TRIBUNE : REFUS DE LA LIBERTÉ PROVISOIRE AU PRÉSIDENT GBAGBO. LA CPI DE MAL EN PIS

Le 16 mars 2013 par Correspondance particulière - LA CPI DE MAL EN PIS.

La première chambre préliminaire de la CPI vient encore de s’illustrer à travers une décision (n°ICC-02/11-01/11) prise le 12 mars 2013 par la juge unique Silvia Femandez de Gurmendi, plus que contestable. Pour refuser une fois de plus la liberté provisoire au Président Laurent Gbagbo, elle s’est fondée sur l’existence d’un réseau de partisans « basés dans des pays voisins, soupçonnés de se livrer à des activités illégales dans le but ultime de reprendre le pouvoir en Côte d'Ivoire » (point 35 de la décision). Cette conviction lui est servie par les informations que le procureur aurait puisées dans le "Rapport de mi-Mandat du Groupe d'experts sur la Côte d'Ivoire du 15 octobre 2012, en application du paragraphe 16 de la résolution 2045 (2012) du Conseil de sécurité ».
La référence à ce rapport des experts est surprenante et choquante à la fois, dans la mesure où la partialité de ce rapport a été remise en cause par différents acteurs de la communauté internationale. Le Gouvernement du Ghana a « désapprouvé fermement le contenu de ce prétendu rapport » en déplorant le fait que « les observations du Groupe (des experts) … n'ont pas été partagées avec le Gouvernement avant la publication hâtive du rapport provisoire ». Le ministre français de la défense a mis en doute certaines affirmations, quant aux sources de financement des activités de déstabilisation et aux liens avec les islamistes du Mali. Des représentants du capitaine Sanogo du Mali (responsable de la junte militaire) ont démenti toute implication dans une quelconque entreprise de déstabilisation. Quant à l’Onuci, elle s’est manifestement démarquée du rapport à travers sa porte-parole Sylvie Van den Wildenberg en précisant que « ce n’est pas un rapport de l’ONU, c’est un rapport d’un groupe d’experts indépendants … Les conclusions de ces rapports ne sont pas des vérités absolues, c’est-à-dire que ces conclusions n’engagent que les experts. Cela veut dire que le Conseil de sécurité ne va pas nécessairement suivre les conclusions de ces experts». Et de fait, le Conseil de sécurité, qui avait sollicité ledit rapport, ne s’y réfère même plus (voir notamment le 31e rapport périodique du Secrétaire général de l’ONU sur l’ONUCI datant du 31 décembre 2012 - S/2012/964).
En dépit de ce concert de désapprobation, comment la juge unique de la CPI peut-elle continuer à s’y référer pour orienter son jugement ? Enfermée dans sa tour d’ivoire, elle n’a certainement pas lu ces réactions de rejet d’un rapport dont la propre méthodologie imposait un recoupement avec certains Etats voisins ou impliqués dans les opérations de maintien de la paix en Côte d’Ivoire. Ce qui n’a pas été fait.
Au-delà de la crédibilité de ce document, c’est la référence persistante à des arguments d’ordre politique dans une décision de justice qui rend perplexe et conduit à s’interroger sur la nature, politique ou criminelle, de l’« affaire le Procureur c. Laurent Gbagbo ». Dans son intervention lors de l’audience de confirmation des charges le 19 février 2013, la procureure de la CPI avait pourtant affirmé qu’il ne s'agissait « pas de déterminer qui a gagné ou perdu les élections » et qu’il n’était « en aucune manière ici question de politique » ? D’où vient alors qu’à chaque fois, dans les décisions de refus de la liberté provisoire notamment, ce sont des arguments d’ordre politique qui sont avancés et qui, à chaque fois, dénotent l’hostilité des juges de la CPI à l’égard de toute reconquête du pouvoir par le Président Gbagbo, grâce à un réseau de partisans ?
En effet, l’impression nette qui se dégage est que le Président Laurent Gbagbo est maintenu en prison pour permettre à son adversaire de diriger la Côte d’Ivoire. En clair, c’est le jour où les juges de la CPI se convaincront que les partisans du Président Laurent Gbagbo ont abandonné toute velléité de reconquête du pouvoir que le Président Gbagbo pourra bénéficier de cette liberté provisoire et, pourquoi pas, d’un abandon des charges contre lui.
L’on est encore plus sidéré lorsqu’on réalise que les motivations des juges s’appuient sur des informations erronées qui ignorent complètement le rôle des différents acteurs dans la crise ivoirienne. En effet, à l’occasion des différentes séances de l’audience de confirmation des charges, Mme le juge n’a-t-elle pas entendu dire que c’est plutôt l’adversaire du Président Laurent Gbagbo qui a préféré la guerre à un simple recomptage des voix proposé par le Président Laurent Gbagbo ? N’a-t-elle pas entendu dire que c’est depuis l’année 1999 que son adversaire recourt aux coups de force pour accéder au pouvoir, y compris contre le Président Gbagbo à partir de septembre 2002, lorsqu’un autre coup d’Etat manqué s’est transformé en rébellion ?
On est d’autant plus scandalisé par la non prise en compte de ces éléments que la juge unique abonde manifestement dans le sens de la procureure qui associe toute prétention au pouvoir du président Gbagbo à la commission de crimes. C’est ainsi que au point 9 de la décision elle note que « le Procureur soutient en outre que, suite à l’audience de confirmation des charges, il semble que M. Gbagbo se considère toujours comme le président légitime de la Côte d'Ivoire. Il s'ensuit, de l'avis du Procureur, que le risque que M. Gbagbo va continuer à commettre des crimes persiste, en prenant également en compte le réseau de partisans à sa disposition ». Manifestement, les ouvrages de Laurent Gbagbo sur la démocratie, son combat pour l’avènement du multipartisme dans son pays, son choix pour une transition pacifique à la démocratie et son attachement à la légalité constitutionnelle n’ont pas eu d’influence sur la juge Gurmendi, qui, droite dans ses bottes, continuent de travestir l’histoire de la Côte d’Ivoire en débitant encore les convictions assénées par Moreno Ocampo.
C’est tout simplement lamentable car, à travers cette décision, la CPI vient de confirmer que, dans ses décisions, elle ne tient compte ni de la personnalité de l’accusé ni du contexte de commission de crime, encore moins des faits réels qu’elle est amenée à juger. Ce qui jette encore une fois le doute sur son impartialité. Quant au sort du Président Gbagbo, il semble déjà scellé par des considérations autres que criminelles.

Une contribution de Kouakou Edmond
Juriste et consultant