Affaires Bettencourt, Karachi, Kadhafi...: Désormais privé d'immunité, l'ex-chef de l'Etat pourrait avoir très vite rendez-vous chez les juges
Le 09 mai 2012 par Le Nouvel Obs - Pendant cinq ans, il a bénéficié de l'immunité présidentielle. Le 16 juin, Nicolas Sarkozy redeviendra un justiciable ordinaire. Privé, comme c'est l'usage, du statut pénal particulier accordé au chef de l'Etat par
Le 09 mai 2012 par Le Nouvel Obs - Pendant cinq ans, il a bénéficié de l'immunité présidentielle. Le 16 juin, Nicolas Sarkozy redeviendra un justiciable ordinaire. Privé, comme c'est l'usage, du statut pénal particulier accordé au chef de l'Etat par
l'article 67 de la Constitution un mois après la fin de son mandat, l'ex-président sera désormais à la disposition des juges. Des magistrats qu'il a affrontés plus souvent qu'à son tour pendant son quinquennat, et dont il a même projeté de supprimer la fonction pour certains d'entre eux. Et des magistrats qui ont montré leur détermination face à son prédécesseur Jacques Chirac, condamné à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris en décembre dernier.
L'ex-chef de l'Etat aura d'abord à coup sûr affaire à la justice pour des dossiers "secondaires", mais dans lesquels des plaintes ont été déposées nommément contre lui. Mediapart l'a ainsi attaqué fin avril pour dénonciation calomnieuse, après que lui-même a poursuivi le site d'information pour faux suite à la publication d'un document portant sur un éventuel financement de sa campagne de 2007 par le colonel Kadhafi.
Nicolas Sarkozy est également visé par deux plaintes pour violation de la présomption d'innocence par les avocats d'Yvan Colonna, qu'il a qualifié à plusieurs reprises d' "assassin du préfet Erignac" alors que sa condamnation n'est pas définitive à ce jour, l'ancien berger corse s'étant pourvu en cassation. Ces plaintes étaient bloquées pendant la durée de son mandat, avait décidé le tribunal de grande instance de Paris en juillet 2009 : elles pourront désormais suivre leur cours.
La menace Bettencourt
Mais le nom de Nicolas Sarkozy apparaît aussi et surtout dans plusieurs affaires politico-financières, ce qui faisait dire à Ségolène Royal en mars dernier : "Il a peur parce qu'il va perdre son immunité présidentielle, et on connaît tous les problèmes de corruption qui ont émaillé ces cinq années."
En cause : un éventuel financement de sa campagne de 2007 par le couple Bettencourt et le colonel Kadhafi, et celui de la campagne de 1995 d'Edouard Balladur - dont il était ministre du Budget et porte-parole de campagne - par le biais de possibles rétrocommissions versées dans le cadre de contrats de vente d'armes avec le Pakistan et l'Arabie saoudite.
Le dossier le plus immédiatement menaçant pour Nicolas Sarkozy est sans conteste l'affaire Bettencourt. L'enquête, visant au départ des faits d'abus de faiblesse sur la milliardaire, a rapidement pris un tournant politique avec les accusations de Claire Thibout. L'ex-comptable a affirmé aux juges que Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, lui avait demandé de retirer 150.000 euros en liquide à destination de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy.
Des accusations confirmées par d'autres témoignages, recoupées par les agendas des protagonistes, et coïncidant avec de très importants retraits en liquide sur les comptes en Suisse de la milliardaire. Un faisceau d'indices suffisant pour le juge Jean-Michel Gentil pour justifier une mise en examen de Patrice de Maistre et d'Eric Woerth, trésorier de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy.
Il ne fait guère de doute que c'est ce dernier qui est visé à travers eux, et que la justice demandera des comptes à l'ancien président. Le juge Gentil a déjà souligné que les "visites du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy au domicile des Bettencourt pendant la campagne électorale de 2007" rendent "des investigations" "nécessaires", et saisi ses comptes de campagne. Une convocation en vue d'une éventuelle mise en examen paraît inévitable pour l'ex-président.
Le spectre de Kadhafi
Autre source potentielle de financement gênant de la campagne 2007 de l'ex-président : Mouammar Kadhafi. Les interrogations datent de l'interpellation directe de Nicolas Sarkozy par Saif al islam Kadhafi, le fils du Guide suprême.
C’est nous qui avons financé sa campagne, et nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à tout révéler. La première chose que l’on demande à ce clown, c’est de rendre l’argent au peuple libyen. […] Nous avons tous les détails, les comptes bancaires, les documents, et les opérations de transfert. Nous révélerons tout prochainement", lançait-il au chef de l'Etat de l'époque en mars 2011, au début de l'intervention occidentale en Libye.
Si les révélations du clan Kadhafi se sont fait attendre, Mediapart a pris le relais. D'abord en publiant le témoignage d'un ancien proche de l'intermédiaire Ziad Takieddine, affirmant que ce dernier avait mis en place les "modalités de financement" de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy par le colonel Kadhafi - ce qu'a démenti l'homme d'affaires libanais.
Puis en dévoilant un document prouvant selon le site d'information que Mouammar Kadhafi avait donné son accord pour financer la campagne à hauteur de 50 millions d'euros. L'authenticité de la note fait débat, et Nicolas Sarkozy a attaqué pour faux le site d'information, qui a répliqué en le poursuivant pour dénonciation calomnieuse comme vu plus haut. La justice enquête simplement sur cet aspect du dossier. Du moins pour le moment.
L'ombre Karachi
Troisième dossier de financement politique embarrassant pour Nicolas Sarkozy : l'affaire Karachi. Elle concerne cette fois la campagne d'Edouard Balladur en 1995. La justice s'interroge sur la provenance de 10 millions de francs versés en espèces sur le compte de campagne du candidat malheureux à la présidentielle.
L'ancien Premier ministre les a justifiés par la vente de tee shirts et gadgets à son effigie ; les juges van Ruymbeke et Le Loire soupçonnent plutôt un financement illicite par le biais de rétrocommissions liées à des contrats d'armement avec le Pakistan et l'Arabie saoudite.
Le nom de Nicolas Sarkozy apparaît dans le dossier à deux titres : en tant que ministre du Budget du gouvernement Balladur, et en tant que porte-parole et tête pensante de la campagne du candidat en 1995. Ainsi, c'est lui qui a approuvé le volet financement des contrats, et qui a notamment validé la création des sociétés Heine et Eurolux, par lesquelles auraient transité les commissions.
Plusieurs de ses proches ont été mis en examen dans le dossier : Thierry Gaubert, Nicolas Bazire, ainsi que Ziad Takieddine. Une audition de Nicolas Sarkozy par les juges dans ce dossier paraît une suite probable.
Face à ces affaires, Nicolas Sarkozy a crié à la "manipulation politique" et aux "boules puantes". Dès le 16 juin, la justice aura les mains libres pour en juger.
Par Anne-Sophie Hojlo
journaliste Le Nouvel Obs