TRIBUNE: Lettre ouverte A Yayi Boni, Président du Bénin et Président de l’UA, sur la situation socio-politique en Côte d’Ivoire, par BEN ZAHOUI DEGBOU
Le 16 septembre 2012 par Correspondance particulière - Lettre ouverte A S.E. Monsieur Yayi Boni, Président de la République du Bénin et Président en exercice de l’Union Africaine (UA), sur la situation socio-politique en Côte d’Ivoire, par BEN ZAHOUI DEGBOU,
Monsieur le Président,
Le 16 septembre 2012 par Correspondance particulière - Lettre ouverte A S.E. Monsieur Yayi Boni, Président de la République du Bénin et Président en exercice de l’Union Africaine (UA), sur la situation socio-politique en Côte d’Ivoire, par BEN ZAHOUI DEGBOU,
Monsieur le Président,
La côte d'ivoire est occupée par l’armée française, il ya maintenant dix sept mois. Jusque là, cette armée d’occupation n’arrive pas à maitriser ses collaborateurs locaux que constituent les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), la milice tribale d’Alassane Dramane Ouattara. Cet ensemble ethno-mystique composé à 98% de ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire, tue chaque jour des ivoiriens considérés comme des partisans de Laurent Gbagbo. Ceux qui ont encore la chance, sont jetés en prison dans des camps de concentration, et le mot n’est pas fort, à Abidjan et au Nord du pays, des preuves existent.
La presse de l’opposition est totalement muselée avec la suspension intempestive des quotidiens pro-Gbagbo et des attaques ciblées de leurs sièges. Monsieur le Président, dans un régime démocratique, les citoyens ont le droit d’exercer leur autonomie politique à travers la liberté d’expression. Par conséquent, la fonction essentielle de la presse consiste à leur donner les moyens de développer leur sens critique et leurs opinions, d’évaluer leurs représentants et leurs gouvernants, et de former en fin de compte, leur jugement politique au cours des élections.
Dans le cadre de la Côte d’Ivoire qui a choisi comme votre pays le Bénin, le pluralisme politique et la démocratie, Il est indispensable que la presse puisse fournir aux populations souveraines, des informations pertinentes sans dissimuler des critiques et des faits déplaisants aux gouvernants. Le pouvoir autocratique et répressif institué depuis plus d’un an en Côte d’Ivoire, est en train de mettre en place les conditions psychologiques d’une autocensure par la terreur et d’une censure formelle.
Monsieur le Président, la liberté d’informer est si essentielle à la démocratie qu'elle ne saurait être limitée sous aucun prétexte. La censure de la presse de l’opposition en Côte d’Ivoire est une grande absurdité, car le niveau de démocratie d’un pays se mesure par la liberté d’expression de sa presse. Dans ce sens, le Bénin votre pays, est un exemple et la Côte d’Ivoire ne peut revenir en arrière malgré les intimidations du Gouvernement.
Monsieur le Président, les ivoiriens traumatisés par les bombes de la Licorne et de l’ONUCI ont droit à l’information, ont besoin d’informations justes et plurielles, pour mieux comprendre ce qui leur arrive. Ils vivent déjà dans une angoisse quotidienne, avec en toile de fond, le spectre récurant de coups d’Etat, ceci depuis le 11 avril 2011. Cette date restera à jamais historique, avec le kidnapping par la Licorne, de Laurent Gbagbo, Président élu par le peuple ivoirien, le 28 novembre 2010. Incarcéré à Korhogo au nord de la Côte d’Ivoire, dans des conditions inhumaines, il a été déporté à la Haye, dans la prison de la Cours Pénale Internationale (CPI) pour dit-on, crime, contre l’humanité, sur ordre de Nicolas Sarkosy, soutenu par Aboulaye Wade et Blaise Compaoré.
Monsieur le Président, vous convenez avec nous, qu’il y a là, une injustice notoire devant laquelle, on ne peut rester indifférent, quand on sait en plus que, ceux-là mêmes qui ont tué et continuent de tuer les ivoiriens, paradent librement et fièrement en ce moment à Abidjan avec des grades militaires couverts de sang.
Le peuple d’Eburnie et les dignes fils d’Afrique ne peuvent naturellement accepter cette injustice, ni aujourd’hui ni demain. Nous ne cesserons jamais de le dire, la résolution d’un contentieux électoral comme celui qu’a connu la Côte d’Ivoire, devait nécessairement passer par un recomptage des voix ou par l’organisation d’un autre deuxième tour, dans des conditions sécuritaires améliorées, dans le nord du pays, pour départager Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara.
Dans la résolution de cette crise, l’Union Africaine, dont vous êtes aujourd’hui le Président en exercice, avait officiellement rejeté l’option militaire que recommandait Alassane Dramane Ouattara, en prônant son règlement pacifique. Mais en réalité, elle avait choisi, avec des Chefs d’Etat françafricains, dans le fond, en harmonie avec Nicolas Sarkosy, une intervention militaire tenue bien secrète, le reste n’était que dilatoire.
Tous les observateurs internationaux reconnaissent aujourd’hui que l’Union Africaine a joué à un jeu trouble en voulant en même temps une résolution pacifique et une opération militaire pour résoudre la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. En effet, durant sa 259eréunion le 28 janvier 2011, dans le cadre de la résolution de ce conflit postélectoral par la voie du dialogue, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union Africaine, , rappelait qu'il était pour une solution pacifique et nommait, dans le même ordre d’idées, un panel de chefs d'États pour régler pacifiquement cette crise. Ce panel était composé de vos pairs d'Afrique du Sud, Jacob Zuma, de la Mauritanie Mohamad Ould Abdel Aziz, du Burkina-Faso, Blaise Compaoré de la Tanzanie, Jakaha Kikwete et du Tchad, Idriss Deby Itno.
Il faut rappeler que l’Union Africaine avait même nommé le Cap-verdien José Brito, comme son Haut représentant en Côte d’Ivoire, deux semaines après les conclusions du panel, le 10 mars 2011, ce jour là, paradoxalement, le Conseil de Paix et de Sécurité de cette même institution, avait pris soin de reconnaitre l'élection d'Alassane Dramane Ouattara, comme Président de la République de Côte d’Ivoire, alors que Laurent Gbagbo, sûr de sa victoire, réclamait le recomptage des voix.
Nous savons aujourd’hui, que le diplomate cap-verdien, avait été nommé par l’UA, pour créer un faux blocage, puisque, forcement, Alassane Dramane Ouattara allait le récuser. Celui-ci a toujours considéré Pédro Pires, le Président cap-verdien comme l’ami de Laurent Gbagbo.
Tout le balaie diplomatique engagé, alors que les rebelles généralisaient leurs attaques à tout le pays, n’était qu’une séquence bien montée par les Présidents Wade, Goodluck et Compaoré, dans le scénario globale du renversement du régime de Laurent Gbagbo, Président inattendu, dont le sort avait été scellé par le système impérialiste et néocolonialiste français, depuis son élection en octobre 2000.
Monsieur le Président, vous en savez plus que nous, sur la crise postélectorale en Côte d’Ivoire mais, nous faisons ce petit rappel pour montrer à quel point l’Union Africaine est divisée et donc, par conséquent, incapable de parler d’une seule voix et de régler les nombreux conflits que connait notre continent. C’est vrai, il est difficile de se mettre d'accord à 54, car les intérêts de nos pays, anciennes colonies, liés à l’Europe, ne sont pas toujours les mêmes d'une région à l'autre du continent, et surtout parce qu'à peine 10% de nos Etats jouissent d'une réelle autonomie politique et économique qui puissent leur permettre de ne défendre que les intérêts légitimes du continent.
L’assassinat du Frère Guide libyen, le Colonel Mouammar Kadhafi et la mauvaise gestion de la crise post électorale en Côte d’Ivoire, deux exemples d’incohérences, dans la manière d’agir de nos leaders, montrent bien, à travers l’UA, que les dirigeants africains divisés, préfèrent s’ériger en spectateurs de leur propre histoire au lieu d’en être les dignes acteurs. Pour exemple, la situation au Nord Mali et en Somalie révèle l’impuissance, voire la démission de l’Union africaine face aux problèmes qui minent le continent. Et comme le dit dans une réflexion, ALAIN FOUGUE TEDOM, Professeur des Relations Internationales et Stratégiques à l’université de Yaoundé II, « A partir de cette double incohérence, on peut légitimement s’interroger sur la crédibilité de l’UA à relever le défi de la renaissance africaine ».
En effet, l’Afrique du sud et le Nigeria, deux des principaux pays promoteurs de ce défi très important à relever qu’est la renaissance africaine, et par ailleurs candidats en course pour un éventuel siège au Conseil de sécurité de l’ONU, ont sabordé, par leur vote, la position commune de l’UA qu’ils avaient eux même, en tant que membre du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de cette même institution, contribué à prendre quelques jours auparavant. C’est inadmissible, Monsieur le Président et déshonorant, ce genre d’incohérences dans les actes des pays africains au plan diplomatiques dans les grandes instances internationales.
Comment est-ce possible que l’Afrique du sud qui avait voté on se rappelle, le 17 mars 2011 pour les frappes militaires en Libye était, depuis le 10 mars, membre influent du Comité ad hoc de l’UA, chargé de rechercher une solution pacifique à la crise, conformément à la position commune africaine. On peut aussi relever qu’après avoir voté la Résolution 1973, ces deux pays l’Afrique du et le Nigéria, qui ne partagent pas souvent les mêmes points de vue, tout comme le Gabon, n’ont pas été les premiers à reconnaître sur le continent, le Conseil National de Transition de la Libye (CNT).
Toutes ces contradictions et cacophonies diplomatiques, que nous dénonçons, ont eu pour conséquence notable, la marginalisation de l’UA, comme l’atteste son absence à Paris lors du sommet international du 19 mars 2011 sur la Libye. Sur cette question de l’UA face à la crise libyenne, le Professeur ALAIN FOUGUE TEDOM, conclut : « Il existe un fossé trop important entre les objectifs et les principes démocratiques de l’UA et la conviction, mesurable par des pratiques et actes, de la majorité de ses Etats membres ».
Le constat est que plus de cinquante ans après les indépendances, l’Afrique n’a pas encore réussi à se donner les moyens sa politique interne et une diplomatie opérationnelle, capable de prévenir et de gérer prioritairement les conflits sur le continent. Conséquence logique, l’impérialisme et le néocolonialisme, pourtant combattu par un flot de discours et de mots par certains d’entre vous, gagnent dangereusement du terrain en Afrique.
Jusqu’à présent, aucun chef d’Etat courageux du continent, n’est sorti, pour relayer les voix des peuples africains indignés du triste et honteux sort, réservé à Kadhafi et à Laurent Gbagbo. Tous observent, comme si les africains devaient toujours attendre, passivement, les décisions et les résolutions des Grandes puissances, alors que, les 54 Etats du continent, unis et solidaires, peuvent constituer une puissance politique et économique, certaine, pour la vraie renaissance de l’Afrique.
Monsieur le Président, la situation sociopolitique actuelle en Côte d’Ivoire, mérite une attention particulière de la part de l’UA qui a contribué, de par sa division et justement ses incohérences dans ses actes, à créer ce que nous voyons aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Il y a un adage qui dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir.
Il est plus qu’impérieux et urgent de demander au pouvoir en place à Abidjan, d’engager par votre honorable médiation, un vrai dialogue politique, avec son opposition significative qui a des revendications légitimes. Revendications dont la plus importante est sans nul doute, la libération de Laurent Gbagbo, son épouse, son fils et ses collaborateurs. La réconciliation nationale en Côte d’Ivoire n’est pas possible sans Laurent Gbagbo et, l’UA a là, avec du recul, une occasion historique, de montrer sereinement dans l’union, à la face du monde, que son transfèrement à la Haye, n’était qu’une grosse erreur stratégique de certains de vos pairs et du pouvoir en sursis à Abidjan. Il faut tout simplement libérer Laurent Gbagbo. La paix en Côte d’Ivoire en dépend.
Ayant confiance en votre bienveillance, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de toute notre gratitude et de notre très haute considération.
Accra le 16 Septembre 2012
Par BEN ZAHOUI DEGBOU,
Géographe, Journaliste spécialiste de Géopolitique et de Médiation Institutionnelle