Violation de la liberté de presse en Côte d'Ivoire: Récit de la terreur d’un journaliste traqué vers la route de l’exil
Le 20 mai 2011 par le Temps - 13 avril 2011. Cela fait trois jours que l’armée française a enlevé le Président Laurent Gbagbo à la suite d’un intense bombardement de sa résidence et l’a remis à son rival Alassane Dramane Ouattara. On est
Le 20 mai 2011 par le Temps - 13 avril 2011. Cela fait trois jours que l’armée française a enlevé le Président Laurent Gbagbo à la suite d’un intense bombardement de sa résidence et l’a remis à son rival Alassane Dramane Ouattara. On est
mercredi. Le jour se lève difficilement. Moi comme lui. La nuit n’a pas été tout à fait reposante. Elle a été meublée d’insomnie et de mille pensées. De même, le peu de sommeil qui a consenti à me visiter a été pris en otage par des cauchemars. Je me sens lourd. Mais il faut que je me lève pour prier. C’est une tradition. Mais je reste couché, en y pensant. Voilà que quelqu’un frappe à la porte. Résolument. Ma femme s’y dépêche. Ces temps-ci, un bruit à la porte ou sur le toit, n’est plus perçu comme avant. L’insécurité ciblée et l’insécurité libérale font fureur dans le pays. Notamment à Abidjan depuis que les hommes lourdement armés de Alassane Dramane Ouattara y ont fait leur entrée. J’entends ma femme parler avec quelqu’un. Mais je n’ai pas saisi ce que les deux se sont dit. Madame revient et me tend un bout de papier. Il y est inscrit un numéro de téléphone et un nom. Un voisin a reçu le message et a été prié de me le transmettre urgemment. Je dois appeler immédiatement la personne dont le nom et le numéro sont sur le bout de papier. Ma femme me précise que selon le messager, cette personne a tenté de m’appeler, mais mon téléphone portable était éteint.
Je me lève vivement, redoutant une nouvelle grave. Je remets mes téléphones sous tension. Il est 7h 40 mn. Je vais au salon. Je m’acquitte de ma prière. Et j’appelle l’ami qui l’a exigé. Il est formel. Hier, mardi 12 avril 2011, à l’Hôtel du Golf, QG d’Alassane Ouattara à Abidjan, une liste de journalistes à abattre a été établie. Il s’agit de 17 journalistes, de la radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) et de la presse écrite, qui avaient soutenu le régime du Président Laurent Gbagbo. Lui-même qui m’informe, a hébergé hier nuit un confrère d’un grand quotidien du pays. Le confrère a dû fuir son domicile après avoir directement reçu du Golf l’information selon laquelle il serait sur la liste de journalistes pro-Gbagbo à éliminer physiquement. Mon ami me prévient clairement en ces termes : « Je ne dis pas que tu es sur la liste, parce que je ne sais pas si tu es sur la liste. Mais je connais ton engagement. Et ce sont ceux qui se sont le plus illustrés dans la défense des institutions de la République qui sont visés. Donc, je t’en prie, cherche à te mettre à l’abri, ou si ce n’est pas possible, alors ne mets pas les pieds dehors.»
Je n’imaginais pas la nouvelle aussi pressante. Que faire exactement maintenant ? Partir ? Mais où ? Avec quels moyens ? La situation est difficile. Bien avant l’offensive des rebelles d’Alassane Ouattara le 28 mars 2011, les banques avaient fermé et la mienne n’était pas parmi celles qui avaient rouvert. Il est donc devenu impossible de recourir à son compte pour se sauver d’un pépin. De même, le mois n’était pas vraiment fini pour espérer percevoir le salaire à la main. Depuis près de deux semaines que je suis terré à la maison comme la plupart des abidjanais, toute la maisonnée vit dans la petite tirelire de la maîtresse des lieux. C’est même grâce à elle que j’ai pu assurer mes frais de transport ces derniers jours pour me rendre au bureau. Etant donc si désargenté, où vais-je aller ? Je passe alors mentalement en revue mes relations dans la ville d’Abidjan. Les autorités que je connais, qui ont de grosses villas, ont fui ces résidences pour sauver leur peau. Leurs téléphones portables sont même fermés. Où aller ?
J’appelle un ami enseignant qui m’avoue qu’il ne peut pas me refuser ce service. Seulement, compte tenu de ce que son appartement est entouré des partisans de Ouattara, je devais y aller discrètement. Mais cela veut dire quoi exactement, y aller discrètement ? Comment y aller discrètement alors que le jour ne vient que de commencer ? En clair, même si je ne dois pas y aller, chargé de bagages, je ne dois y aller discrètement que la nuit. L’ami a été sincère. Je comprends. Je suis devenu encombrant. Et je n’ai pas le droit d’attirer des ennuis à un paisible monsieur et sa famille. Savoir que je suis recherché ou que je peux être recherché, et qu’il m’héberge, peut lui valoir la pire expérience de sa vie. C’est vrai, le fait qu’il soit de mon bord idéologique est déjà un délit aux yeux des hommes de Ouattara. Mais s’il devait être puni pour cela, qu’il le soit uniquement pour cet engagement. Et non à cause du surcroît d’audace qu’il aura eu en hébergeant un homme, peut-être, particulièrement recherché. Non, je vais assumer seul. J’ai promis rappeler mon ami le professeur avant d’effectuer le déplacement chez lui.
C’est le silence à la maison. Ma femme informée, participe à la recherche de solution. Elle décide d’aller voir le Pasteur de notre Eglise pour lui demander si un frère pouvait m’héberger quelques jours. Elle revient presque bredouille. Il y a une surpopulation chez le Pasteur. Les autres frères ont dit vivre tous dans un environnement hostile, au milieu des partisans de Ouattara. La proposition qui lui a été faite, c’est que je puisse dormir dans le bureau du Pasteur à l’Eglise. Un bureau à l’étage, chargé, où il faut écarter des effets pour se coucher à l’étroit, sachant que les toilettes sont en bas, dans une vaste cour peu sure la nuit. Je ne voyais pas de solution dans l’immédiat. Parce que les gardiens de nuit de cette église ne m’inspirent pas confiance. De plus, les églises sont dans le viseur des hommes de Ouattara. Ailleurs, Duékoué et San-Pedro, ils n’ont pas hésité à entrer dans les églises pour mitrailler les fidèles en prière ou refugiés. Je n’irai pas dormir seul dans ce lieu. Je n’y irai pas. Les moustiques ? C’est le moindre mal. Il faut être sûr de ne pas pouvoir y rencontrer ce que je fuis.
A un moment, je me suis senti tendu. Puis, j’ai retrouvé un calme précaire. Replié dans ma chambre, je mets à fond le split pour recevoir plus de fraicheur. Je prends l’ordinateur. Je me connecte à l’Internet. Je navigue. Je rédige deux articles sur l’actualité. Je les envoie sur la toile. Je me sens soulagé. Un collègue de la rédaction, que je m’apprêtais à joindre, m’appelle et me donne la même information du jour.
Aux environs de 14h, un camarade du quartier, de même bord idéologique que moi, informé par ma femme, me propose de me mettre gracieusement en lieu sûr, en attendant que je trouve une solution définitive. Je quitte alors la cour sans attirer l’attention, en culotte et chemise usée comme si j’allais prendre un peu d’air naturel dehors.
Quelque temps plus tard, je suis dans une chambre d’hôtel, bien loin de chez moi. Le camarade me rassure qu’il prend en charge les frais deux jours à l’hôtel. Je ne comprends pas pourquoi il peut être aussi gentil. Pourtant il n’y a pas de familiarité entre nous. Mais bien plus tard, l’on me rappellera qu’un jour, au passage, j’avais glissé une pièce de 500 Fcfa dans la main de sa fille, alors que je ne connaissais pas encore son père. Pour moi, cela n’avait pas d’importance. Je le faisais d’ailleurs partout lorsque j’en avais les moyens et l’humeur. Mais pour lui, c’était remarquable. Au point de débourser 20 000 Fcfa pour me mettre à l’abri.
Je reçois mon ordinateur à l’hôtel. Un bon compagnon. Sans cette machine, je suis un homme perdu. J’écris. Je me repose. J’écris. Je grignote quelque chose. Je prie. Je regarde la télévision. La télé ! Ah, oui ! Je la regarde avec moins d’intérêt. Les informations données en boucles par ces chaînes occidentales me donnent maintenant plus de nausée qu’une autre impression. Encore du mensonge. Encore de la manipulation pour des intérêts économiques. Tout cela au détriment de la morale. Comment l’impérialisme peut-il être aussi cruel !
A l’hôtel, je me sens moins en sécurité que dans ma chambre. Chaque bruit de pas dans le couloir me met sous tension. A travers le rideau de la vitre, j’épie les mouvements de la cour. La clandestinité est une vie dingue. Qui a ses charmes. Que le vent m’emporte !
Dans l’après midi, mon Directeur des rédactions m’appelle et me demande de me mettre en lieu sûr. Il me confirme le projet du Golf contre les journalistes proches du régime de Laurent Gbagbo. Le lendemain, un ami informé par ma femme, m’appelle et me promet une petite aide financière qui me permettrait de m’éloigner.
Me voici donc en partance pour la frontière de la Côte d’Ivoire, abandonnant ainsi ma femme et mes enfants, dans l’incertitude. Je m’en vais à l’aventure. A l’exil. Mais que vont-ils devenir, eux déjà terrorisés ? Moi ? Je me soumets à mon destin.
Dans le véhicule, une Peugeot 604, c’est presque la surcharge. Je suis coincé à côté d’une grosse dame avec ses deux enfants. Ce n’est pas le confort. Mais en pareilles circonstances, ce n’est pas le confort qu’on recherche : sauver sa peau. Une peau dont je ne sais plus la valeur… Surtout que ces dernières heures, l’on m’a appris l’assassinat de tant de personnes : ministres, artistes, patriotes… Vrai ou faux, je n’ai aucune possibilité de le vérifier. Mais la question qui me revient est la suivante : pourquoi Alassane Ouattara se montre-t-il aussi difficile ? Pourquoi ?
Germain Séhoué