TRIBUNE/OPINION: LES VRAIS ASSASSINS DE NOS NOMS ET PRÉNOMS
Le 25 janvier 2013 par Correspondance particulière - LE MOT DE GUIKOU BILET ZAFLA.
IMAGE D'ILLUSTRATION.
LES VRAIS ASSASSINS DE NOS NOMS ET PRÉNOMS 1
Nous les africains, ne savons pas vendre nos noms. Je veux dire que nous ne savons pas en faire la publicité afin que ces noms-là entrent dans les oreilles du monde entier et y restent. Nous ne sommes pas intéressés par le fait que nos propres noms et prénoms africains dépassent les frontières de nos villages, de nos pays, de l’Afrique. Nous sommes malades d’eux, surtout de nos prénoms. Les entendre nous met en colère. Les entendre nous rend petits dans nos esprits. Nous en avons honte. Nous en avons horreur. Mais nous ne savons pas que, pour finir, nous sommes une horreur pour nous-mêmes. Juste parce que nous ne valons rien.
S’il vous plaît, chers lecteurs, relisez une ou deux fois, le titre et les phrases ci-dessus… Merci pour cette minute de silence en hommage à notre identité africaine.
Oui, nous ne valons rien. Oui, je veux dire que nous n’avons aucune valeur. Je sais que devant nous, un monsieur aussi respectable que Koffi Yamgnane, ne serait rien. Notre raison serait qu’il n’a pas de prénom français, ni de prénom arabe, ni quelque chose qui montre son statut d’Africain moderne. Entre nous, avant même que les autres ne nous critiquent, avouons honnêtement notre ignorance. Une ignorance totale ! Une aberration sans bornes ! Une cécité intellectuelle vis-à-vis du problème de nos prénoms vrais ! Honte à nous donc !
Nous sommes malades. Il nous faut des docteurs. Nous devons subir des soins médicaux, et pourquoi ne pas le dire, des soins mentaux. Mais quel est au juste notre problème ? Excusez-moi, quels sont au juste nos problèmes ? Car, comme aime le dire mon ami Foly Komla, nos problèmes sont plus que pluriels. Nous ne les maîtrisons pas, ne les discernons pas. Mais le plus grave, c’est parce que nous ne savons même pas que nous avons ces problèmes. La raison ? Nous ne pensons pas. Nous ne nous asseyons pas pour réfléchir à nous-mêmes. Sinon, il est très facile de dénicher un problème comme celui de la perte de nos prénoms africains. Sinon, nous pouvons arriver à la résolution de reprendre, aimer, exporter, vendre, imposer nos prénoms africains.
Mais hélas, nous sommes les vrais et pires assassins de nos prénoms. Je me répète, nous détestons que nos prénoms africains deviennent célèbres. A la recherche de notre gloire, nous préférons utiliser sans honte, ni intelligence des noms étrangers. Au début, nous avions cru que c’était bon à travers les Amédée Pierre, Martino Zog, Ernesto Djédjé, Justin Stanislas, Jimmy Hyacinthe, Bailly Spinto, Daplé Stone, Alpha Blondy, etc. Nous n’avions pas découvert notre erreur grossière, ni le ridicule dans nos choix. Aujourd’hui encore, nous continuons de commettre les mêmes bêtises : nous n’avons toujours pas le souci de rendre nos noms et prénoms célèbres.
Maintenant ce sont nos prénoms en général que nous rejetons, que nous soyons artistes ou pas. Nos journalistes, ces gens que leur métier amène à agir sur nos consciences, sont les premiers à signer leurs écrits et leurs émissions avec des prénoms étrangers, à caresser dans le sens des poils nos politiciens assoiffés de gloire en chantant leurs prénoms étrangers. Ces politiciens, préoccupés par leur gloire, oublient le côté culturel et identitaire de nos prénoms africains, les laissent perdre de la vitesse par rapport aux prénoms étrangers. Personne ne dénonce l’impérialisme culturel qui sévit dans notre pays. En un mot, nous rangeons nous-mêmes notre identité dans les tiroirs et adoptons celles d’Orient, d’Occident, d’Amérique Latine… En attendant… Nous sommes des masochistes culturels.
Voici des exemples qui me font très mal au cœur. Je vais les nommer sans hésiter, vu que je n’insulte personne, mais que je pleure le manque d’estime de deux frères pour eux-mêmes et pour leurs racines africaines. Ils ne sont pas les seuls, mais…L’un écrit à Ivoire Business et signe ses articles Yves T. Bouazo. Voyez comment il rate une belle occasion de rendre célèbres ses nom et prénom ivoiriens ? Comme il parle et écrit bien l’anglais, je m’aventure à disséquer son nom à la manière américaine ou britannique : Prénom étranger Yves + Prénom africain T. abrégé et intentionnellement transformé en second prénom + Nom du père Bouazo. C’est comme ça que nous nous diminuons devant les blancs en voulant présenter notre filiation exactement comme la leur. J’aurais signé chaque jour mes articles : Bouazo Tapé, Tré, Touapri, Tibé, Touvoly, etc. et aurais sans hésiter rejeté Yves. Par le simple, mais sérieux souci de rendre mes nom et prénom africains célèbres.
Le même frère interviewe souvent un autre digne fils de l’Afrique, qu’il présente sous le titre pas flatteur d’érudit, je veux dire un savant. Donc ce n’est pas n’importe qui. Car, de tous les nombreux africains qui vont aux Etats-Unis ou en Europe, ils sont rares, ceux qui atteignent le niveau du fils de Digbeu Zagui Apoh. Il est donc une grande fierté pour l’Afrique, la Côte d’Ivoire, les Bété. Mais là où il pèche un peu, avec de graves conséquences, c’est l’appellation qu’il choisit de s’offrir : Guy-Firmin de Lago. Vous ne tombez pas des nues, puisque c’est courant de nos jours. Mais moi, je grince des dents. Je suis complètement opposé à ce suicide culturel, cet assassinat de sa propre identité. Vous ne me comprenez pas ?
Bon, je m’explique. Si, comme je l’ai déjà dit pour mon jeune frère T. Bouazo (ça me rappelle mon regretté cousin Tapé Bouazo ou mon ami Toualy Bouazo), mon autre jeune frère, fils de Digbeu Zagui Apoh, se faisait appeler juste Digbeu Lago, ou Digbeu Bouazo, Kipré, Séri, Massa, etc. imaginez combien aurait été multiplié notre honneur ! Et combien aurait été grande notre fierté ! Charles de Gaulle, Giscard d’Estaing, Couve de Murville… Ce sont des noms nobles. Le système des noms avec le « de » au milieu n’est pas africain, ni ivoirien, ni Bété. Nous ne connaissons pas de noblesse occidentale dans la formulation de nos noms. Je vois un mal dans le nom Guy-Firmin de Lago : le jeune frère semble soutenir l’idée que les noms africains ne méritent pas de célébrité lorsqu’ils ne sont pas accompagnés de prénoms étrangers. Wouobou ! Maniê Yiêa ni ?
Je réponds aux deux frères par un triple « si », les noms Konan Yao, Kodjo Ebouklé, Dinzey Doumbia, Guéhi Tomam, Gnessoa Pouly, Irié Lou Gonéva, peuvent devenir célèbres sans être accompagnés de prénoms étrangers ou présentés à la manière des cultures étrangères. Les temps ont changé. L’Afrique a perdu assez par notre propre faute. Changeons de mentalité en faveur d’elle, donc en notre propre faveur. Acceptons de nous appeler par notre filiation africaine et surtout avec nos noms et prénoms africains seulement. Oui, nous le devons. Sacrifions notre joie personnelle pour celle de l’Afrique.
Je n’ai pas non plus compris, comme les autres fois, l’intérêt d’une interview en anglais de notre frère, sur la page en français d’Ivoire Business. Est-ce pour aiguiser fortement encore, le rêve les plus jeunes à vouloir venir en Amérique ? Ou bien aurait-il déjà oublié le français entre 1995 et 2012 ? Langue Bété, tu serais alors avertie…
Une contribution de Nohoré Gbodiallo Guikou Bilet Zafla
likaneyb2@hotmail.com