TRIBUNE: LA CPI ET LA FALSIFICATION DE L'HISTOIRE AFRICAINE

Le 06 mars 2013 par Correspondance - LA CPI ET LA FALSIFICATION DE L'HISTOIRE AFRICAINE

La présence à la CPI de Laurent Gbagbo proclamé président de la République de Côte d'Ivoire par la Cour constitutionnelle de ce payspose, avant tout, le problème de l'évolution historique du droit pénal international. S'il est vrai que l'idée d'une cour pénale internationale a une origine lointaine, ce n'est qu'à la fin du XIX e siècle que le droit pénal a commencé à être élaboré par des spécialistes sous forme de règles, dont le but était de régir les conflits militaires, la conduite des forces armées en tant de guerre, sans qu'il ait été mis en exergue l'application de sanction à l'endroit des armées accusées éventuellement d'avoir violé ces dispositions. Ces conventions ont été cependant perçues comme de grands progrès en droit international, et ont vu l'aboutissement de tous ces efforts dans le conflit mondial de 1939-1945, durant lequel de nombreuses atrocités ont été commises par le gouvernement nazi allemand. L'élaboration du droit international a alors connu une étape fondamentale, parce que la justice fut l'instrument utilisé par les quatre puissances alliées pour punir les personnes qui s'étaient rendues coupables de ces crimes, qu'elles les aient ordonnés, perpétrés, ou y aient participé. Le juge de la Cour suprême des États-Unis, Procureur général au Tribunal de Nuremberg Robert M Jackson prononça, au sujet de a justice internationale, des paroles fortes qui démontrent que toute décision des autorités de la CPI a un impact certain, aussi bien sur l'histoire des peuples, des nations, que sur l'évolution historique du droit pénal international. Ce Procureur dit en substance: «Nous ne devons jamais oublier que les gestes sur lesquels nous fondons aujourd'hui notre jugement contre ces défendeurs sont ceux sur lesquels l'histoire nous jugera demain. Offrir à ces accusés une coupe empoisonnée est aussi porter cette coupe à nos lèvres. Nous devons appliquer à la tâche qui nous attend un tel détachement et une telle intégrité intellectuelle que ce procès passera à la postérité comme étant la réalisation des aspirations de l'humanité» [traduction publications courantes parlement canadien]. Détachement et intégrité intellectuelle sontles mots-clés qui résument la déontologie de la profession de magistrat. La Procureure Bensouda se doit de faire siennes les paroles de son collègue américain, car dire le Droit à ce procès c'est aussi écrire l'histoire des ivoiriens, des africains, falsifier les faits, c'est falsifier notre histoire, c'est créer les conditions de conflits qui opposeront nos enfants de génération en génération. Peut-on parler d'intégrité intellectuelle lorsque des documents faisant état de crimes commis au Kenya sont utilisés par la Procureure pour incriminer le président Laurent Gbagbo? Peut-on parler de détachement quand la Procureure Bensouda s'obstine à rejeter du revers de la main la cause principale à l'origine des trois mille morts; le refus d'Alassane Ouattara derecompter les voies pour proclamer de manière objective le vainqueur de ces élections présidentielles, au-delà de toute démagogie politique dont le rôle est de travestir les faits, de les rendre subjectifs? Affirmer que la procédure judiciaire en vue de la confirmation des charges devrait faire fi du contentieux électoral, c'est offenser les Ivoiriens, les Africains, parce qu'une telle plaidoirie, dans notre imaginaire, fait d'un président africain un brigand de grands chemins qui profite d'un contentieuxélectoral pour donner libre
cours à des désirs réprimés; il tue, abuse des femmes etc... Pourquoi n'a-t-il pas alors assouvi ces passions morbides en 2002? Sous d'autres cieux, l'erreur grossière de Bensouda aurait automatiquement mis fin à la procédure de confirmation de charges, mais ne nous y trompons pas, dans le box des accusés, nous avons un africain... Deux plaidoiries, celle de la procureure Bensouda et de maître Altit qui relatent les différentes étapes de la crise ivoirienne. Il revient désormais aux juges de la CPI d'écrire surtout la véritable histoire de la nation ivoirienne, et non de confirmer les charges à l'encontre d'un combattant pour la démocratie. Ces juges, comme l'ont si bien souligné les avocats de la défense, et le président Laurent Gbagbo lui-même, se doivent de répondre à la question suivante «Qui a gagné en effet les élections?». Tout magistrat qui durant cette procédure judiciaire appliquerait à la tâche une probité intellectuelle ne peut éluder une telle question. Répondre à cette question c'est rendre témoignage à la vérité, c'est jeter les bases d'une nation ivoirienne démocratique. Nous lisons justement dans un document publié par l'UNESCO intitulé: «Paix en Afrique du XII au XXe siècle» ce passage suivant qui résumeassez bien la crise ivoirienne: «Certes l'universalisme du modèle démocratique s'est imposé comme norme générale en même temps qu'étant reconnu comme référence suprême le principe des droits de l'homme, de la dignité de l'être humain et du respect de la personne face à l'État. Mais cette aspiration universelle se trouve constamment battue en brèche par des processus de domination, d'exploitation et d'exclusion, tandis qu'est remise en cause la confiance dans les progrès de la science. Comme l'a dit Ilva Pritogine, le XX e siècle a transformé notre planète en la faisant passer d'un monde fini de certitudes à un monde infini d'interrogations et de doutes. Or, l'histoire est un instrument privilégié d'analyse pour aider à comprendre le monde et à comprendre l'autre dans le respect des cultures et des valeurs spirituelles de diverses civilisations». Le droit Pénal international fera-t-elle de l'histoire un instrument de paix? La justice internationale qui est passée, comme il est souligné, dans les publicationsdu Parlement canadien d'un système d'impunité à un système de justice administré par les vainqueurs contre les vaincus saura-t-elle connaître une profonde mutation, afin de devenir un système de justice international impartial au même titre que les systèmes nationaux du monde démocratique? La réponse à cette question ne peut venir que des autorités politiques du monde occidental désireuses de bâtir notre futursur des fondements solides. Le représentant d'une organisation gouvernementale canadienne, le Centre international des droits de la personne et du développement a déclaré dans une allocution prononcée au cours d'une Conférence: «Si certains États peuvent utiliser la CPI à leurs propres fins politiques, ou si certains individus échappent à la compétence de la CPI à cause de leur position au sein de l'État, la Cour perdra toute crédibilité, les violations des droits de l'homme se poursuivront et le développement démocratique sera étouffé. Nous comprenons que certains États proposent d'accorder au Conseil de sécurité des pouvoirs extrêmement larges pour lui permettre de déterminer le rôle de la Cour. Accorder de tels pouvoirs à un organisme essentiellement politique est incompatible avec la création d'un organe judiciaire efficace. La Cour doit jouir d'une indépendance complète pour offrir la garantie que les plus hautes normes de la justice internationale sont respectées». Nous regrettons à juste titre tous les rapports de l'ONU qui tendent à incriminer
davantage les partisans du président Laurent Gbagbo à la veille de ses différentes rencontres avec les juges de la CPI. Il est temps que l'organe judiciaire démontre aux yeux du monde qu'il jouit d'une indépendance complète.

Une contribution Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)