Affaire Bettencourt : le domicile et les bureaux de Nicolas Sarkozy perquisitionnés

Le 04 juillet 2012 par Le Monde.fr - Les policiers de la brigade financière et le juge de Bordeaux Jean-Michel Gentil ont perquisitionné, mardi 3 juillet, au matin, le domicile de Carla Bruni-Sarkozy, villa Montmorency dans le 16e arrondissement de

Nicolas Sarkozy. Photo Le Monde.

Le 04 juillet 2012 par Le Monde.fr - Les policiers de la brigade financière et le juge de Bordeaux Jean-Michel Gentil ont perquisitionné, mardi 3 juillet, au matin, le domicile de Carla Bruni-Sarkozy, villa Montmorency dans le 16e arrondissement de

Paris, le cabinet d'avocats Arnaud, Claude et associés, dans lequel Nicolas Sarkozy détient des parts, situé 53, boulevard Malesherbes (17e), et ses nouveaux locaux mis à sa disposition en tant qu'ancien chef de l’État, situés 27, rue de Miromesnil.
Le juge Gentil, saisi pour abus de faiblesse et financement illicite de campagne électorale, enquête sur d'éventuelles remises de fonds par Liliane Bettencourt à l'ex-chef de l'Etat, notamment lors de sa campagne présidentielle de 2007. Une dizaine de policiers de la brigade financière accompagnaient le juge d'instruction bordelais dans ces perquisitions, a précisé auprès de l'AFP une source proche de l'enquête. Selon Europe 1, l'agenda de 2007 de l'ex-chef de l'Etat a toutefois été récupéré chez l'huissier où il avait été déposé.

NICOLAS SARKOZY EN VACANCES AU CANADA

Nicolas Sarkozy, dont l'immunité présidentielle a pris fin le 16 juin, est mis en cause à double titre : d'après Claire Thibout, l'ancienne comptable des Bettencourt, une somme de 150 000 euros aurait été remise au début 2007 à Eric Woerth, à l'époque trésorier de la campagne présidentielle de M. Sarkozy. Par ailleurs, plusieurs témoignages recueillis par la justice font état de visites, pendant la campagne de 2007, effectuées par M. Sarkozy au domicile des Bettencourt, dont l'objet aurait été des remises d'argent en espèces.
Toutes les enquêtes concernant l'affaire Bettencourt sont désormais instruites à Bordeaux après une décision de "dépaysement" de la Cour de cassation. Le juge Jean-Michel Gentil a mis en examen plusieurs personnes, dont l'ex-gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt.
Ces perquisitions ont été menées en l'absence de Nicolas Sarkozy, parti lundi en famille au Canada, a indiqué son avocat, Me Thierry Herzog. Le juge pourrait néanmoins entendre prochainement l'ancien chef de l'Etat sur le financement de sa campagne présidentielle de 2007.
"DES ACTES INUTILES", SELON L'AVOCAT DE NICOLAS SARKOZY
"Ces perquisitions, alors qu'avaient été envoyés à ce magistrat, depuis quinze jours, tous les éléments nécessaires, se révéleront être, ce qu'on peut en attendre, des actes inutiles", a déclaré Me Thierry Herzog, qui explique avoir envoyé le 15 juin "les extraits certifiés conformes de l'agenda de M. Nicolas Sarkozy pour l'année 2007".
Ces documents démontrent selon lui "l'impossibilité absolue de prétendus 'rendez-vous secrets' avec Mme Liliane Bettencourt". L'avocat précise avoir, dans ce courrier, informé le juge Gentil "que la totalité des déplacements et des lieux où s'était rendu M. Nicolas Sarkozy durant l'année 2007, l'avait été sous le contrôle des fonctionnaires de police chargés d'assurer sa sécurité".
Il explique avoir de nouveau écrit au magistrat ce mardi pour lui donner l'identité de ces policiers, "afin qu'ils puissent certifier qu'il n'y a eu qu'un seul rendez-vous le 24 février 2007, à son domicile, avec M. André Bettencourt", époux défunt de Mme Bettencourt.

Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme

Karachi, Bettencourt, Kadhafi : le citoyen Sarkozy sur la sellette

Pour Nicolas Sarkozy, la perspective est particulièrement désagréable : lui qui avait tant tenu à marquer sa différence avec un Jacques Chirac cerné par les juges risque à son tour, une fois son immunité présidentielle arrivée à son terme – un mois après la fin de son mandat, soit le 15 juin à minuit –, d'être convoqué par des magistrats. Redevenu justiciable ordinaire, M. Sarkozy s'expose en effet, dans les procédures où son nom est cité, à des convocations auxquelles il aurait à répondre en qualité de témoin, de témoin assisté, voire de mis en examen.
Dans la seconde partie de son quinquennat, l'actuel chef de l'Etat a déjà été éclaboussé par plusieurs enquêtes judiciaires qui ont provoqué la mise en cause de nombre de ses proches. Ainsi, dans l'affaire dite des "fadettes", le patron du contre-espionnage Bernard Squarcini et le procureur de Nanterre Philippe Courroye sont poursuivis pour avoir cherché à identifier les sources des journalistes du Monde coupables d'avoir publié des informations gênantes pour le pouvoir dans l'affaire Bettencourt.
Amis de longue date du président, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire sont quant à eux mis en examen dans le volet financier de l'affaire de l'attentat de Karachi – dont on commémore le dixième anniversaire, mardi 8 mai. Quant à Eric Woerth, il a subi le même sort dans le cadre de l'affaire Bettencourt. Ces deux derniers dossiers sont ceux dans lesquels M. Sarkozy ne devrait a priori pas échapper à une convocation.

• L'affaire Bettencourt, la plus menaçante à court terme

Dans le volet politique du dossier Bettencourt, instruit à Bordeaux, le président sortant est soupçonné d'avoir été financé illégalement par le couple de milliardaires lors de sa campagne présidentielle de 2007. L'ancienne comptable des Bettencourt, Claire Thibout, a déclaré avoir remis à Patrice de Maistre, alors gestionnaire de fortune, 50000 euros en espèces. Une somme, à en croire Mme Thibout, destinée à Eric Woerth, trésorier de la campagne de M. Sarkozy.
Dans le même dossier, le chef de l'Etat est, plus directement, accusé d'être venu chercher – comme d'autres hommes politiques – de l'argent liquide au domicile de Liliane et André Bettencourt.
La juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, relatant les dessous du supplément d'information qu'elle eut à conduire, a provoqué un tollé en révélant en août 2011 dans le livre Sarko m'a tuer (éd. Stock) qu'un témoin avait confié à sa greffière: "J'ai vu des remises d'espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal." Ses déclarations fracassantes lui ont valu d'être dessaisie du volet "abus de faiblesse" du dossier et une convocation dans le bureau du juge bordelais Jean-Michel Gentil, qui gère désormais les différents aspects de l'affaire.
Le magistrat, qui souhaiterait boucler rapidement son dossier, ne pourra faire l'économie d'une audition de M.Sarkozy, d'autant que d'autres témoignages ou documents ont également évoqué d'éventuelles remises de fonds au profit de l'ancien maire de Neuilly.
Dans une ordonnance du 22 mars, le juge Gentil écrit d'ailleurs, à propos de retraits d'espèces suspects de février et avril 2007 : "Il convient de noter que des témoins attestent d'une visite du ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, au domicile des Bettencourt pendant la campagne électorale de 2007, que des investigations sont donc nécessaires s'agissant de ces premières remises de 2007."

• L'affaire de Karachi, l'ombre du président sortant

Dans l'affaire de Karachi, le juge Renaud Van Ruymbeke qui instruit le volet financier de l'affaire, attend avec impatience les explications de l'actuel chef de l'Etat. Si pour le moment le magistrat n'a pas réuni à l'encontre de l'ancien maire de Neuilly suffisamment d'éléments justifiant une éventuelle mise en examen, son ombre plane sur cette sombre histoire de vente d'armes.
Le juge semble considérer que les contrats Agosta (la vente de sous-marins au Pakistan) et Sawari II (la cession de frégates à l'Arabie saoudite), conclus en 1994, pourraient avoir donné lieu au versement de rétrocommissions au profit de la campagne présidentielle du premier ministre Edouard Balladur, en 1995. Or, à cette époque, M. Sarkozy était non seulement un acteur de premier plan de la campagne, dont il était le porte-parole, mais il était surtout ministre du budget – qui joue un rôle clé dans les contrats d'armement.
A ce titre, il a notamment validé la création d'une société au Luxembourg, Heine, par où ont transité des commissions suspectes. En janvier2010, la police luxembourgeoise a conclu que les accords sur la création de Heine "semblaient venir directement de M. le premier ministre Balladur et de M. le ministre des finances Nicolas Sarkozy".
Par ailleurs, l'enquête a confirmé la très grande proximité de l'intermédiaire Ziad Takieddine, au cœur des soupçons de redistribution occulte d'argent, avec l'entourage de M. Sarkozy, Claude Guéant, Jean-François Copé et Brice Hortefeux notamment.

Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme (LE MONDE)

Le statut pénal du chef de l’État, mode d'emploi

Nicolas Sarkozy redeviendra un justiciable comme les autres le 15 juin, un mois après la passation de pouvoir, et pourra dès le lendemain répondre à une éventuelle convocation d'un juge. L'article 67 de la Constitution, qui protège l'immunité présidentielle, dispose en effet que le chef de l'Etat "ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". La prescription est suspendue dans l'intervalle.
Cette inviolabilité provisoire du chef de l'Etat remonte à la réforme constitutionnelle du 23 février 2007 ; il peut en revanche être destitué par le Parlement constitué en Haute Cour, "en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" (article 68). Il fallait cependant une loi organique, pour l'organiser : l'Assemblée a examiné un texte le 17 janvier et l'a transmis au Sénat, qui ne l'a toujours pas voté.
La réforme constitutionnelle de 2007 entérinait en réalité une jurisprudence de la Cour de cassation sur le cas Chirac : avant lui, le président ne bénéficiait d'aucune protection. René Dumont, candidat écologiste, avait ainsi fait citer en 1974 Valéry Giscard d'Estaing devant le tribunal pour "affichage illégal". Le nouveau président avait été jugé comme tout un chacun et finalement relaxé.
C'est la Cour de cassation, en assemblée plénière, qui a fixé le cadre du statut pénal du chef de l'Etat, par l'arrêt Breisacher du 10 octobre 2001. Le Conseil constitutionnel avait estimé, en 1999, que seule la Haute Cour de justice pouvait connaître des actes du chef de l'Etat, même détachables de sa fonction. La Cour de cassation avait, elle, limité le renvoi en Haute Cour aux cas de haute trahison, et affirmé que les juridictions ordinaires étaient compétentes pour les autres infractions. Mais aucune poursuite ne pouvait avoir lieu pendant la durée du mandat, la prescription de l'action publique étant suspendue.
C'est bien ce qui s'est passé pour Jacques Chirac : l'ancien président a été entendu le 19 juillet 2007, deux mois après son départ de l'Elysée, par le juge Alain Philibeaux qui enquêtait à Nanterre sur l'affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. Jacques Chirac a été condamné le 15 décembre 2011 à deux ans de prison avec sursis, une première pour un président. Il a renoncé à faire appel.

FRANÇOIS HOLLANDE : "LE PRÉSIDENT DOIT ÊTRE UN CITOYEN COMME LES AUTRES"

Le statut pénal du chef de l'Etat ainsi défini devrait cependant être modifié par le nouveau président, François Hollande, qui s'y était engagé pendant la campagne. "Je considère qu'un président entré en fonctions doit être responsable des faits qui ont pu être commis avant le choix des Français pour l'élire président. Il doit être un citoyen comme les autres", a-t-il déclaré le 26 avril à France Inter.
L'immunité du président s'entend aussi sur le plan civil et administratif. Nicolas Sarkozy n'a pu divorcer d'avec Cécilia Ciganer-Albeniz le 18 octobre 2007 que par consentement mutuel, qui ne met en cause aucune des deux parties. Le débat se complique avec l'extension de l'immunité présidentielle à ses conseillers, dans l'affaire des sondages de l'Elysée : la Cour de cassation dira si, comme l'a estimé le parquet de Paris, il est impossible de les poursuivre.
Si le chef de l'Etat ne peut être poursuivi, M. Sarkozy n'a pas hésité à engager des poursuites, de l'affaire des poupées vaudou à son effigie à, dernière en date, la plainte contre Mediapart le 30 avril. Le tribunal de Nanterre, présidé par Isabelle Prévost-Desprez, avait été le premier à soulever la contradiction dans une affaire d'escroquerie à la carte bancaire dont avait été victime Nicolas Sarkozy.
Le tribunal avait déclaré le 29 octobre 2009 la constitution de partie civile du président recevable, mais avait "sursis à statuer" sur sa demande de dommages et intérêts, renvoyant sa décision à la fin du mandat. La cour d'appel a infirmé la décision le 8 janvier 2010 et accordé un euro au chef de l'Etat. "Le président ne peut qu'être déclaré irrecevable, estime Me Philippe Gonzalez de Gaspard, du collectif article 67 qui milite pour la réforme de la Constitution, lui qui ne peut être poursuivi, le déséquilibre est trop manifeste." La Cour de cassation tranchera le 1er juin.

Franck Johannès (LE MONDE)