ECONOMIE: Comment le régime Ouattara pille l’économie ivoirienne
Le 28 avril 2012 par Le Nouveau Courrier - Pourquoi, alors que des personnes «autorisées» nous serinent sur tous les tons que la situation économique en Côte d’Ivoire s’améliore sous la houlette d’Alassane Ouattara «l’économiste compétent», le peuple ivoirien
Le 28 avril 2012 par Le Nouveau Courrier - Pourquoi, alors que des personnes «autorisées» nous serinent sur tous les tons que la situation économique en Côte d’Ivoire s’améliore sous la houlette d’Alassane Ouattara «l’économiste compétent», le peuple ivoirien
plie-t-il sous le joug de l’augmentation des prix du vivrier, de l’insécurité et du chômage de masse ? Le dernier rapport du Comité des experts chargés de surveiller l’embargo onusien sur les armes et les diamants apporte des éléments de réponse à cette question. Bien entendu, la plus grande partie de ce document «charge» le président Laurent Gbagbo, ses collaborateurs et les entreprises privées accusées d’avoir vendu des armes à l’Etat ivoirien en guerre contre la rébellion des Forces nouvelles (voir article qui suit). Bien entendu, de manière assez piteuse, les auteurs du rapport établissent une distinction tout à fait artificielle – ou alors particulièrement préoccupante – entre «les autorités ivoiriennes», qui «ont répondu à la majorité des demandes du Groupe, lui permettant ainsi d’avoir accès à des informations demandées à maintes reprises pendant les mandats précédents» et les FRCI, qui «continuent de refuser l’autorisation de mener un certain nombre d’inspections» et qui n’ont pas apporté «de réponses claires» aux questions des enquêteurs.
Mais ce rapport du Comité d’experts nous donne de précieux renseignements sur la véritable mafia au cœur du régime Ouattara, qui a mis en place un incroyable système de prédation et de racket reposant essentiellement sur l’affaiblissement des structures sécuritaires officielles de l’Etat. Sur une politique concertée et consciente, donc.
Affaiblir la police, la gendarmerie et les douanes pour mieux piller
Les experts onusiens écrivent : «Bien que l’Administration ivoirienne légitime (sic !) soit désormais en place dans tout le pays, le Groupe a pu constater qu’en de nombreux endroits, le pouvoir continuait de revenir en définitive aux structures de commandement des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Par ailleurs, il trouve préoccupant le développement des systèmes d’imposition ou d’extorsion illégaux et violents, qui vont du nord au sud de la Côte d’Ivoire, suivant les pratiques des Forces nouvelles dans les zones du nord sous leur contrôle. Qui plus est, le Groupe a remarqué qu’en général, les membres des FRCI qui étaient bien armés étaient d’anciens des Forces nouvelles».
Il est donc clair que derrière le paravent d’une armée nationale, une milice de nature partisane et ethnique détient, en Côte d’Ivoire, le monopole de la violence légitime. Les forces «classiques» sont là pour la décoration. «À Korhogo, par exemple, la gendarmerie est arrivée en octobre 2011 avec six armes. Fin janvier 2012, le Groupe a constaté que la situation n’avait pas changé», écrivent les experts onusiens. Qui renchérissent : «La plupart des agents des douanes aux frontières ne sont pas armés et n’ont aucune protection quand ils se déplacent dans l’exercice de leurs fonctions. Des agents des douanes ont dit au Groupe qu’ils étaient constamment sous la menace d’individus armés qui rodaient dans la campagne et accompagnaient parfois les camions qui traversaient les frontières. Ces individus, répondant sur le terrain au nom de « coupeurs de route », arrêtent également des véhicules privés et à usage commercial qui circulent aux frontières. Ce phénomène a pris de l’ampleur après la crise postélectorale». Est-ce la responsabilité des «FRCI» ou du Gouvernement – et plus particulièrement du ministre de la Défense, Alassane Ouattara himself – de doter les forces de défense et de sécurité du pays des armes nécessaires pour faire respecter la loi ? Il est bien évident que la thèse de la dissociation entre les «FRCI» et les «autorités ivoiriennes» ne résiste pas à l’analyse.
Les milliards du racket des comzones
«Le Groupe est en possession de plusieurs reçus, émis par les Forces républicaines, qui prouvent sans conteste qu’un système d’imposition illégal systématique – de 4 à 60 dollars, voire beaucoup plus, prélevés sur les déplacements de personnes, de véhicules et de camions de transport de marchandises dans l’ouest et le sud du pays est toujours en vigueur», écrivent les experts. Dans l’est et le centre du pays, «le Groupe a (…) réussi à réunir des éléments de preuve concernant des pillages systématiques survenus lors de la crise postélectorale où, lors de la progression des Forces nouvelles vers le sud, des centaines de commerces et d’habitations ont été mis à sac. Ayant analysé plusieurs cas, le Groupe estime la valeur des pertes à 18 millions de dollars au moins». 18 millions de dollars, près de 9 milliards de FCFA. Et ce n’est pas exhaustif. Drôle de manière de «sauver» un pays de la dictature.
A Abengourou, près de la frontière avec le Ghana, le Groupe «a recueilli de nombreux témoignages indiquant que des éléments locaux des Forces républicaines de Côte d’Ivoire participaient à une opération de contrebande organisée de cacao en fournissant une escorte de sécurité aux camions qui transportaient des cargaisons clandestines de cacao vers le Ghana, l’objectif étant de dissuader les autorités locales, principalement la police et la gendarmerie, d’essayer d’empêcher ce trafic. Le Groupe a estimé que les Forces républicaines réunissaient ainsi des milliers de dollars.» Une «organisation criminelle» est même née à Abengourou pour favoriser la contrebande…
À Korhogo et à Ferkéssédougou, villes frontalières avec le Burkina Faso où la gendarmerie a été sciemment réduite à l’impuissance, le Groupe «a entendu plusieurs témoignages concernant l’augmentation du nombre de vols à main armée et de voies de fait commis par des bandes organisées lourdement armées contre des passagers de camions, autobus et véhicules. Le Groupe ne peut exclure que les membres de ces bandes soient en possession d’armes saisies pendant la crise postélectorale». Qui organise tout ce système prédateur ? Des «commandants de zone», qui ont «le monopole des armes étant donné que la police ou la gendarmerie ne sont pas armées». «Le Groupe reste préoccupé par le mécontentement croissant de la population, en particulier dans les zones rurales, et par l’ampleur prise par l’imposition illégale, l’extorsion et la criminalité. Il croit fermement que le Gouvernement actuel doit prendre des mesures immédiates et ciblées contre le système d’imposition illégale, qui sert à financer l’achat d’armes et de munitions», écrivent les auteurs du rapport onusien. On attend toujours ces «mesures immédiates»…
Les faux FRCI pas si faux que cela
On connaît la rengaine du régime Ouattara. Dès lors que ses troupes se livrent à des exactions qui soulèvent les condamnations, il invoque l’activisme négatif des «faux FRCI». Le problème est que le rapport des experts onusiens établit un rapport entre eux et les «vrais FRCI». «Selon le Ministère de la défense, sur les quelque 20 000 volontaires du nord qui avaient rejoint le mouvement des FRCI durant la crise postélectorale, seuls 2 000 ont été intégrés dans les nouvelles forces armées. Les autres, qui détiennent des armes, sont présents dans tout le pays et continuent d’agir en tant que membres des FRCI. Il est extrêmement difficile de les distinguer des éléments intégrés officiellement dans les Forces, non seulement car ils sont en tenue militaire et en armes mais aussi parce qu’ils sont tolérés par les Forces», peut-on lire.
Exploitation illégale des diamants : rien n’a changé
Les rapports alarmants de l’ONG Global Witness ont permis de faire voter un embargo sur l’exportation illégale des diamants orchestrée par les Forces nouvelles pendant de nombreuses années. Les violations de cet embargo alors que le pays était divisé en deux a été dénoncé à plusieurs reprises, et continue à être observées avec inquiétude par les Etats-Unis qui sont persuadés que des émirs d’AQMI sont liés à ces trafics. Bien entendu, alors que le pays est «réunifié», les rentes de situation des «Comzones» demeurent. «La production des gisements diamantifères du nord de la Côte d’Ivoire n’a pas perdu de son intensité. Si l’existence de sites d’exploitation de diamants et la production de diamants bruts ne vont pas à l’encontre du régime de sanctions, il en va autrement de l’exportation de ces diamants. Tant que la Côte d’Ivoire continuera de produire des diamants bruts, les acheteurs continueront de s’en procurer et donc d’accéder aux marchés internationaux, parfois en utilisant les pays voisins comme points de transit. Le Groupe est d’avis qu’à Séguéla et Tortiya, les deux principaux sites d’extraction de diamants se trouvant dans le nord du pays, les recettes provenant de la vente des diamants bruts ivoiriens continueront de pouvoir servir à l’acquisition d’armes et de matériel connexe, en violation du régime de sanctions. Compte tenu de la situation géographique des zones diamantifères et du fait que la structure économique de base des anciennes Forces nouvelles, en particulier dans les régions qui restent sous le contrôle des commandants de zone, demeure relativement intacte selon le Groupe, on peut envisager que cette structure ou certains de ses éléments continuent de bénéficier des recettes tirées des diamants, tout comme les personnes et les entités non ivoiriennes qui n’ont toujours pas de licence».
Parfaits tartuffes, les experts missionnés par l’ONU ne préconisent pas la moindre sanction à l’encontre des hommes de Ouattara qui violent l’embargo et accumulent des sommes susceptibles de servir à acheter des armes. Alors que, dans le même temps, ils s’acharnent contre des ex-collaborateurs du président Gbagbo et des entreprises qui auraient pu être leurs fournisseurs. Tout en oubliant très curieusement d’épingler le Sénégal, par lequel a transité très officiellement du matériel de maintien de l’ordre destiné à Abidjan. Mais aussi une entreprise dakaroise et des firmes françaises qui ont, à un moment ou à un autre, effectué des transactions qui n’ont pas pu ne pas être autorisées par les autorités hexagonales… Pendant la guerre, les affaires continuent. Même avec vos pires ennemis !
ÉCRIT PAR CAMUS ALI
Théophile Kouamouo Le Nouveau Courrier