quel intérêt aurais-je à attaquer la Côte d’Ivoire à chaque veille de procès du président Laurent Gbagbo? Même si je peux être désespérée, je ne suis pas aussi stupide. Je pense que ceux qui le font ont intérêt à ce que le Président Gbagbo demeure en prison. À qui profite le crime ? En tout cas, les vrais coupables sont à rechercher ailleurs. Je voudrais dire que je suis une femme et une mère. Je sais donner la vie par la grâce de Dieu et mon rôle n’est pas d’ôter la vie. Je ne crois pas en la lutte armée, mais j’ai foi en la justice. Même si celle des hommes est souvent défaillante, celle de Dieu triomphe toujours. La justice divine triomphera un jour ou l’autre et elle permettra aux enfants de Côte d’Ivoire de savoir la vérité. Cette vérité sera le socle de notre réconciliation. Je reste persuadée que nous nous aimons encore un peu mais la colère et les ressentiments nous empêchent de faire le premier pas vers notre prochain. Qu’on laisse chacun, bon ou mauvais, faire son deuil, son mea-culpa, taire ses rancunes dans la quiétude. Pour faire la guerre, il faut être deux. Pour faire la paix, il faut aussi être deux. Si tu penses que je t’ai fait du mal, tu dois aussi te dire que tu m’en as aussi fait. Partant de ce fait, je te demande pardon et tu dois aussi faire pareil .Mais, il faut qu’on arrête les procès d’intention, en considérant qu’un tel a fait ceci parce qu’on le croit capable de le faire. Enfin, je demande qu’on cherche à prendre contact avec moi quand on a des doutes sur des actions que je pourrais mener afin que j’apporte ma part de vérité, avant de me condamner et de me livrer à la vindicte populaire. Ce à quoi j’aspire, c’est de vivre dans la tranquillité et dans la discrétion. Je n’en veux à personne parce que j’estime que tout ce qui nous arrive est la volonté de Dieu. Dois-je m’en prendre à Dieu qui permet tout ? Evidemment non! Il fait ce qu’il veut et quand il veut. Que ce Dieu en qui nous croyons tous, nous apporte la sérénité et fasse germer en chacun de nous les graines de la tolérance et du pardon. Que Dieu apaise, panse les blessures de chaque Ivoirien, qu’il soit du Sud, du Nord, de l’Est, de l’Ouest ou du Centre, afin que nous puissions retrouver ce qui n’aurait jamais dû nous quitter: notre fraternité. Que Dieu éloigne de nous tous les démons de la division et de la haine. Que l’âme des personnes qui nous ont malheureusement quittés du fait de cette guerre puisse reposer en paix et que Dieu soit un réconfort pour chaque famille éplorée.
Interview réalisée par Yacouba Gbané & Tché Bi Tché