Présidentielle: La journée où François Bayrou a décidé de faire "le choix de François Hollande"
Le 04 mai 2012 par Le Monde.fr - C'est la surprise du chef. Et c'est une grosse surprise. Contrairement à ce qu'il avait laissé entendre ces dernières semaines, François Bayrou a
Le 04 mai 2012 par Le Monde.fr - C'est la surprise du chef. Et c'est une grosse surprise. Contrairement à ce qu'il avait laissé entendre ces dernières semaines, François Bayrou a
choisi un candidat pour le second tour, en affirmant qu'il votera pour François Hollande. Sans pour autant donner de consigne de vote et en expliquant qu'il "respecte les expressions différentes" au sein de son parti, le MoDem.
Jeudi matin, le candidat centriste, qui a obtenu 9,1 % des suffrages au premier tour, a réuni son comité stratégique de campagne, pour évoquer la décision à prendre. Puis, l'après-midi, il a convié le conseil national du MoDem, sorte de parlement de son parti, pour poursuivre la discussion. Et c'est à 19h20, dans une allocution devant la presse, au siège du parti centriste, rue de l'université, à Paris, qu'il a annoncé sa position.
"J'ai examiné depuis deux semaines l'évolution du deuxième tour de l'élection présidentielle", a affirmé M. Bayrou. Le président du MoDem y a vu, selon ses termes, un Nicolas Sarkozy qui "s'est livré à une course poursuite à l'extrême droite", avec une "obsession de l'immigration" et une "obsession des frontières". Il s'en est pris à "la ligne choisie par Nicolas Sarkozy, violente, [qui] rentre en contradiction avec nos valeurs, les miennes, mais aussi celles du gaullisme". "Comment en est-on arrivé là ? C'est l'histoire de cette élection", a indiqué l'ancien candidat centriste, arrivé cinquième au premier tour, le 22 avril. "Je ne veux pas voter blanc, ce serait de l'indécision", a constaté le député des Pyrénées-Atlantiques. "Reste le vote pour François Hollande. C'est le choix que je fais."
"QU'UNE ATTITUDE POSSIBLE : UNE UNITÉ NATIONALE"
M. Bayrou n'entend pas pour autant signer un chèque en blanc au candidat socialiste. "J'ai dit ce que je pensais de son programme économique. Je pense que ce programme est inadapté à la situation du pays", a-t-il poursuivi. Mais, juge-t-il, dans une phrase qui ressemble à un appel, "devant cette crise inéluctable, il n'y aura qu'une attitude possible : une unité nationale qui réunira des femmes et des hommes venus d'horizons différents, pour permettre au pays de se ressaisir." "Si François Hollande en reste à la gauche classique et à son programme, je serai un opposant, dans une opposition vigilante et constructive", a-t-il précisé.
Durant la journée, quelques signaux avaient laissé entrevoir sa décision, faute de certitudes. A la pause déjeuner, à 13h30 , lui-même avait entretenu le suspense, en affirmant aux journalistes, de plus en plus nombreux au fil de la journée, rue de l'université, devant un portail fermé : "Le plus juste n'est certainement pas le plus facile. Qu'est-ce qui, pour la France, dans l'état où elle est aujourd'hui, peut lui rendre le plus grand service ?"
Jusqu'à jeudi, l'hypothèse d'un vote blanc - dont M. Bayrou défend la reconnaissance - tenait pourtant nettement la corde. Celle d'un positionnement en faveur de Nicolas Sarkozy avait été balayée il y a longtemps. "C'est 95 % blanc, 5 % Hollande, mais je n'y crois pas vraiment", confiait un proche mercredi avant le débat télévisé entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. "Honnêtement, je ne crois pas qu'il appelera à voter Hollande", confiait, dépité, il y a quelques jours, le vice-président du MoDem, Jean-Luc Bennahmias, lui-même partisan d'un positionnement en faveur du candidat socialiste. M. Bayrou, chantre de la lutte contre les déficits, avait répété, à plusieurs reprises, qu'il jugeait le programme de M. Hollande financièrement "insoutenable".
Mais jeudi matin, alors qu'il semblait encore pencher pour un vote blanc, M. Bayrou s'est trouvé face à une majorité de son conseil stratégique, d'une quarantaine de personnes, qui lui a demandé de se positionner clairement. "Ce n'est pas ça qui l'a fait changé d'avis mais ses amis, depuis quelques temps", estime cependant le secrétaire général adjoint du MoDem, Christophe Madrolle.
M. BAYROU POURSUIT LA MUTATION COMMENCÉE EN 2007
Lors du conseil national, l'après-midi, M. Bayrou a écouté les prises de positions des partisans d'un choix en faveur du candidat socialiste, du candidat de l'UMP ou d'un vote blanc. Sans s'avancer personnellement. Mais Marielle de Sarnez, sa directrice de campagne et éternel bras droit, a clairement dit qu'elle se positionnerait en faveur de M. Hollande, en expliquant que le discours de M. Sarkozy sur les frontières à Toulouse, l'avait convaincu de choisir.
En disant, sans faux fuyant, qu'il vote pour M. Hollande, M. Bayrou poursuit, en franchissant un grand pas, la mutation qu'il avait commencé en 2007. Entre les deux tours, il avait alors confié, en rupture avec la tradition de centre-droit de l'UDF, qu'il ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy. S'étaient ensuivi cinq difficiles années de solitude politique, la quasi-totalité des députés qui le soutenaient le quittant pour s'arrimer à l'UMP et assurer leur réélection.
Jeudi matin, interrogé sur France Inter, M. Hollande avait indiqué ne pas croire à un franc soutien du président du MoDem. "Il n'est pas de gauche, il n'entend pas le devenir. Il n'est plus de droite. Je ne pense pas qu'il ait envie de revenir de ce côté-là. Et donc, j'imagine, il va rester sur une position haute, c'est-à-dire distante", a confié le candidat socialiste. "Ceux et celles qui veulent participer à la direction du pays ne pourront le faire que si elles ont clairement pris position pour ma candidature", a-t-il aussi rappelé.
FEUILLE BLANCHE ET HISTOIRE NOUVELLE À ÉCRIRE
Avant de prendre sa décision, M. Bayrou avait adressé un courrier aux deux finalistes de la présidentielle. Une lettre dans laquelle il avait affirmé que les "valeurs" compteraient autant que le programme. Une missive qui, déjà, au fond, donnait une indication de tendance. Mais de là à franchir le Rubicon de l'expression d'un vote, il y avait un pas difficile à franchir. "Il y a toute la palette du nuancier", confiait alors un proche. Les valeurs l'ont donc emporté.
Comment va s'écrire la suite, pour François Bayrou ? Depuis deux semaines, le président du MoDem répète l'importance, pour lui, de créer un groupe centriste "indépendant" à l'Assemblée nationale, après les législatives, alors que le MoDem ne compte aujourd'hui que trois députés. Il semblait plus facile - même si rien n'était évident - à réaliser avec ses ex-amis du centre-droit, aujourd'hui disséminés entre le Parti radical et le Nouveau centre. Le voilà avec une feuille blanche et une histoire nouvelle à écrire. La balle est désormais dans le camp de M. Hollande.
Le monde Par Pierre Jaxel-Truer
FRANCOIS BAYROU, L'IMPLACABLE PROCUREUR DE NICOLAS SARKOZY
C’est un choix personnel, qui n’engage que lui. François Bayrou, le président du MoDem votera François Hollande le 6 mai prochain. Il l’a annoncé ce jeudi 3 mai, au lendemain du débat télévisé de l’entre-deux-tours qui a opposé les deux finalistes de l’élection présidentielle.
François Bayrou ne va pas au-delà. Il laisse ses troupes libres de choisir. Il a senti que ses électeurs et ses partisans étaient divisés, qu’il n’est pas facile d’accomplir la révolution qui consiste à passer de la droite à la gauche.
En 2007, alors qu’il avait recueilli 18,57% des suffrages, il n’avait annoncé aucune consigne de vote, précisant simplement qu’il ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy. Trois ans plus tard, on avait appris qu’il avait voté blanc.
Cette fois, à titre personnel, il franchit le Rubicon, il choisit François Hollande avec qui il reconnaît avoir tissé de bonnes relations mais dont il continue de contester le sérieux budgétaire.
Politiquement, il est trop tôt pour juger si ce ralliement est le prémice d’une recomposition politique. Le MoDem est divisé, environ 40% de ses électeurs sont actuellement tentés de voter pour Nicolas Sarkozy.
Du côté de la gauche, François Hollande a toujours exclu des débauchages individuels, le PS et ses allliés restent globalement méfiants à l’égard du centre. Donc, en cas de victoire du candidat socialiste, il n’est pas dit que François Bayrou sera du rassemblement.
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que son ralliement à titre personnel à François Hollande est une très mauvaise nouvelle pour Nicolas Sarkozy.
Elle vient sanctionner la campagne d’entre-deux-tours du président sortant, sa course aux électeurs du Front national qui a pu donner le sentiment d’une course aux propositions défendues par le Front national, alors que Jacques Chirac avait toujours tracé une nette frontière entre les deux doctrines.
C’est ce franchissement de la ligne blanche que François Bayrou sanctionne. Il oppose les valeurs du centre, l’humanisme et le credo européen à "la course poursuite à l’extrême droite", à "l’obsession de l’immigration" qui risque de conduire à "l’affrontement entre les Français", à "l’obsession des frontières" qui "revient à nier le projet européen".
François Bayrou dit tout haut ce que nombre d’anciens membres de l’UDF mais aussi de chiraquiens pensent tout bas.
Il est celui qui lave l’affront, devenant, par là même, le procureur le plus implacable de Nicolas Sarkozy.
Le monde Par Pierre Jaxel-Truer