TRIBUNE: LA CÔTE D'IVOIRE ET LE PARADOXE DE LA LIBERTÉ PROVISOIRE, PAR DR SERGE NICOLAS N'ZI
Le 24 décembre 2012 par CORRESPONDANCE PARTICULIÈRE - La Côte d’Ivoire et le paradoxe de la liberté provisoire.
Photo: L'ex-Premier ministre Aké N'Gbo et l'ex-ministre de l'Economie et des Finances Désiré Dallo, après leur libération.
I – Connaissant la versatilité et la duplicité de la classe politique ivoirienne, avec ses mesquineries revanchardes, ses antagonismes et ses volte-faces, nous sommes en droit de nous méfier de la liberté provisoire des détenus pro-Gbagbo, qui viennent de sortir des goulags du nord de la Côte d’Ivoire. Pourquoi des gens comme Jean-Jacques Béchio, Basile Mahan Gahé, sont en liberté provisoire alors que nous savons tous qu’aucun crime ne leur est reproché ?
Peut-on être mis en liberté provisoire sans une inculpation formelle du juge d’instruction. Ou alors le prétexte fallacieux de trouble à l’ordre public ou d’atteinte à la sureté de l’Etat, n’est-il pas un fourre-tout pour jeter en prison tous ceux qu’on considère comme des ennemis politiques ? Ceux qui sont en liberté provisoire aujourd’hui, ont-ils fait allégeance au régime du Dr Allassane Dramane Ouattara ? On ne le saura jamais sans doute.
Nous savons que la mise en liberté provisoire dans le cas qui nous concerne, est accordée à charge de l’inculpé, Qui doit prendre devant le juge d’instruction des engagements fermes notamment :
- préciser son lieu de résidence
- s’abstenir de critiques ou de faire des déclarations de nature à troubler l’ordre public.
- Ne pas quitter le territoire national sans l’avis des autorités judiciaires
- Interdiction de se montrer dans des lieux précis
- Information au juge d’instruction de tous déplacements à l’intérieur du pays.
- Engagement à répondre à toutes convocations des autorités judiciaires
Bref la liberté provisoire est la liberté dont peut jouir un prévenu en attendant son jugement et lorsque l’instruction de son affaire ne nécessite pas un emprisonnement.
Dans ces conditions le Pr. Gilbert Aké Ngbo, Jean-Jacques Béchio, Désiré Dallo, Christine Adjobi, Gnahoua Zibrabi Norbert, Mahan Gahé, Commandant Dua Kouassi Norbert et Maho Glofléhi, ne sont pas du tout libres ni au bout de leurs souffrances. Si demain l’un d’eux se trouve à Zikisso ou à Kpapékou pour des funérailles et qu’il y a une attaque armée dans les environs, il se retrouvera en prison immédiatement.
Si demain l’un d’eux veut aller se soigner à l’étranger le juge d’instruction et le procureur de la république peuvent légalement s’y opposer, voilà donc un provisoire qui peut durer des années pour qui connaît le cynisme revanchard de ceux qui sont en face.
Certains sont malades, d’autres n’ont plus de maison car tous leurs biens ont été pillés. Leurs comptes bancaires sont bloqués, certains sont des hauts fonctionnaires de l’Etat qui ne retrouveront sans doute plus jmais leurs fonctions. Comment vivront-ils ?
Nous faisons ici le pari que toutes ces interrogations ne trouveront pas de réponses dans l’immédiat. Il faut se méfier des ambigüités, quand elles sont entretenus par un gouvernement en Côte d’Ivoire. En ce qui concerne leur sécurité, ne sont-ils pas aujourd’hui plus à portée de main du premier dozo de passage ?
Comme vous le constatez, la liberté provisoire n’est donc pas du gâteau sous un régime d’exception, cela équivaut à une épée de Damoclès sur la tête de celui qui la reçoit. Voilà la source de notre méfiance en ces temps d’incertitudes au pays des FRCI et leurs frères, les Dozos, les zozos et les Gogos.
Nous continuons de dire que la paix est possible en Côte d’Ivoire, par des mesures courageuses dans une volonté politique affichée et rassurante pour tous. En sortant des paradoxes qui ont durablement et inutilement empêché la réconciliation nationale au pays des éléphants.
II – Le paradoxe de la paix dans un pays bizarre
Ce qu’il faut aujourd’hui éviter, c’est que le paradoxe de la guerre ne débouche sur une paix paradoxale et absurde dans un pays où les uns et les autres se regardent avec méfiance. En effet dans les profondeurs de la psychologie collective des ivoiriens, il y a aujourd’hui un syndrome qui conditionne et pousse à la fois à l’espérance ainsi qu’à la peur de l’autre.
Peur du verbe, des calculs politiques, peur de l’action de l’autre, peur de la pensée de l’autre et de ses arrière-pensées. Strate après strate, des émotions réprimées, des sentiments inhibés, des motivations convulsives se solidifient au point de créer des mécanismes psychologiques semblables et dissemblables, si bien que le projet d’avenir commun des ivoiriens que propose le gouvernement ne sera qu’une projection et une réinterprétation des méfiances découlant de la guerre récente.
C’est cela qui nous amène à dire ici qu’il faut absolument éviter aujourd’hui que les paradoxes de la guerre ne dégénèrent en paradoxe de paix et qu’ainsi le dialogue nécessaire à la réconciliation nationale ne ramène à zéro tous les efforts pour transformer la paix fragile en un absurde paradoxe d’une guerre à l’infinie.
Dans la réalité il ne s’agit pas d’un contentieux électoral, ni d’une guerre civile comme disent certains mais d’une projection des antagonismes de la classe politique ivoirienne dans les structures internes du pays qui naturellement conflictuelles, étaient prêtes non seulement à les accueillir, mais aussi à les susciter, à les aiguiser en espérant trouver en elle leur suprême expression.
Nous sommes de ceux qui loin des partis du marigot politique ivoirien applaudiront des deux mains toutes les initiatives qui iront dans le sens d’une vraie décrispation qui rassure les ivoiriens et leur donne la certitude de vivre dans un pays libre et démocratique.
Pour l’instant il manque l’audace et le courage politique. Quand Daniel Kablan Duncan, demande aux exilés de rentrer pour répondre à l’appel de la mère patrie, de quoi il parle. Lui qui a connu l’humiliation et l’exil après de coup d’Etat de la soldatesque du général Robert Gueï le 24 décembre 1999, connaît les conditions de son retour au pays. Son salaire d’ancien premier ministre fût maintenu par l’ancien président Gbagbo. Est-il prêt aujourd’hui au nom se sa propre souffrance à tendre la main à ceux qui ont été contraints à l’exil ?
Les ivoiriens dans leur ensemble veulent tous vivre dans un pays qui les rassure. Pour l’instant ce n’est pas le cas. Nous sommes dans une démarche du provisoire qui risque de s’installer définitivement.
III – La leçons pour les supporters des régimes
Pourquoi ceux qui sont à la table du pouvoir sont-ils insensibles aux souffrances des autres. Cette question reste et demeure pour certains d’entre nous la plus grande absurdité de notre temps.
Une des grandes leçons que la crise ivoirienne enseigne à tous les Africains épris de paix et de justice, c’est de soutenir la république au service du citoyen. Il faut dénoncer toutes les dérives, dénoncer toutes les tentatives d’autoritarisme. Il faut relever à la face du monde ce qui est inacceptable pour le vivre ensemble quand on veut que la démocratie s’enracine durablement dans nos malheureux pays africains. Il y a des choses qu’on ne peut plus faire aujourd’hui.
En janvier 1963, des hommes et des femmes furent arrêtés en Côte d’Ivoire. Ils furent jugés par un tribunal d’exception, condamnés à de lourdes peines. Certains furent même condamnés à la peine de mort et pourtant tous ceux qui constituaient ce tribunal savaient que les accusés étaient des innocents. Le président Félix Houphouët-Boigny lui-même reconnaîtra plus tard qu’il n’y avait pas eu de complot.
La réflexion aujourd’hui doit porter sur l’attitude de tous ceux qui mangeaient avec Houphouët, qui savait tous que leurs amis étaient des innocents. Leur silence et pour ceux d’entre eux qui siégeaient dans ce tribunal d’exception qui avait prononcé de telles condamnations, étaient-ils conscient du mal qu’ils faisaient au pays et à des innocentes personnes ?
La prison de Yamoussoukro-Assabou ne figurait nulle part sur la carte pénitentiaire du pays, cela n’a pas gêné la conscience des juristes et autres moralisateurs qui étaient matin et soir à la table du président Houphouët.
Il y avait des hommes très intelligents autour du président de l’époque pourquoi aucune voix n’avait exprimé la moindre indignation sur cette situation qui avait marqué au fer rouge la vie politique nationale ? Le président de la Cour suprême de l’époque était même mort en prison dans une bavure déguisé en pendaison. Il faut sortir de ce schéma ignoble du meurtre gratuit.
Quand on côtoie et tutoie le pouvoir politique, il faut avoir le courage moral d’exprimer à la table de ce pouvoir ce qu’il y a de nocif dans son comportement face aux hommes et aux femmes dont-il est sensé conduire le bonheur et le destin. Si cela n’est pas possible alors on prend simplement ses distances pour être loin de l’ignominie, du meurtre et de l’arbitraire qui ne provoquent que des malheurs insoutenables pour la nation.
Ceux qui ont soutenu le Président Henri Konan Bédié dans sa cavale de l’ivoirité ont rendu un mauvais service à la Côte d’Ivoire. Ceux qui ont soutenu la transition militaire chaotique du Général Robert, dit BOB, lui on rendu un mauvais service. Tous ceux qui ont poussé Laurent Gbagbo à s’arcbouter sur le pouvoir en ignorant les rapports de force ont rendu un mauvais service à la nation au regard des conséquences de cette logique qui sont encore sous nos yeux.
De même tous ceux qui prêchent la force, la violence, le pillage, le viol et l’instauration de la peur comme méthode de gouvernance sous le régime du Dr Allassane Dramane Ouattara, sont dans la logique d’un fiasco monumental, car s’il y a un homme qui a le plus besoin de la paix et de l’harmonie entre ivoiriens c’est bien le président de la république qui veut réussir une gouvernance de justice, d’équité, de progrès économique et sociale nécessaires à la restauration de la dignité pour tous les ivoiriens.
Tous les va t-en guerre, tous les dozos et leurs frères FRCI, sont justement dans une démarche d’instauration d’une république de la peur qui désert le Dr Allassane Ouattara et son gouvernement. Tous ceux qui mangent à la table du régime doivent encourager le sommet de l’Etat à retourner aux fondamentaux de ce qui avait fait de la Côte d’Ivoire un pays de paix, de fraternité partagé et surtout un pays libre et vivable pour tous. C’est-à-dire le dialogue utile et fraternel. Pour cela il faut du courage politique c’est ce que nous demandons au président actuel de la Côte d’Ivoire.
IV – Le courage en politique
- Nous le disons souvent et il ne faut pas se lasser de le répéter, le courage en politique c’est d’abord et avant tout une attitude, celle qui consiste à couper court à un enthousiasme démesuré, à rompre avec des peurs collectives, à s’opposer à des rumeurs, à ramener les sujets au niveau qui doit être le leur, en calmant les ardeurs des excités de son propre camp. Car on ne remporte pas une victoire contre la nation, mais avec la nation qu’on veut gouverner.
- Comme vous le constatez les conditions d’émergence et de stabilisation de la paix et de la démocratie en Côte d’Ivoire sont donc loin d’être remplies. Il s’agit de les explorer, de les expérimenter dans le mouvement même qui porte les ivoiriens à s’initier à la citoyenneté ; à se délivrer des catégories politiques du bien et du mal.
- À se défaire des opinions définitives et des oppositions tranchées ; à faire l’apprentissage de la diversité et de la tolérance, de la nuance et du compromis sur quelques valeurs essentielles entre ivoiriens ; à vivre en respectant les différences, en acceptant les divergences, en recherchant le consensus sur les équilibres du vivre ensemble et en s’accommodant pour le reste de vérités contraires, d’incertitudes partagées, de majorités et de minorités provisoires, de victoire partielles et de défaites surmontables.
C’est par l’audace politique et la vision morale qu’on sort d’un conflit fratricide et non par l’instauration du meurtre, l’institutionnalisation des dozos, du rattrapage ethnique et de la peur bon marché. Nos contradicteurs peuvent descendre dans l’arrogance, dans la suffisance et dans la médisance bon marché, ils ne peuvent pas nous prouver que la liberté provisoire est un gage de dignité de vie dans un pays qui ne rassure pas ses propres citoyens.
V – Postulat de Conclusion générale
Nous serions toujours au rendez vous de la réconciliation des cœurs et des esprits. Car en définitive nous voulons tous la paix et l’épanouissement de tous les ivoiriens dans la dignité. Ce n’est pas la compétence du Dr Allassane Dramane Ouattara qui est en cause ici, c’est beaucoup plus son incapacité à tourner la page de la crise électorale et à rassurer les ivoiriens qui ne sont pas de son groupe ethno religieux et tribal. Tout cela est devenu ingérable pour tout un pays à cause d’un manque de vision à long terme.
Souvenons-nous de la bataille de Kirina et de la défaite de Soumahoro Kanté, le roi du Sosso et de la fondation par Soundjata Keïta de l’empire du Mali vers 1235. Le Massa avait pris la famille de Soumahoro Kanté sous sa protection, il refusa d’exterminer les Soumahoro, comme le souhaitait certains de ses proches. S’il y a aujourd’hui des Soumahoro qui sont autour du Dr Allassane Ouattara et qui jouent aux va-t-en guerre qu’ils se souviennent tous de cette période pour être plus humbles et plus promptes au pardon pour reconstruire le visage déchirée de la nation ivoirienne.
C’est vers eux que nous nous tournons pour dire ici que réconciliation, veut dire aussi mettre ensemble des éléments qui étaient hier en conflit pour les faire cohabiter ensemble pour le bien de tous. Il y a un spectacle extraordinaire, qui a marqué notre modeste enfance.
Une de nos sœurs avait mis des œufs de pintade qu’elle avait achetées au marché avec celles de sa poule en ponte. Le spectacle était édifiant quelques semaines plus tard, car à l’éclosion la mère poule s’occupait de toute sa couvée avec amour et sans la moindre discrimination cela dans une harmonie parfaite. Pourquoi les intelligences qui préside la nation ne sont-elles pas capables aujourd’hui de réussir ce qu’une simple bassecour est capable de faire ? Selon nous l’intelligence et la raison ne doivent pas faire défaut au sommet de l’Etat.
Ce n’est pas chaque ethnie dans son coin qui reconstruira la Côte d’Ivoire pour son compte. C’est les ivoiriens ensembles qui peuvent relever ce grand défi. La vision de rassembleur capable de transcender les clans, les tribus, les religions et les régions est nécessaire pour une gouvernance qui rassure et donne de la force à ce pays malade, fragile et fragilisé par son histoire récente.
Il faut sortir définitivement de cette logique répressive et barbare qui nous fait porter en permanence le deuil d’une nation en décomposition. Dans ses réflexions, sentences et maximes morales, François Duc de la Rochefoucauld, résume mieux notre propos.
<< La réconciliation avec nos ennemis n’est qu’un désir de rendre nos conditions meilleures, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelques mauvais évènements. >>
Tel est notre propos en cette veille Noël, merci de votre aimable attention.
Une Contribution de Dr Serge-Nicolas NZI
Chercheur en Communication
Lugano (Suisse)