Crimes contre l’humanité et crimes de guerre: Le document de la Cpi qui accable Soro et Ouattara
Guillaume Soro Kigbafori, l’ancien chef rebelle et président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, depuis quelques mois, est en
Guillaume Soro Kigbafori, l’ancien chef rebelle et président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, depuis quelques mois, est en
campagne pour montrer qu’il n’a aucune responsabilité dans les crimes qui marqué la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Nous publions, en exclusivité, de larges extraits d’une décision rendue le 15 novembre 2011 par la chambre préliminaire III de la cour pénale internationale (Cpi) présidée, à l’époque, par la juge Silvia Fernandez De Gurmendi qui engage la responsabilité personnelle de Soro dans la commission de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Ainsi, contrairement à ce qu’il prétend, ce ne sont pas les pro-Gbagbo qui l’accusent, mais bien la Cpi. Lisez plutôt !
I. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. Le 22 juin 2011, la Présidence de la Cour a constitué la Chambre préliminaire III et lui a assigné la situation en République de Côte d’Ivoire («la Côte d’Ivoire»).
2. Le 23 juin 2011, le Procureur a déposé une demande en vertu de l’article 15 du Statut («la Demande »), dans laquelle il demande à la Chambre de l’autoriser à ouvrir une enquête dans le cadre de la situation en Côte d’Ivoire relativement aux violences post électorales survenues après le 28 novembre 20102.
3. Le Procureur affirme que les renseignements disponibles fournissent une base raisonnable permettant de conclure que des crimes contre l’humanité visés à l’article 7 du Statut et des crimes de guerre visés à l’article 8 ont été commis en Côte d’Ivoire lors des violences post électorales survenues après le 28 novembre 20103. Il fait valoir que l’enquête envisagée vise principalement à identifier les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde pour avoir ordonné ou permis la commission de ces crimes.
4.Conformément à la norme 49 du Règlement de la Cour, le Procureur a fourni i) des références aux crimes dont il conclut qu’ils ont été commis, ainsi qu’un exposé des faits dont il est allégué qu’ils fournissent une base raisonnable permettant de conclure que lesdits crimes ont été commis ou sont en voie de l’être, et ii) une déclaration exposant les raisons pour lesquelles les crimes énumérés relèvent de la compétence de la Cour.
5. Le Procureur a présenté nombre d’annexes parmi lesquelles figurent des rapports relevant du domaine public (émanant d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales et des médias) ainsi que certaines informations confidentielles.
Il souligne que la liste des faits sur lesquels il se fonde
Actuellement n’est pas exhaustive et qu’elle ne constitue qu’un échantillon représentatif des crimes les plus graves commis au cours de la période de violences
Post électorales6. Il fait en outre observer que, s’il est fait droit à la Demande, la qualification juridique, retenue dans celle-ci pour ces faits et pour tous ceux qui pourraient être présentés à un stade ultérieur de la procédure, est sujette à modification.
6.Le Procureur fait valoir qu’aucune procédure n’ayant été engagée au niveau national contre les principaux responsables de ces crimes et compte tenu de la gravité alléguée des actes commis, les affaires qui pourraient découler de son enquête sur la situation en Côte d’Ivoire seraient recevables. Il ajoute que, de surcroît, d’après les renseignements disponibles, il n’a aucune raison de croire que l’ouverture d’une enquête sur cette situation ne servirait pas les intérêts de la justice.
7.Le 17 juin 2011, conformément à la règle 50 du Règlement de procédure et de preuve («le Règlement»), le Procureur a informé les victimes ou leurs représentants légaux de son intention de demander à la Chambre l’autorisation d’ouvrir une enquête en Côte d’Ivoire, et leur a fait savoir qu’aux termes de la norme 50-1 du Règlement de la Cour, ils disposaient d’un délai de 30 jours pour présenter tout argument à la Chambre.
8. Le 6 juillet 2011, la Chambre a rendu à l’intention de la Section de la participation des victimes et des réparations une ordonnance relative aux représentations des victimes prévues à l’article 15 -3 du Statut, aux termes de laquelle i) toutes les représentations adressées à la Cour par des victimes en relation avec la Demande devaient immédiatement être transmises à ladite section, et ii) cette dernière devait remettre à la Chambre, le 1er août 2011 au plus tard, un rapport unique sur l’ensemble des représentations adressées à la Cour à titre individuel ou collectif, accompagné des originaux des documents reçus9. Le 28 juillet 2011, la Chambre a fait droit à une
requête présentée par la Section de la participation des victimes et des réparations aux fins du report au 29 août 2011 du délai de dépôt du rapport.
9. Le 21 juillet 2011, le Procureur a fourni à la Chambre des renseignements supplémentaires sur les procédures (nationales) qui avaient été conduites en Côte d’Ivoire et en France relativement aux crimes visés, commis en Côte d’Ivoire depuis le 28 novembre 2010, et sur le nombre de décès de civils attribués aux forces pro-Gbagbo.
(…)
23. Aux termes de l’article 53-1-a du Statut, la Chambre doit examiner si «les renseignements en sa possession fournissent une base raisonnable pour croire qu’un crime relevant de la compétence de la Cour a été ou est en voie d’être commis».
24. Ce critère de la « base raisonnable pour croire » est la norme d’administration de la preuve la moins stricte prévue par le Statut. Ainsi, contrairement à ce que l’on attend des éléments de preuve une fois qu’ils ont été recueillis au cours de l’enquête, les renseignements en la possession du Procureur n’ont pas à être «complets» ni «déterminants». Lorsqu’elle évalue les renseignements fournis par le Procureur et les victimes, la Chambre doit être convaincue qu’il existe une justification rationnelle ou raisonnable permettant de croire qu’un crime relevant de la compétence de la Cour «a été ou est en voie d’être commis».
25. Il en découle que les conclusions qui se dégagent de la présente décision n’excluent pas que par la suite d’autres éléments soient présentés à la Chambre, ou que celle-ci formule d’autres conclusions à un stade plus avancé de la procédure dans le cadre de la situation en Côte d’Ivoire, conformément à la norme d’administration de la preuve applicable audit stade de la procédure.
B. COMPÉTENCE RATIONAE MATERIAE
1. Crimes contre l’humanité
26. Le Procureur affirme qu’il y a une base raisonnable pour croire que les forces pro-Gbagbo ont commis des crimes contre l’humanité lors des violences post-électorales survenues après le 28 novembre 2010. Toutefois, il affirme également que les renseignements dont il dispose actuellement ne donnent pas à penser qu’il y a une base raisonnable pour croire que des crimes contre l’humanité ont aussi été commis par les forces pro-Ouattara et que s’il est autorisé à ouvrir une
enquête, il a l’intention d’enquêter pour savoir si des crimes contre l’humanité ont été commis par des partisans d’Alassane Ouattara en application de la politique d’un État ou d’une «organisation».
27. Aux termes de l’article 7-1 du Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes énumérés dans celui-ci («actes visés à l’article 7-1 du Statut» ou «actes visés») lorsqu’il a été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque («éléments contextuels»).
28. Les éléments contextuels des crimes contre l’humanité découlent à la fois du chapeau de l’article 7- 1 du Statut et de la définition d’une «attaque» énoncée à l’article 7-2 du Statut. Ainsi, ce dernier définit une «attaque lancée contre une population civile» comme «le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile […], en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque».
29. Les crimes contre l’humanité comportent donc les éléments contextuels suivants:i) une attaque lancée contre une population civile ;ii) la politique d’un État ou d’une organisation; iii) le caractère généralisé ou systématique de l’attaque; iv) un lien entre l’acte individuel et l’attaque; et v) la connaissance de l’attaque. La Chambre conclut qu’elle ne peut pas se prononcer à ce stade sur la condition de la connaissance de l’attaque car les auteurs individuels des crimes ne pourront être formellement identifiés que si l’enquête est autorisée.
30. La Chambre examinera, au regard des éléments contextuels et des actes visés à l’article 7-1 du Statut, dans un premier temps les actes qu’auraient commis les forces pro-Gbagbo et dans un second temps ceux qu’auraient commis les forces pro-Ouattara.
(…)
92. Selon les renseignements disponibles, les forces pro-Ouattara comprenaient les Forces nouvelles, même si le 17 mars 2011, le Président Ouattara aurait signé un décret regroupant les FDS, les Forces nouvelles et les FANCI sous le nom de Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Les forces pro-Ouattara aurait également été composées de groupes tribaux (en particulier les «Dozo») et de mercenaires étrangers, de policiers et de gendarmes qui auraient fait défection de l’appareil officiel d’État contrôlé par Laurent Gbagbo, ainsi que des forces de défense basées dans les quartiers.
i. Attaque lancée contre une population civile
Allégations du Procureur
93. Le Procureur indique que les renseignements actuellement en sa possession n’établissent pas qu’il y a une base raisonnable pour croire que les forces pro-Ouattara ont commis des crimes contre l’humanité. Il soutient que s’il obtient l’autorisation sollicitée,«[TRADUCTION] il entend enquêter » pour déterminer si les forces pro-Ouattara pourraient avoir commis des crimes contre l’humanité .
Toutefois, il convient de relever que selon le Procureur, au moins une attaque des FRCI, menée dans le quartier Carrefour de Duékoué, aurait eu un caractère systématique (voir ci-après).
Pièces présentées par le Procureur
94. Il ressort des éléments justificatifs présentés par le Procureur qu’à la fin de janvier 2011, des partisans d’Alassane Ouattara ont commencé à mener des attaques en représailles et qu’en février 2011, ils s’étaient organisés et avait reçu des renforts de la part d’individus appartenant aux Forces nouvelles et de personnes ayant quitté les rangs des FDS. Le 23 mars 2011, les Forces nouvelles auraient lancé une opération militaire. Les renseignements fournis par le Procureur indiquent que les FRCI auraient violé et exécuté sommairement ceux qui étaient perçus comme des partisans de Laurent Gbagbo à Abidjan et dans les villes de Toulepleu, Doké, Bloléquin, Duékoué et Guiglo situées dans l’ouest du pays. Il a été rapporté que le 29 mars 2011, les forces pro-Ouattara auraient tué plusieurs centaines de civils dans le quartier Carrefour de Duékoué, visant en particulier les personnes appartenant à l’ethnie guéré.
Conclusions de la Chambre
95. Les renseignements disponibles montrent qu’il y a une base raisonnable pour croire qu’au lendemain des élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les forces pro-Ouattara auraient mené des attaques contre la population civile, en particulier dans l’ouest du pays en mars 2011. Il ressort des pièces que les forces pro-Ouattara auraient pris pour cible des civils perçus comme des partisans de Laurent Gbagbo et que les attaques étaient dirigées contre des communautés ethniques spécifiques.
ii. Politique d’un État ou d’une organisation
Pièces présentées par le Procureur
96. Les rapports concernant l’identité des forces qui se sont livrées à des meurtres à Duékoué en donnent comme responsables les « Dozo » ainsi que les FRCI. Selon un rapport d’Amnesty International, plus de 100 témoins ont évoqué le « côté systématique et ciblé de ces tueries commis[es] […] à la fois par des FRCI en uniforme
et par des Dozo » contre la communauté guéré. Il ressort également d’un rapport de Human Rights Watch qu’à l’issue de la prise de contrôle de Duékoué par les Forces républicaines le 29 mars 2011, des centaines de résidents guéré auraient été tués par des soldats des Forces nouvelles et des miliciens dozo dans le quartier Carrefour.
Plusieurs témoins décrivent les exécutions sommaires de civils qui n’avaient pas réussi à fuir avant l’arrivée des FRCI. Les forces pro -Ouattara auraient traîné des
hommes hors de leurs maisons et les auraient exécutés dans la rue. Certains
assaillants auraient menacé de « tuer les Guérés jusqu’au dernier à cause de leur soutien à Laurent Gbagbo».
97. Un rapport d’Amnesty International indique que trois jours après le début de l’offensive lancée dans l’ouest du pays, les FRCI avaient pris le contrôle de
quasi-totalité » de la partie du pays auparavant aux mains de Laurent Gbagbo.
Selon Human Rights Watch, les FRCI, sous le contrôle général du Premier Ministre désigné par Alassane Ouattara, Guillaume Soro, étaient impliquées dans les crimes commis à Duékoué.
Conclusions de la Chambre
98. Selon les renseignements disponibles, les FRCI semblaient agir sur les ordres d’un commandement général et en coordination avec les groupes de miliciens, et elles possédaient les moyens de mener une attaque généralisée ou systématique contre la population civile.
99. La Chambre relève que la jurisprudence de la Cour concernant les critères requis pour qu’un groupe constitue une organisation aux fins de l’article 7 du Statut n’est pas uniforme. En l’espèce, les FRCI remplissant les conditions requises pour constituer un groupe armé organisé, partie à un conflit armé non international, elles peuvent donc clairement être qualifiées d’organisation au sens de l’article 7 du Statut.
Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question plus avant.
100. Les renseignements présentés à la Chambre tendent également à montrer que les forces pro-Ouattara agissaient conformément à une politique lorsqu’elles ont mené une attaque dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, comme le montre le modèle régulier suivi par les crimes qui visaient des groupes ethniques particuliers (par exemple les Guéré). Comme il sera analysé en détail dans la partie ci-après, les éléments justificatifs indiquent que les attaques menées à Duékoué et dans les villages voisins présentaient un caractère systématique. Allant de village en village, les assaillants violaient et tuaient systématiquement les habitants guéré. La Chambre estime, au vu de la manière systématique dont ces attaques ont été menées, qu’il y a tout lieu de penser qu’une politique d’organisation était en place.
101. Au vu des renseignements qui lui ont été soumis, la Chambre conclut qu’il y a une base raisonnable pour croire que les crimes commis par les forces pro-Ouattara dans l’ouest de la Côte d’Ivoire après la prise de contrôle de la région par les FRCI l’ont été en application de la politique d’une organisation.
iii. Caractère généralisé ou systématique de l’attaque
Allégations du Procureur
102. Le Procureur indique qu’au moins l’une des attaques menées par les FRCI, dans le quartier Carrefour de Duékoué, l’aurait été de manière systématique.
Pièces présentées par le Procureur
103. Les renseignements disponibles indiquent que des membres des FRCI et les Dozo auraient ratissé de manière systématique le quartier Carrefour de Duékoué, tuant de nombreux individus qui semblaient se cacher ou tentaient de fuir. Les éléments justificatifs donnent également à penser que l’attaque menée contre Duékoué et d’autres villages dans l’ouest du pays a duré un mois. Un rapport d’Amnesty International qualifie de «descentes systématiques» les attaques lancées contre les concessions habitées par des populations guéré160. Ce rapport indique en outre que «toutes les églises se trouvant dans le quartier Carrefour ont été saccagées, pillées et incendiées». Human Rights Watch ajoute que « les Forces républicaines ont systématiquement pris pour cible les civils présumés pro-Gbagbo », principalement ceux qui appartenaient à la population guéré, et qu’elles allaient de maison en maison dans les villages, pillant et incendiant les habitations et tuant tous ceux qui n’avaient pas réussi à fuir.
Représentations de victimes
104. Certaines des représentations de victimes communiquées à la Chambre donnent à penser que les crimes commis en 2011 en Côte d’Ivoire par les FRCI contre des personnes perçues comme des partisans de Laurent Gbagbo avaient un caractère généralisé et systématique. L’une de ces communications montre qu’en mars 2011, après avoir chassé les forces pro-Gbagbo, les troupes d’Alassane Ouattara ont pris le contrôle de l’ouest du pays et en particulier du département de Duékoué (avec l’appui aérien de l’ONUCI et de la force Licorne). Il est allégué que les forces pro-Ouattara auraient pillé et incendié les villages de Cué, Hiébly et Diéhiba, et tué la population civile dans chacune de ces localités 163. Il ressort d’une autre communication qu’en mars 2011, les forces pro-Ouattara ont pris le contrôle de la ville de Toulepleu, massacré des civils et incendié les villages. Deux représentations présentées à titre collectif renvoient aux attaques qui auraient été menées par les FRCI dans d’autres localités dans l’ouest de la Côte d’Ivoire entre avril et mai 2011.
Conclusions de la Chambre
105. Au vu des renseignements disponibles, la Chambre conclut qu’il y a une base raisonnable pour croire que les crimes commis en mars 2011 à Duékoué et dans d’autres villes situées dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, sur une période de plusieurs jours et dans un certain nombre de villages, présentaient un caractère généralisé et systématique. Certains des faits relatés dans les éléments justificatifs et les représentations de victimes à ce sujet se sont également produits dans d’autres parties du pays, sur une période plus longue. Par conséquent, en fonction des résultats de l’enquête, des crimes commis dans d’autres parties du pays (et susceptibles de couvrir une période plus longue), pourraient s’inscrire dans le cadre de cette attaque menée contre la population civile.
b. Actes constitutifs de crimes contre l’humanité
i. Meurtre
Pièces présentées par le Procureur
106. Les éléments justificatifs présentés par le Procureur indiquent qu’en mars 2011, dans des dizaines de villages et de villes de l’ouest de la Côte d’Ivoire et notamment à Toulépleu, Bloléquin, Guiglo et Duékoué et dans les environs, des forces
pro-Ouattara, y compris les FRCI et plusieurs milices pro-Ouattara, ont attaqué et tué de nombreux civils. Il est en particulier fait référence à une attaque qui aurait eu lieu les 29 et 30 mars 2011, lors de laquelle les forces pro-Ouattara auraient tué des centaines de civils dans le quartier «Carrefour» à Duékoué.
Représentations de victimes
107. La Chambre a reçu de victimes des représentations faisant état de meurtres présumés commis par des forces pro-Ouattara dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et ailleurs, entre décembre 2010 et mai 2011. Il est fait référence à une attaque menée par des forces pro-Ouattara contre la communauté de Duékoué les 29 et 30 mars 2011, qui a entraîné la mort de centaines de civil. D’autres communications mentionnent que des civils ont été tués par les FRCI à Yopougon en avril et mai 2011. Plusieurs évoquent des
meurtres qui auraient été commis pendant une attaque menée en mars et avril 2011 par des forces pro-Ouattara. De même, des membres du Front populaire ivoirien (FPI) auraient été tués par les FRCI en avril et mai 2011. Deux font également état de meurtres qui auraient été commis pendant une attaque menée par les FRCI en mai 2011.
Conclusions de la Chambre
108. Au vu des renseignements disponibles, il s’avère qu’il y a une base raisonnable pour croire que des meurtres ont été commis par les FRCI et d’autres forces pro-Ouattara, en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire depuis le 28 novembre 2010.
ii. Viol
Pièces présentées par le Procureur
109. Les éléments justificatifs indiquent que les Forces républicaines ont commis de nombreux viols pendant l’attaque menée contre les villages situés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, en mars 2011. D’après Human Rights Watch, « dans la vaste majorité des cas étudiés, les combattants ont enfermé les femmes dans des maisons pendant un ou plusieurs jours, commettant des viols collectifs répétés avant de partir pour la ville ou le village voisin».
Représentations de victimes
110. La Chambre a reçu de victimes des représentations faisant état de viols commis par des forces pro-Ouattara durant la période de violences post -électorales. Une victime aurait été violée par des membres des forces pro-Ouattara à Yopougon. Selon une autre, des viols auraient été commis à Abidjan.
Conclusions de la Chambre
111. Au vu des renseignements disponibles, il s’avère qu’il y a une base raisonnable pour croire que des viols ont été commis par les FRCI et d’autres forces pro-Ouattara, en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en mars 2011.
iii. Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique
Pièces présentées par le Procureur
112. Il ressort des renseignements disponibles que, pendant l’offensive menée par les forces pro-Ouattara dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en mars 2011, des soldats des FRCI ont maintenu en captivité des hommes et des femmes qui n’avaient pas pu s’enfuir et qu’ils ont violé beaucoup d’entre eux.
Représentations de victimes
113. La Chambre a reçu les représentations de nombre de victimes au sujet de cas d’emprisonnement durant la période de violences post-électorales, les premiers s’étant produits en 2010. Dans leurs communications individuelles, plusieurs victimes allèguent que des membres des forces pro-Ouattara ont enlevé et détenu illégalement des personnes en raison de leur affiliation au parti politique de Laurent Gbagbo. Deux autres victimes affirment que les FRCI auraient détenu des civils à Abidjan parce qu’ils appartenaient au parti politique de Laurent Gbagbo. Une victime déclare qu’un homme a été détenu et frappé par des membres des forces pro-Ouattara à Abidjan. Deux autres communications font état du fait que plusieurs hommes auraient été arrêtés par des membres des forces pro-Ouattara en mai 2011. Plusieurs victimes évoquent leur capture et leur détention par des forces pro-Ouattara. Deux communications mentionnent la détention et l’emprisonnement forcé de plusieurs personnes à Abidjan par des forces pro-Ouattara.
Conclusions de la Chambre
114. Au vu des renseignements disponibles, il s’avère qu’il y a une base raisonnable pour croire que les FRCI et d’autres forces pro-Ouattara ont emprisonné des civils ou les ont autrement soumis à une privation grave de leur liberté physique, en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en mars 2011.
c. Liens entre les actes individuels et l’attaque Pièces présentées par le Procureur
115. Les éléments présentés par le Procureur indiquent qu’il existe un lien entre les crimes individuels commis et l’attaque menée dans l’ouest de la Côte d’Ivoire durant la période de violences post -électorales qui a débuté le 28 novembre 2010. Les renseignements dont la Chambre dispose donnent à penser que bon nombre des crimes commis durant cette période n’étaient pas des actes isolés mais s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque au sens de l’article 7-2 du Statut.
Conclusions de la Chambre
116. Au vu de ce qui précède, la Chambre est convaincue qu’il y a une base raisonnable pour croire qu’il existe un lien entre les crimes individuels commis et l’attaque menée dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, qui a débuté le 28 novembre 2010. Il y a donc une base raisonnable pour croire que des crimes contre l’humanité ont été commis par des forces fidèles à Alassane Ouattara, en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en mars 2011. Certains des événements rapportés dans les éléments justificatifs et les représentations adressées par les victimes à la Cour à ce sujet ont également eu lieu dans d’autres parties du pays, sur une période plus longue. Par conséquent, en fonction des résultats de l’enquête, des crimes commis dans d’autres parties du pays (renvoyant potentiellement à une période plus longue) pourraient s’inscrire dans le cadre de cette attaque lancée contre la population civile.
(…)
124. D’après les renseignements disponibles, entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011, les forces pro-Ouattara se composaient des Forces Nouvelles, renommées «FRCI» le 9 mars 2011 et regroupées avec les FDS le 17 mars 2011 par décret présidentiel signé Par Alassane Ouattara200. Ces forces comptaient également des groupes tribaux et des mercenaires libériens201. Human Rights Watch a indiqué que des crimes avaient été commis par des «Forces républicaines, lesquelles sont sous le haut commandement du premier ministre d’Alassane Ouattara, Guillaume Soro».
125. Les pièces fournies à la Chambre indiquent qu’à la date du 25 février 2011, la crise post-électorale en Côte d’Ivoire était devenue un conflit armé prolongé opposant, dans tout le pays, les forces pro-Ouattara et les forces pro-Gbagbo. Le Procureur s’est également fondé sur des informations parues dans les médias, selon lesquelles des combats avaient eu lieu la dernière semaine de février et tout au long du mois de
mars 2011, les forces d’Alassane Ouattara prenant en fin de compte le contrôle d’une grande partie du pays, tandis que celles de Laurent Gbagbo conservaient le contrôle d’Abidjan. Les combats se sont intensifiés lorsque les FRCI ont atteint Abidjan le 31 mars 2011. Le 11 avril 2011, après des attaques en hélicoptère menées par l’ONUCI et la force française Licorne, les forces pro-Ouattra ont arrêté Laurent Gbagbo à sa résidence. Les combats se sont poursuivis après cette arrestation jusqu’à ce que les FRCI prennent le contrôle du quartier Yopougon à Abidjan le 5 mai 2011.
Représentations de victimes
126. La Chambre a reçu de victimes des représentations faisant état de l’existence d’un conflit armé en Côte d’Ivoire. Trois communications collectives font état de combats en mai 2011 entre des forces pro-Gbagbo et pro-Ouattara à Irobo et Grand-Lahou206.
Conclusions de la Chambre
127. Au vu de ce qui précède, la Chambre est convaincue qu’il y a une base raisonnable pour croire qu’un conflit armé ne présentant pas un caractère international a eu lieu en Côte d’Ivoire du 25 février 2011 au 6 mai 2011. Sur la base des renseignements disponibles, elle conclut que les FRCI étaient un groupe armé suffisamment organisé pour avoir la capacité de concevoir et de mener des opérations militaires prolongées.
En outre, les affrontements entre forces gouvernementales pro-Gbagbo et forces pro-Ouattara ayant eu lieu sur une période d’au moins deux mois et demi, la Chambre conclut que le conflit armé était prolongé. Enfin, elle prend note du fait que,
si l’enquête est autorisée, le Procureur entend déterminer notamment si l’appui qu’auraient apporté l’ONUCI et les troupes de la force française Licorne aux forces pro-Ouattara pour arrêter Laurent Gbagbo rend le conflit partiellement international.
b. Actes visés à l’article 8-2 du Statut
128. Après avoir examiné les actes qu’auraient commis les forces pro-Gbagbo, la Chambre abordera ceux qu’auraient commis les forces pro-Ouattara.
(…)
154. Le Procureur allègue qu’entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011, les forces
pro-Ouattara ont commis des meurtres au sens de l’article 8-2-c-i du Statut et des attaques contre des civils au sens de l’article 8-2-e-i du Statut. Il affirme que la plupart des meurtres et attaques contre des civils ont eu lieu au cours des opérations militaires lancées par les forces pro-Ouattara contre les forces pro-Gbagbo afin de leur reprendre le contrôle du sud du pays.
Pièces présentées par le Procureur
155. Les éléments justificatifs présentés par le Procureur montrent qu’au cours de leur offensive, les forces pro-Ouattara (notamment les FRCI et plusieurs milices) ont attaqué et tué de nombreux civils dans des dizaines de villages et de villes (Toulépleu, Bloléquin, Guiglo, Duékoué, Doké, Diboké, Dahoua, Delobly, Bahé Bé, Pinhou, Guéibli, Guinglo-Zia, Diéhiba et Diahoun) et à leurs abords, ainsi que dans les quartiers d’Abobo et d’Anyama à Abidjan. Les 29 et 30 mars 2011, les forces pro -Ouattara auraient tué des centaines de civils dans le quartier Carrefour de Duékoué. Il ressort de plus des éléments justificatifs que l’attaque menée contre le quartier Carrefour à Duékoué avait pour objet de punir collectivement la population guéré. Les pièces présentées par le Procureur indiquent que les forces pro-Ouattara ont tué au moins 95 civils non armés à Abidjan, en avril et mai 2011, dans le cadre de ce qui est présenté comme une punition collective visant les groupes ethniques associés aux milices de Laurent Gbagbo. En outre, des personnes auraient été tuées 23 après avoir été trouvées en possession d’armes à des postes de contrôle mis en place à Abobo par les Forces nouvelles.
Représentations de victimes
156. La Chambre a reçu de victimes des représentations concernant des meurtres qui auraient été commis par les forces pro-Ouattara entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011. Plusieurs communications individuelles font également état de meurtres commis par les forces pro-Ouattara à Abidjan et dans plusieurs autres lieux en mars et avril 2011.
Conclusions de la Chambre
157. L’allégation du Procureur étant étayée par les renseignements disponibles, la Chambre conclut qu’il y a une base raisonnable pour croire que les forces pro -Ouattara sont responsables de meurtres et d’attaques intentionnellement dirigées contre la population civile commis entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011.
ii. Viol
Allégations du Procureur
158. Le Procureur allègue qu’en mars 2011, lors de l’offensive militaire qu’elles ont menée dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les FRCI ont violé au moins 23 personnes, toutes de l’ethnie guéré. Il soutient que les forces pro-Ouattara ont détenu des femmes durant un ou plusieurs jours et les ont violées à de multiples reprises.
Pièces présentées par le Procureur
159. Il ressort des éléments justificatifs que les forces pro-Ouattara auraient commis des viols le 8 mars 2011 à Basobli ; le 20 mars 2011 à Bloléquin ; le 14 mars 2011 à Doké ; le 29 et le 31 mars 2011 à Duékoué ; le 13 avril 2011 à Deahouepleu ; et le 3 mai à Yopougon, à Abidjan.
Représentations de victimes
160. La Chambre a reçu de victimes des représentations concernant des viols qui auraient été commis par les forces pro-Ouattara entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011.
Conclusions de la Chambre
161. L’allégation du Procureur étant étayée par les renseignements disponibles, la Chambre conclut qu’il y a une base raisonnable pour croire que durant la période allant du 25 février 2011 au 6 mai 2011, les forces pro-Ouattara ont commis des viols dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et à Abidjan.
iii. Actes que le Procureur n’a pas allégués (pillage)
162. Pour que le crime de pillage visé à l’article 8-2-e -v du Statut soit constitué, il faut que son auteur se soit approprié certains biens sans le consentement du propriétaire, dans
l’intention de le spolier et de s’approprier les biens en question à des fins privées ou personnelles.
Pièces présentées par le Procureur
163. Il ressort des pièces présentées par le Procureur que les FRCI et d’autres éléments armés ont pillé des maisons à Duékoué et dans d’autres villes de l’ouest du pays au cours de l’offensive militaire qu’ils ont menée en mars et avril 2011.
Représentations de victimes.
164. La Chambre a reçu de victimes de nombreuses représentations concernant des actes de pillage qui auraient été commis par les forces pro-Ouattara entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011. Elles sont nombreuses à évoquer des actes de pillage commis dans différents quartiers d’Abidjan (en particulier à Yopougon) entre mars et mai 2011. De nombreuses autres communications allèguent que les forces pro-Ouattara ont commis des actes de pillage à plusieurs autres endroits entre mars et mai 2011.
Conclusions de la Chambre
165. Au vu des renseignements disponibles, la Chambre conclut qu’il y a une base
raisonnable pour croire que durant la période allant du 25 février 2011 au 6 mai 2011, les forces pro-Ouattara ont commis des actes de pillage, en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ainsi qu’à Abidjan et à ses abords.
iv. Actes que le Procureur n’a pas allégués (traitements cruels et torture)
Pièces présentées par le Procureur
166. Pour que le crime de traitements cruels visé à l’article 8-2-c-i soit constitué, l’auteur doit avoir infligé une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales à une personne protégée, qu’elle soit civile ou hors de combat. La torture exige outre cet élément que l’auteur ait infligé ces douleurs ou souffrances afin, notamment, d’obtenir des renseignements ou des aveux, de punir, d’intimider ou de contraindre, ou pour toute raison fondée sur une forme de discrimination, quelle qu’elle soit.
167. Il ressort des éléments justificatifs fournis par le Procureur qu’entre le 25 février et le 6 mai 2011, les FRCI ont traité des jeunes hommes de manière inhumaine sans autre raison apparente que leur âge ou leur groupe ethnique, «en particulier [d]es Guéré, [d]es Bété, [d]es Goro et [d]es Attié, tous fortement liés à l’ancien Président Gbagbo — ou en raison de leur quartier d’origine». Selon des informations livrées par Human Rights Watch, des victimes des Forces républicaines ont rapporté «avoir été frappé[e]s à plusieurs reprises avec des crosses de fusils, des ceintures, des cordes et à coups de poing pour leur arracher des informations sur l’endroit où des armes étaient cachées ou pour les punir pour leur appartenance présumée aux Jeunes Patriotes, un groupe de miliciens pro-Gbagbo». Les actes de torture rapportés sont notamment «l’arrachage de dents d’une victime et le placement d’un couteau brûlant sur une autre victime, la coupant ensuite». Les renseignements fournis indiquent aussi que des partisans de Laurent Gbagbo ont été frappés avec des bâtons et les crosses de leurs fusils «par des éléments des FRCI, dans la cour de la résidence présidentielle, après leur reddition». Des proches de Laurent Gbagbo auraient par ailleurs été violemment battus à l’hôtel du Golf, à Abidjan, après leur reddition.
Représentations de victimes
168. La Chambre a reçu de victimes des représentations faisant état de traitements cruels et d’actes de torture, qui auraient été commis par les forces pro-Ouattara entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011. Une autre victime affirme avoir été brutalisée et battue par les FRCI à Abidjan. Plusieurs autres personnes évoquent des sévices corporels perpétrés par les FRCI à Abidjan. Deux victimes font état de sévices corporels que leur auraient infligés les FRCI lorsqu’elles ont attaqué l’endroit où elles vivaient. Une personne indique que les FRCI lui auraient fait subir des sévices corporels en avril 2011. Plusieurs personnes font état de sévices corporels commis par les FRCI lorsqu’elles ont attaqué un village, en avril 2011.
Conclusions de la Chambre.
169. Au vu des renseignements disponibles, la Chambre conclut qu’il y a une base raisonnable pour croire que des actes de torture et des traitements cruels ont été commis par les FRCI et d’autres forces pro-Ouattara entre le 25 février 2011 et le 6 mai 2011.
d. Lien entre les actes individuels et le conflit armé
Allégations du Procureur
170. Le Procureur allègue que la plupart des meurtres, attaques contre des civils et viols ont eu lieu au cours des opérations militaires lancées par les forces pro-Ouattara pour prendre le contrôle du sud du pays aux forces pro-Gbagbo et qu’il est de ce fait possible d’établir l’existence d’un lien entre les crimes de guerre allégués et les hostilités armées.
Pièces présentées par le Procureur
171. Il ressort des éléments justificatifs que les meurtres, attaques contre des civils, viols, actes de pillage, traitements cruels et actes de torture qui auraient été commis par les forces pro-Ouattara sur le territoire ivoirien étaient liés au conflit armé opposant les forces pro-Ouattara et les forces pro-Gbagbo. Les renseignements reçus permettent d’inférer que les auteurs étaient des membres des forces pro -Ouattara et que les actes allégués, visés par le Statut, ont été commis au cours d’hostilités. En outre, la plupart des victimes des crimes décrits plus haut semblent avoir été associées aux forces pro-Gbagbo.
Conclusions de la Chambre
172. Au vu des renseignements fournis, la Chambre conclut qu’il y a une base raisonnable pour croire que les crimes commis par les forces pro-Ouattara étaient étroitement liés à l’existence d’un conflit armé entre les forces pro-Gbagbo et les forces pro-Ouattara sur le territoire ivoirien.
Ont signé
-Mme la juge Elisabeth Odio Benito
-M. le juge Adrian Fulford.
Source : Notre Voie