Vente morceau par morceau de la Côte d’Ivoire: DES BÂTIMENTS DE L’ÉTAT VENDUS A VIL PRIX

Le 31 août 2012 par Fraternité matin - La situation du patrimoine immobilier de l’état, demeure préoccupante. Les autorités veulent prendre le taureau par les cornes.En février 2011,

Immeubles administratifs d'Abidjan-Plateau.

Le 31 août 2012 par Fraternité matin - La situation du patrimoine immobilier de l’état, demeure préoccupante. Les autorités veulent prendre le taureau par les cornes.En février 2011,

l’occupant de la maison du parc de la Présidence, 9, rue du lycée technique à Cocody, détaché du morcellement du titre foncier N°5481 de la circonscription foncière de Bingerville, est mis en demeure de quitter les lieux (sous huit jours), au motif que cette résidence de quatre pièces bâtie sur 1 266m2 de terrain et de maison, bien qu’affectée à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire (depuis les années 1970), est vendue par la Société de gestion du patrimoine immobilier de l’Etat ( Sogepie), à un certain Séklawi Ali, écrit dans certains documents, Séklaoui Ali ; à 10 500 000Fcfa.
L’attestation de fin de paiement délivrée à Séklaoui et non à Séklawi par le directeur général de la Sogepie d’alors, signée du directeur de l’exploitation, Hubert Niamkey, précise que Séklaoui ‘’a acquis dans le cadre de la vente du patrimoine immobilier de l’Etat, suivant le mode de paiement Comptant la villa… pour un montant de 10 500 000Fcfa représentant 50% de 21 000 000 Fcfa (coût expertisé de ladite villa)…le solde ayant été fait le 29/06/2009’’.

Seulement deux ans après, soit le 10 janvier 2011, Yoboué Kouamé, conservateur de la propriété foncière et des hypothèques de Cocody, délivre à Séklawi Ali, devenu propriétaire de l’immeuble, objet du titre foncier N°128 426 de la circonscription foncière de Bingerville sise à Cocody Lycée technique, son certificat de propriété N°16000051; sésame que des Ivoiriens en règle, attendent des dizaines d’années, avant de l’obtenir.
Depuis décembre 2011, par exploit de Me Justine Douyéré Koné, huissier de justice pourtant à Yopougon, Dame Salami Rola veut expulser l’occupant du lot N° 15C parcelle 069 d’une superficie de 2 656m2. Cet immeuble bâti de quatre pièces principales, faisant l’objet du titre foncier N°128 425 de la circonscription foncière de Bingerville, est une villa de fonction qui fait partie du parc immobilier de la Présidence de la République de Côte d’Ivoire depuis les années 1970.
Quant à Dame Salami Rola, elle brandit le certificat de propriété foncière datant du 22 juin 2010. Elle affirme avoir acheté ce domaine de 2 656 m2 situé sur l’axe pharmacie du lycée technique et le lycée technique de Cocody, des mains de la Sogepie, à 13 500 000F/Cfa soit 5083F/m2 dans la commune huppée de Cocody.
Le bradage des biens immobiliers de l’Etat par les anciens dirigeants de la Sogepie ne s’arrête pas en si bon chemin. Le lot 15A de 2 574m2 non loin du lycée technique de Cocody, appartenant à un enseignant, logé jusque-là par la Logemad, est morcelé par cette structure étatique, et vendu à un opérateur économique privé.
En effet, confronté à une crise sans précédent en 1989, l’Etat de Côte d’Ivoire décide de vendre une partie de son patrimoine. Le prix expertisé de ce lot 15A, par l’Etat est estimé à 22 506 636F. Un abattement de 50% est proposé à l’enseignant, s’il paye au comptant. N’ayant pas de ressources suffisantes, l’enseignant opte pour un précompte sur son salaire sur une période de dix ans. Il bénéficie tout de même d’une réduction de 30%. Au terme du contrat en 1999, il va jouer des coudes pour que soit signée, son attestation de fin de paiement par la Sogepie, qui a remplacé entre-temps, la Direction du patrimoine civil qui gérait le patrimoine immobilier de l’Etat jusque-là. La signature interviendra en fin de compte, quatre ans plus tard, le 31 octobre 2003. Les raisons de la réticence de cette structure étatique, ne se font pas attendre. Un certain Ayoua Ehounou Vanice se présente à l’enseignant, le 6 avril 2010, titulaire d’un certificat de propriété foncière sur une superficie de 1015m2 du lot 15A. En clair, la Sogepie a morcelé le lot acquis par l’enseignant au prix de mille efforts et l’a vendu à 22 millions de F/Cfa. L’enseignant est donc sommé de vider les lieux. Celui-ci saisit le juge des référés qui condamne le nouvel acquéreur. L’affaire est encore pendante devant la justice.
La vente du domaine de l’Etat n’épargne aucun quartier.
En février 2009, des occupants du siège de l’Aip, en contrat de location avec cette agence, sont mis en demeure de déguerpir par le ministère de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat, au motif que les ‘’10 220 m2 de ce site, objet du titre foncier N°121 487 de Bingerville, sont détenus en pleine propriété, par M. Opokou Essimin Georges, qui l’a acquis à 89 millions Fcfa, suivant le certificat de propriété N°01004826 en date du 18 septembre 2008.’’ Pour mémoire, Opokou Essimin Georges, agent Sogepie, est payé à 300 000F/ mois. On imagine le nombre d’années d’efforts de cotisation qu’il a dû consentir pour pouvoir mobiliser cette somme.
Pendant que la procédure judiciaire suit son cours, les mêmes locataires sont convoqués à une audience le 21 décembre 2009, par le président de la 2è Chambre civile C du Tribunal de 1ère Instance d’Abidjan-Plateau. Là-bas, il leur est signifié que ‘’ la Société civile immobilière Almaha dite Sci Almaha, agissant aux poursuites et diligences de Mme Attié Hilda épouse Omaïs, gérante de ladite société, déclare être propriétaire de la parcelle de terrain d’une superficie de 10 220m2 sise à Abidjan-Plateau, Avenue Chardy, objet du titre foncier N°121 487 de Bingerville.’’ Et ce, en vertu de l’acte notarié de vente et du certificat de propriété N°01005435 du 2 mars 2009.
Cette société avance que la parcelle … querellée, autrefois propriété de M. Opokou Essimin Georges, lui a été cédée par ce dernier, six mois après son acquisition, par-devant Me Ouattara Mamadou, notaire à Abidjan, à hauteur d’un milliard (1 000 000 000) de Fcfa et qu’elle a des difficultés à mettre son immeuble en valeur, ‘’en raison de son occupation par les défendeurs qui y ont édifié des constructions et refusent de faire place nette malgré les injonctions du ministère de la Construction et de l’Urbanisme.’’ Cette ‘’occupation illégale’’ qui entraîne ‘’un manque à gagner’’ de sa parcelle, ulcère Mme Omaïs puisqu’elle veut ‘’y bâtir un immeuble à louer’’.
Ce à quoi le Club Sportif Abidjanais, l’un des occupants du site, rétorque qu’il possède une lettre de la Présidence de la République de Côte d’Ivoire, en date du 15 août 1966 ainsi que celle des Travaux Publics N°2026 du 5 juin 1964 ‘’portant cession provisoire de la parcelle litigeuse ainsi que plusieurs autres et qu’en outre, les constructions ont été édifiées avec l’autorisation de l’administration dont la lenteur n’a pas permis d’obtenir les autres documents administratifs.’’
N’empêche ! Le 3 mai 2010, la sentence tombe : SCI Almaha est déclarée propriétaire de la parcelle litigeuse. Les occupants du site sont priés de vider les lieux pendant que le juge ordonne la démolition des constructions qui y ont été édifiées.
Le 24 juillet 2010, le Repmasci quitte, malgré lui, le site de l’Agence Ivoirienne de Presse, ancien local du ministère de la Promotion de la femme, avec qui il a signé un contrat de bail depuis le 1er avril 2004.
Dans ce branle-bas du déménagement en catastrophe, cette structure de lutte contre le Sida est victime d’un cambriolage le 24 octobre 2010, où elle perd presque tout : ordinateurs, matériel de bureau, matériel de communication…
Elle perd également plusieurs partenaires (le temps de trouver un nouveau siège et renouer le contact) et donc d’importants appuis financiers dans le cadre de ses activités de sensibilisation des populations en vue d’éviter de contracter le Sida.
On peut donc le dire, contrairement à ce qu’ont écrit certains confrères ou à la rumeur répandue, ce n’est pas l’immeuble de l’Aip qui a été vendu. Le site de cette agence n’est pas concerné. Ce sont quatre lots morcelés sur les huit lots au total, qui ont donc été vendus à un milliard Cfa. Pire, selon le nouveau directeur général de la Sogepie, Issiaka Bamba, aucune trace de cette vente ne figure dans les annales de ses structures, si ce n’est la photocopie d’un chèque de 74 millions de Fcfa.
Il ressort des investigations que la Sogepie, structure de l’Etat, dont l’une des attributions est d’identifier, faire immatriculer et inscrire au nom de l’Etat, tout le patrimoine bâti de l’Etat’’, constatant les insuffisances qu’elle devait combler, en a profité pour vendre une bonne partie du patrimoine immobilier de l’Etat au profit de tiers.
Premièrement, beaucoup de terrains bâtis ou nus et autres biens de l’Etat n’étaient pas immatriculés. Parmi lesquels il est fait mention de bâtiments coloniaux que la France a mis à la disposition de la Côte d’Ivoire après l’indépendance. Certains s’en sont donc servis. A satiété.
Deuxièmement, les ex-dirigeants de la Sogepie ont procèdé par des morcellements. Ils amputent des terrains du domaine de l’Etat et les vend. Comme c’est le cas des terrains non loin du lycée technique, évoqués plus haut. C’est également le cas au camp douanes de Treichville Arras I, où après avoir vendu les maisons aux douaniers résidants, l’espace vert de cette cité a été morcelé et vendu à des privés et autres opérateurs économiques qui y ont construit des magasins mis en location. Certains acquéreurs sont même installés sur le collecteur menant au boulevard Giscard d’Estaing. Tout comme la cité douanes du Plateau (environ 1000m²) où, après la vente des trois appartements de l’immeuble, l’arrière-cour a été morcelée et cédée ; laquelle sert, à l’heure actuelle, de marché et abrite quelques restaurants.
Troisièmement, le scandale des certificats de propriété foncière.
Les étapes à franchir pour l’établissement d’un certificat de propriété foncière, dernière étape d’un long et onéreux processus, sont connus depuis la nuit des temps. Pourtant, ces dernières années, les certificats de propriété foncière font florès ; créant de nombreux conflits fonciers et des procès interminables.
Autrefois, quand des populations devaient quitter un site du fait de l’urbanisation, elles recevaient des attestations villageoises. Avec cette attestation, le ministère en charge de la construction ou le préfet (si c’est à l’intérieur du pays) délivre une lettre d’attribution. Ensuite, un arrêté de construction provisoire (Acp), qu’on appelle communément titre foncier, par le ministère de la Construction et de l’urbanisme. Après avoir mis en valeur le terrain, l’acquéreur obtient l’arrêté de construction définitif (Acd) et enfin, le certificat de propriété foncière, propriété définitive et exclusive, délivrée par la conservation foncière.
L’autre flou artistique qui a favorisé le bradage des biens de l’Etat réside dans la tutelle. La loi qui crée la Sogepie annonce qu’elle est sous la tutelle administrative du ministère de la Construction et de l’Urbanisme et la tutelle économique du ministère de l’Economie et des Finances. Or, la conservation foncière, qui délivre le certificat de propriété foncière objet de nombreux litiges fonciers, relève du ministère de l’Economie et des Finances dirigé à l’époque par Paul-Antoine Bohoun Bouabré.
Celui-ci a introduit dans la loi de finance de 2002 que l’acquéreur d’un terrain urbain qui a obtenu un Arrêté de construction provisoire (Acp) peut solliciter directement un certificat de propriété foncière sans avoir obtenu un Certificat de construction définitive (Acd), donc sans mettre en valeur son terrain. C’est ce qui explique donc cette floraison de certificats de propriété que compte remettre en cause, voire attaquer en justice, la nouvelle direction de la Sogepie et le ministère de la Construction, de l’Assainissement et de l’Urbanisme. (lire l’interview du directeur général de l’Habitat et du Foncier).

Sylvain Namoya

NB: Le titre est de la rédaction.

Mamadou Sanogo, ministre de la Construction, de l’Assainissement et de l’Urbanisme :“ QUE TOUS CEUX QUI ONT TENTÉ DE FAIRE DES BATIMENTS DE L’ÉTAT LEUR PROPRIÉTÉ LES LIBÈRENT, SINON... ”

Le 31 août 2012 par Fraternité matin - Mamadou SanogoLe Premier responsable de la construction met en garde, dans cette interview, tous ceux qui, au mépris de la loi, ont acheté, à vil prix des bâtiments et autres domaines de l’état.
Des biens immobiliers appartenant à l’Etat ont été bradés. Peut-on avoir une idée de l’ampleur des dégâts ?

Sans avoir réalisé une étude précise, on peut constater de manière empirique qu’une partie du patrimoine immobilier de l’Etat a été effectivement bradée, ne serait-ce qu’au niveau d’Abidjan et de l’étranger. A l’intérieur du pays, on assiste à un autre phénomène. Il s’agit de la volonté de certains de nos concitoyens de transformer en biens privés, des biens immobiliers qui appartiennent à l’Etat ; parce que durant des années, aucune politique efficace de recensement du patrimoine de l’Etat n’a été effectuée. Depuis les années de l’indépendance, toutes les villes de l’intérieur avaient leurs quartiers qu’on appelle ‘’camps fonctionnaires’’ puisque le colonisateur savait qu’il fallait bâtir des logements pour les premiers cadres. Avec l’avènement de l’indépendance, les moyens étant disponibles, il y a eu la volonté, à travers la politique des fêtes tournantes, de réaliser certaines cités pour y loger certains de nos chefs des services déconcentrés. Etant donné que tout ce patrimoine n’a pas été bien répertorié, certains fonctionnaires qui ont pris leur retraite dans ces locaux, tentent tout simplement d’en faire leur propriété. Donc, la situation varie selon qu’on est à Abidjan, à l’intérieur du pays ou à l’étranger.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour récupérer ces biens immobiliers ?
Nous sommes dans ce ministère depuis un peu plus de douze mois. Parmi nos projets prioritaires figurent le recensement du patrimoine immobilier de l’Etat. Nous avons trouvé nécessaire de réaliser un audit de la gestion de la Sogepie. Concomitamment à notre initiative, la présidence de la République a aussi diligenté une enquête dans ce sens, par l’entreprise de l’Inspection générale d’Etat pour faire un état des lieux de l’équipe sortante. Au niveau d’Abidjan, l’équipe dirigeante qui était à la Sogepie a bel et bien bradé beaucoup de biens appartenant à l’Etat en faisant fi des procédures qui existent en la matière. C’est vrai qu’un décret avait été pris pour dire que dans certaines conditions bien précises, l’Etat peut procéder à des cessions de certains de ses biens relevant de son patrimoine. Mais le directeur de la Sogepie n’a pas le droit d’initier de telles actions de façon unilatérale. Il doit forcément passer par une autorisation signée conjointe- ment par un arrêté interministériel du ministre en charge de la Construction et celui de l’Économie. Les enquêtes ont établi qu’en faisant fi de tout cela, l’ancienne équipe de la Sogepie s’est permise des choses inimaginables. Figurez-vous que le site de l’Aip d’un hectare, situé au Plateau, avait été vendu à quelques centaines de millions à un opérateur économique en utilisant le nom d’un employé de la Sogepie qui s’est porté acquéreur par devant notaire et a bradé tout le site de l’Aip. Tout cela pour dire que la situation est grave. Pour le cas du patrimoine à l’étranger, sachez que dans les jours à venir, des actions opérationnelles vont démarrer.
Peut-on dire alors qu’à la date d’aujourd’hui, vous n’avez pas un point exhaustif de la situation du patrimoine de l’Etat ?
Nous avons un point exhaustif de tout ce qui a été bradé par la Sogepie d’alors. A ce niveau, il n’y a pas de doute.
Quelle est donc l’ampleur du phénomène ?
Des dizaines de maisons qui appartiennent à l’Etat ont été vendues. En Suisse, des bâtiments qui ont été achetés à prix d’or, par le Gouvernement du temps du Président Houphouët-Boigny, certains bâtiments en France, rue Masseran ou d’autres adresses qui faisaient la fierté des Ivoiriens, l’ont été également. Nous y sommes allés avec un architecte et un avocat commis par le Gouvernement. Nous avons fait le tour et constaté de visu qu’ils ont tenté de les brader. Il y avait même des tableaux qui appartenaient à la Côte d’Ivoire. Quand on parle du patrimoine de l’Etat, il n’y a pas que les bâtiments. Il y a aussi des tableaux, des objets de valeur que le Président Houphouët-Boigny avait inscrits au nom de la Côte d’Ivoire parce qu’il aimait son pays. Souffrez que nous ne dévoilions pas l’étape actuelle de cette enquête pour ne pas leur mettre la puce à l’oreille. Mais je peux vous le dire, nous avons une idée très précise de tout ce qu’ils ont tenté de brader ou qu’ils ont simplement vendus. Mais je peux vous rassurer, tout est mis en œuvre pour les faire revenir dans le patrimoine de l’Etat de Côte d’Ivoire.
Comment expliquez-vous les nombreux problèmes fonciers urbains ?
Les quelques mois que nous avons passés à la tête de ce ministère, nous ont permis de comprendre les causes de ces conflits. Toute la chaîne du foncier ne travaille pas selon les règles de l’art. Aujourd’hui, nos concitoyens vont acheter des lots issus de lotissement villageois. Des lotissements initiés par des villageois en liaison avec quelques géomètres ou des particuliers qui ont un peu de moyens. Cela se fait dans des conditions qui ne respectent pas les normes d’urbanisme. Il y a des gens qui vont voir les villageois en leur disant, j’ai 10, voire 20 millions. Je veux vous aider à lotir des espaces que vous êtes prêts à céder. Alors, on trouve un géomètre, souvent même un simple topographe, qui établit un plan de lotissement. Le document est proposé à la Direction de l’urbanisme de mon ministère pour aboutir à un arrêté d’approbation de lotissement. En général, sur les documents, ils font apparaître tout ce qu’il faut, tout ce qui est exigé techniquement : les reçus, les servitudes, les espaces dédiés aux équipements…Tout apparaît comme il se doit. Quand ils veulent être un peu sérieux, ils prennent soin de ne pas faire apparaître les ravins qu’ils vont plus tard céder. Une fois le document validé, ils passent à autre chose sur le terrain. Ces villageois déposent au ministère un guide villageois. Ce guide comporte les noms de leurs futurs acquéreurs ou leurs acquéreurs en général. Mais dans la pratique, le même promoteur vend un lot à plus d’une personne. Ils peuvent venir à tout moment corriger le contenu du guide, barrer les inscriptions qui étaient en place et les remplacer par d’autres noms. Evidemment, cette situation débouche sur des contentieux. Et l’administration devient responsable de la délivrance de tous les actes qui vont en découler. Cette situation, si elle est vraie à Abidjan, elle l’est beaucoup plus à l’intérieur du pays à travers l’administration territoriale. En plus, il y a eu le sous-équipement de notre administration en charge de la gestion du domaine urbain. Nous avons été choqué de constater qu’il n’y avait même pas un minimum de système informatique pour contenir l’ensemble des informations sur le domaine foncier. La première chose à faire donc a consisté à informatiser toute la chaîne de traitement des actes. Après avoir identifié les raisons, nous avons décidé d’y apporter des solutions opérationnelles. Parce que lorsqu’il n’y a pas d’outil informatique, nos registres peuvent être visités par n’importe quel agent qui peut aller transformer le contenu du registre au gré de la volonté de quelqu’un qui est à l’extérieur et qui lui propose de l’argent. Maintenant, tout cela ne peut plus être possible avec ce grand projet que nous sommes en train de mettre en place.
Selon vous, l’informatisation peut-elle résoudre ce problème de prolifération de titres fonciers ?
Le certificat de propriété foncière est délivré en aval. C’est-à-dire au niveau du ministère de l’Economie et des Finances. Contrairement à de nombreux pays africains, le cadastre dépend du ministère de l’Economie et des Finances et non du ministère de la Construction en charge du foncier. C’est un choix fait plus haut. Ce qui est délivré chez nous, c’est la lettre d’attribution et l’arrêté de construction provisoire (Acp). On a assisté par le passé, à la délivrance de plusieurs lettres d’attribution ou arrêtés de construction provisoire sur le même terrain. Mais avec l’informatisation, cela ne sera plus possible. Aujourd’hui, pour un terrain donné, il n’y aura qu’un acquéreur et un seul parce que le système pourra nous renseigner que le terrain a fait l’objet d’une attribution.
À propos de l’intérieur du pays, vous avez pris récemment une décision draconienne, celle de suspendre tous les actes à Yamoussoukro. Ce qui crée des grincements de dents. Comment la justifiez-vous ?
Nous étions effectivement à Yamoussoukro, notre capitale politique, surtout parce que le Président Alassane Ouattara y tient. Nous avons appris que les tares en matière de gestion du foncier qu’Abidjan a connues, Yamoussoukro est sur la voie. Il fallait aller nous enquérir de la situation. Malheureusement, si nous n’anticipons pas, nous risquons de vivre des situations pires à Yamoussoukro. Le plan d’urbanisme de Yamoussoukro prévoit un certain nombre d’équipements. C’est-à-dire la zone administrative où seront construits le palais, les ambassades, les ministères… et un peu plus loin, le centre des affaires. A l’heure où je vous parle, certaines personnes se sont autorisées à vendre ces sites. A partir du moment où il a fait l’objet d’un plan d’urbanisme directeur, donc d’une loi, c’est dire que le site est protégé. Il n’est donc plus constructible, si ce n’est avec l’autorisation du ministère en charge de la Construction. Ce sont des réserves administratives. Elles ne doivent plus être touchées.
Malheureusement, certaines autorités locales se sont permises de céder ces sites.
Pourquoi donc élargir la mesure, si vous êtes d’avis que ce sont les services de l’Etat, les vôtres, qui ont morcelé et vendu ces réserves à des particuliers ?
Nous avons proposé au gouvernement une communication au cours de laquelle nous avons demandé que toutes les émissions d’actes soient suspendues pour six mois sur l’ensemble du territoire de Yamoussoukro, pour nous permettre de mettre en place une commission composée de tous les acteurs de la chaîne foncière : mairie, préfecture, district, direction régionale de la Construction, cadastre et les spécialistes du ministère. Nous allons faire l’état des lieux. Ensuite, nous allons revenir vers le Conseil des ministres pour lever la mesure. Vous affirmez que le ministère est concerné. Je ne dis pas non. Si les actes ont prospéré, s’ils sont allés au-delà de l’arrêté préfectoral et que des arrêtés de construction provisoire ou des certificats de propriété ont pu être produits sur le site à Yamoussoukro, c’est bien parce que quelque part, le ministère est complice. Est-ce à dire que même s’il y a une continuité de l’Etat et qu’une nouvelle équipe constate des anomalies, elle ne doit pas agir au motif que ce sont des agents du ministère ? C’est comme si quelqu’un venait dire que tous les actes de bonne gouvernance qui sont en cours n’ont pas leur raison d’être parce que des prédécesseurs ont mal géré. Je vous ai dit en début de cet entretien que des actes de mauvaise gouvernance ont été posés à la Sogepie. Est-ce à dire que le directeur actuel n’a pas le droit de les changer ? Si vous me dites que l’actuel directeur régional de la Construction, a posé un tel acte, ce serait à moi de prendre la mesure administrative qu’il faut pour le sanctionner. Nous avons le devoir de corriger les mauvais actes de l’ancienne équipe. Nous savons que nos actes seront évalués demain par nos successeurs. Notre volonté n’est pas de punir qui que ce soit à Yamoussoukro. Quand le gouvernement va passer à l’investissement opérationnel à Yamoussoukro pour construire les équipements prévus, il ne faudrait pas qu’on se retrouve devant des propriétaires privés, alors que le site avait été prévu pour recevoir des équipements. Nous n’avons pas à renégocier avec quelqu’un, puisque tout était prévu par l’Etat de Côte d’Ivoire.
Et le problème des purges ?
Forcément des purges avaient été effectuées. On nous fait croire qu’il n’y a pas eu de purges. Je suis désolé ! Avant de classer un site, on procède forcément dans les procédures, à la purge. Il y a des sites peut-être qui n’ont pas fait l’objet de purge, mais dans les budgets d’installation de ces nouveaux équipements, nous allons prévoir le coût des purges pour la chefferie. Lors de mon passage à Yamoussoukro, j’ai rencontré toute la chefferie et l’ai rassurée. Je leur ai dit : au lieu de tenter de brader ces réserves, vous avez la chance que votre région a été choisie comme la capitale politique d’un pays. Ce n’est pas à vous de dénaturer, de défigurer cette ville. Lorsque l’Etat va décider de venir bâtir le siège d’une institution, sachez que le ministre que je suis, va se battre pour qu’on prévoie la purge qui correspond à cet espace. La chefferie concernée va retrouver les sommes qu’elle souhaite avoir. Mais ce n’est pas la peine de se presser. Il y a eu un désordre à Abidjan. Voyez vous-même, les voies structurantes d’Abidjan : la V28, la Y4 qui partent pour certaines, de la zone sud jusqu’à Yopougon en contournant Abidjan pour faire un peu comme les voies structurantes de Paris pour permettre la circulation rapide, ont fait l’objet de morcellement. Nous allons démolir tous ceux qui sont sur ces emprises. Le Gouvernement nous a autorisé à le faire. Ceux qui ont bâti sur les équipements, je leur demande, pour l’heure, de ne pas continuer les investissements parce que l’Etat ne va pas renégocier avec eux ou dédommager qui que ce soit. Je profite de votre canal pour dire aux frères et sœurs de Yamoussoukro et surtout les détenteurs de droit coutumiers, qu’ils ne sortiront pas perdants. Lorsque l’Etat va décider d’aller bâtir le siège d’une institution, le budget va comporter une ligne qu’on appelle : droits coutumiers. On va leur remettre leur part et l’Etat va réaliser son projet. Donc mieux vaut attendre l’Etat que de négocier avec un privé qui, de toutes les façons, n’aura pas d’actes. A ces lotisseurs, je leur demande d’arrêter d’agir comme ils l’ont fait par le passé. A ce niveau aussi, nous avons pris des mesures pour mettre de l’ordre.
Allez-vous reprendre le recensement du patrimoine de l’Etat, puisque, selon vous, rien n’a été fait depuis bien des années ?
Nous sommes venus à ce ministère pour apporter notre modeste contribution. Avec l’audit de la Sogepie, nous avons un état précis des lieux. Des mesures correctives vont démarrer. Nous venons d’obtenir un financement de l’Etat à hauteur de plus de 400 millions pour reprendre le projet de recensement du patrimoine immobilier de l’Etat. Les représentants des différents ministères de ce projet interministériel, sont connus. Le projet va démarrer sans délai. Nous espérons avoir les résultats courant décembre. Nos concitoyens verront que toute l’étendue du territoire sera visitée aux fins d’établir l’identité de tous les bâtiments qui appartiennent à l’Etat. Je profite de l’occasion pour dire à tous ceux qui occupent des bâtiments de l’Etat ou qui ont tenté d’en faire leur propriété, que c’est peine perdue. Qu’ils prennent des dispositions pour libérer ces bâtiments. Nous allons identifier le potentiel, ville par ville, commune par commune. A l’étranger, il en sera de même.
Aujourd’hui le problème du foncier est-il derrière les Ivoiriens ?
Quant aux solutions à apporter à la gestion du foncier, nous avons commencé par l’informatisation de la chaîne de traitement des actes. Aujourd’hui, nos concitoyens doivent savoir que quand ils déposeront une demande d’actes au ministère, un récépissé comportant un login et un mot de passe vont leur être remis immédiatement. Ce qui leur permet de suivre par Internet, les étapes de traitement de leurs actes. Ils sont ainsi à l’abri des intermédiaires qui arpentaient les couloirs de notre ministère. Dès que vous déposez votre dossier, vous n’avez pas besoin d’un contact. Depuis votre bureau, votre domicile, votre Ipad…vous pouvez suivre les différentes étapes de l’évolution de votre dossier jusqu’à la signature par le ministre. Vous n’avez pas besoin de vous faire arnaquer. Dès que nous constatons un problème, nous vous envoyons un Sms pour vous le signaler. Ce n’est pas un projet. C’est déjà fonctionnel et vous pouvez l’essayer. Il y a huit mois que nous l’avons initié et aujourd’hui, ça fonctionne parfaitement. Quant aux solutions durables au problème du foncier, nous avons décidé, à travers un arrêté portant agrément des aménageurs privés, de met-
tre fin à la pratique de tous les logeurs sauvages. Sur toute l’étendue du territoire, nous allons mettre fin à ces lotissements. Nous demandons à toutes ces personnes de venir au ministère pour solliciter un agrément. Ceux qui vont continuer à exercer cette fonction ou profession de lotisseur vont être poursuivis par la police économique afin de mettre fin à leurs activités. Concernant les lotisseurs professionnels, nous sommes en train de rencontrer les banquiers pour expliquer la nécessité d’accompagner ce secteur.
Pour ne plus tomber dans ces travers, je demande à tout acheteur de terrain, de s’assurer que celui auprès de qui il achète un terrain, est un aménageur agréé. Seuls les aménageurs agréés verront leurs actes signés par le ministre. C’est-à-dire les demandes de lettre d’attribution, d’arrêté de construction provisoire. Tous les autres lotisseurs, à Abidjan ou à l’intérieur du pays, ne verront plus leurs dossiers prospérer chez nous. Ce qui va nous amener à avoir des villes modernes, propres, bitumées, des voiries construites, des espaces verts et des aires de jeux.
interview réalisée par

Sylvain Namoya