Côte d’Ivoire: « Le Monde diplomatique » démasque le régime de Ouattara. Amadé Ourémi, seigneur de guerre de l’Ouest
Le 04 septembre 2012 par IVOIREBUSINESS - « Le monde diplomatique », mensuel français d’informations générales consacre un article dans son numéro du mois de septembre à la Côte d’Ivoire. Fanny Pigeau, l’auteur de
Le 04 septembre 2012 par IVOIREBUSINESS - « Le monde diplomatique », mensuel français d’informations générales consacre un article dans son numéro du mois de septembre à la Côte d’Ivoire. Fanny Pigeau, l’auteur de
cet article revient de l’Ouest ivoirien et raconte la guerre ouverte pour l’exploitation du cacao dans cette partie de la Côte-d’Ivoire.
LE CONSTAT du reporter du mensuel «Le monde diplomatique » est clair : « depuis la crise qui a suivi l’élection présidentielle de 2010, dans l’Ouest du pays se joue un inquiétant imbroglio politique et militaire, avec pour seul enjeu le contrôle des ressources naturelles » et le reporter pointe du doigt le Burkinabé Amadé Ouérémi et son groupe armé, qui règnent en maîtres dans le parc du Mont Péko, situé à 35 km de Duékoué, chef-lieu de la région du Gué- mon. « Après la signature de l’accord de paix (4), le 26 janvier 2003, d’ex-combattants rebelles profitent de l’accalmie pour s’emparer de portions de territoire : M. Amadé Ouérémi, un Burkinabé ayant grandi en Côte d’Ivoire, s’installe ainsi avec plusieurs dizaines – voire plusieurs centaines – d’hommes armés dans le parc national du Mont Péko, à trente cinq kilomètres au nord de Duékoué. Ils y cultivent notamment du cacao. Impossible de les déloger : en 2010, ils chassent même des agents de l’Office ivoirien des parcs et réserves et incendient leur véhicule. Un autre phénomène déstabilisateur apparaît en 2007 : l’arrivée, par cars entiers, de Burkinabés. En toute illégalité, beaucoup s’établissent dans la forêt de Goin-Débé, où ils développent des plantations de cacao. Dans le même temps, de nombreux déplacés de la guerre ne parviennent pas à récupérer leurs champs.
Quand la crise postélectorale opposant MM. Ouattara et Gbagbo se transforme en conflit armé, en mars 2011, Duékoué souffre comme jamais. Lors de la prise de la ville par l’armée créée par M. Ouattara, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, composées principalement des ex-Forces nouvelles), des centaines de personnes – la Croix-Rouge a compté huit cent soixante-sept corps –, essentiellement de jeunes hommes, ont été assassinées. Selon une com- mission d’enquête internationale et des associations, ce sont des soldats des FRCI qui ont commis ces crimes, ainsi que des Dozos, une confrérie de chasseurs traditionnels du nord du pays, et des partisans de M. Ouérémi. Malgré les promesses de justice du président Ouattara, qui prend finalement le pouvoir le 11 avril 2011, cette tuerie n’a donné lieu à aucune enquête. Depuis, la situation s’est encore compliquée, avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs. D’abord, des hommes armés attaquent, à partir de juillet 2011, une petite dizaine de villages. C’est à leur propos que les autorités parlent de «mercenaires libériens » payés par des opposants à M. Ouattara en exil au Ghana. Des sources onusiennes évoquent plutôt des autochtones oubis réfugiés au Liberia et cherchant à défendre les terres qu’ils ont perdues.
Ensuite viennent les Dozos : arrivés dans la région pendant la crise, ils n’en sont jamais repartis. De plus en plus nombreux, ils circulent à moto, en habits traditionnels, agrippés à leur fusil «calibre
12». Beaucoup viennent du Burkina Faso et du Mali. Certains sont devenus agriculteurs. L’inverse est aussi possible : il y a un an, un planteur burkinabé instal-lé près de Taï depuis une trentaine d’années a rassemblé un groupe de Dozos pour « assurer la sécurité des populations », dit-il. En réalité, beaucoup de Dozos, devenus miliciens, terrorisent la population et la rackettent », écrit l’envoyée spécial de « Le Monde diplomatique ».
« Ce sont en effet ses sols, extrêmement fertiles, qui font la ri- chesse de cette région verdoyante. On y cultive le cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial. S’y étendent également les dernières aires forestières nationales, dont les forêts de Goin-Débé (133 000 hectares) et de Cavally (62 000 hectares), réservées à la production de bois d’œuvre. Depuis toujours, ces atouts ont attiré des planteurs d’un peu partout, y compris d’Etats voisins. Ce mouvement avait été encouragé par le président Félix Houphouët- Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993), qui avait décrété que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ». Si la région est aujourd’hui l’un des principaux centres de production de cacao, on y plante aussi des hévéas, qui hissent le pays au rang de premier producteur africain de caoutchouc. « Cinq hectares d’hévéas rapportent de 7 à 8 millions de francs CFA [environ 12 000 euros] par mois », affirme un sous-préfet. Une petite fortune qui attise bien des convoitises au point où, selon le confrère, des convois d’immigrés ne cessent de déferler dans la région. « Huit cars transportant chacun environ 200 personnes arrivent désormais chaque semaine à Zagné, à 50 km au Nord de Tai. Une partie de ces voyageurs s’entassent aussitôt dans des camions de chantiers qui prennent la direction du Sud-Ouest. Leur installation se trouve facilitée par l’absence d’une grande partie de la population autochtone – au moins 70.000 personnes réfugiés au Liberia. Les treize villages implantés au Sud de Taï ont ainsi perdu tous leurs habitants autochtones. Sauf : fin juin, à Tiélé Oula, il restait 9 Oubi sur les quelque 200 qui y vivaient avant 2011, pour 3000 Burkinabè », rapporte le confrère. Une situation qui profite aux FRCI. «Les FRCI se sont arrogé le droit de percevoir les taxes qui devraient normalement revenir à l’Etat. Selon un rapport de l’Onu, elles prélèvent aussi ‘’de 4 à 60 dollars beaucoup plus’’, sur les déplacements de personnes et de véhicules (5). Et elles rackettent les paysans : dans un village près de Taï, une femme se plaint de devoir leur payer 20 000 FCFA (30 euros) par mois pour accéder à sa plantation. Après la mort des Casques bleus, plusieurs centaines d’éléments FRCI ont été déployés autour de Taï pour une opération de ‘’sécurisation’’ dirigée par le commandant Losséni Fofana alias Loss. Ancien chef de guerre des Forces nouvelles, ce dernier commandait déjà les troupes qui ont attaqué Duékoué en 2011. Ces soldats auraient joué un rôle important dans le massacre des Guérés. Pour l’actuelle opération de ‘’sécurisation’’, il a fait installer de nombreux points de contrôle. Les mauvaises langues assurent qu’un seul sac de cacao n’échappe au racket des FRCI. Et peut-être aussi à la contrebande vers le Ghana », écrit le confrère, qui revient également sur le massacre dans le camp de réfugiés de Nahibly, fin juillet 2012. « Des centaines d’individus parmi lesquels des dozos et des FRCI ont attaqué et détruit le camp de déplacés du Haut commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR), près de Duékoué. En toute impunité. Des sources humanitaires parlent de 137 cadavres retrouvés dans les jours qui ont suivi ; des dozos ont également cherché à faire disparaitre de nombreux corps. Plusieurs indices laissent penser que cette attaque avait été planifiée de longue date. Sous couvert d’anonymat, un spécialiste de la région nous confie : ‘’Le camp était gênant car les témoins du massacre de mars 2011 s’y trouvaient. Aujourd’hui, ils sont morts ou disparus. C’est ce que voulaient ceux qui ont organisé l’opération».
Source : Le Monde Diplomatique avec Olivier Dion (L’Intelligent d’Abidjan)
NB : Le Titre est de la rédaction