TOGO/COTE D'IVOIRE/FRANCE: Marchandage autour de l'arrestation de Loïk Le Floch-Prigent

Le 19 septembre 2012 par Correspondance particulière - Loïk LeFloch-Prigent, l'ex-PDG d'Elf, d’une incarcération ordinaire à une arrestation extraordinaire à Abidjan.

Floch-Prigent à son arrivée le 17 septembre 2012 au tribunal à Lomé AFP/Archives - Emile Kouton.

Le 19 septembre 2012 par Correspondance particulière - Loïk LeFloch-Prigent, l'ex-PDG d'Elf, d’une incarcération ordinaire à une arrestation extraordinaire à Abidjan.

Beaucoup ont vu dans l'arrestation de Loïk Le Floch-Prigent ("LLFP"), le 14 septembre à Abidjan, une réciprocité après celle, effectuée en juin à Lomé, de Moïse Lida Kouassi, ex-sécurocrate de Laurent Gbagbo (LC nº637). Une chose est sûre : les autorités togolaises s'y sont prises à la dernière minute pour passer à l'action. Au moment d'être menotté, LLFP venait de séjourner une dizaine de jours en toute tranquillité dans la capitale économique ivoirienne. Il a été interpellé à l'aéroport international d'Abidjan, en salle d'embarquement, au moment de prendre le vol Air France à destination de Paris. Il a donc passé tous les points de contrôle en amont sans être inquiété.

C'est un coup de fil du président Faure Gnassingbé à son homologue Alassane Ouattara, dans la soirée du 14 septembre, qui a tout accéléré. Preuve de la précipitation : l'opération a été supervisée par le ministre de l'intérieur, Hamed Bakayoko, qui assistait à ce moment à un vernissage à la Galerie Cécile Fakhoury et a dû sortir des lieux pour donner ses ordres. Emmené par les hommes de Lanzeni Touré, commissaire de l'aéroport, au poste de police situé dans l'enceinte militaire, LLFP a pu recevoir la visite des services consulaires de l'ambassade de France en Côte d'Ivoire. Mais pas d'entraide judiciaire. Il a été extradé à Lomé, le lendemain, dans le cadre d'une "collaboration de police à police", selon le gouvernement togolais. Au Togo, c'est le colonel Yark Damehane, patron de la gendarmerie nationale, aidé par le chef d'état-major des armées, Atcha Mohamed Titikpina, qui s'est occupé du transfert. A noter que l'ancien patron d'Elf a toujours nié avoir reçu notification du mandat d'arrêt international que les autorités togolaises ont lancé à son encontre en 2011, dans le cadre de l'affaire d'escroquerie l'opposant à son ancien partenaire, l'homme d'affaires émirati Abbas Youssef.

LLFP n'en était pas à son premier voyage en Côte d'Ivoire, où il se rend régulièrement. Il a même établi son quartier général au restaurant Le Pichet, situé dans le quartier Marcory. Cet établissement est tenu par Lionel Ganne, ancien légionnaire ayant servi en Centrafrique, devenu par la suite responsable de la sécurité du président Ange-Félix Patassé. Les jours ayant précédé son arrestation, LLFP a dédicacé son dernier livre Granit Rose dans plusieurs endroits branchés d'Abidjan, où des affiches ont été placardées. Il s'est également entretenu avec plusieurs responsables, dont le ministre du pétrole Adama Toungara, afin de lui proposer son expertise. Reste à attendre la réaction de Denis Sassou-Nguesso, dont LLFP est un proche. Comme pour Eduardo Dos Santos avec Pierre Falcone, le président congolais pourrait ne pas apprécier voir son "ami" croupir longtemps dans les geôles togolaises…

Par Simplice Ongui

Togo: l'ex-patron d'Elf Loïk Le Floch-Prigent inculpé de complicité d'escroquerie

LOME (AFP) - 19.09.2012

L'ancien patron du géant pétrolier français Elf, Loïk Le Floch-Prigent, a été inculpé au Togo pour complicité d'escroquerie dans une vaste affaire impliquant des hommes d'affaires togolais et un Emirati.
"Loïk Le Floch-Prigent a été inculpé hier (lundi)", a déclaré mardi à l'AFP son avocat togolais, Me Rustico Lawson-Bankou, précisant que le motif était la complicité d'escroquerie.
L'ancien PDG d'Elf a répondu aux questions d'un juge pendant trois heures lundi, après avoir été extradé de Côte d'Ivoire samedi. Son audition pourrait reprendre mardi, alors qu'il se trouvait toujours dans les locaux de la gendarmerie.
La justice togolaise soupçonne M. Le Floch-Prigent d'être impliqué dans une affaire d'escroquerie internationale portant sur 48 millions de dollars (environ 36,5 millions d'euros).
L'arrestation de l'ancien patron français, âgé de 68 ans, suit celle d'un ex-ministre togolais de l'Administration territoriale, Pascal Bodjona, inculpé le 12 septembre dans la même affaire. L'escroquerie présumée oppose un homme d'affaires togolais, Bertin Sow Agba, à un homme d'affaires émirati, Abbas El Youssef.
L'Emirati a porté plainte contre M. Agba, l'accusant d'avoir organisé un réseau pour lui soutirer 48 millions de dollars (environ 36,5 millions d'euros), ses membres lui faisant croire qu'ils détenaient la fortune du défunt président ivoirien Robert Gueï, estimée à 275 millions de dollars et bloquée sur un compte en banque au Togo.
Abbas El Youssef, qui dirige une société d'investissements, notamment dans le pétrole et le gaz, a mis en cause dans les médias togolais MM. Agba, Bodjona et Le Floch-Prigent dans cette affaire qui rappelle les arnaques dites "à la nigériane" qui circulent sur internet.
Abbas El Youssef estime que M. Le Floch-Prigent "serait le chef d'orchestre dans cette affaire d'escroquerie", selon une source judiciaire togolaise.
Cependant pour le spécialiste de l'Afrique Antoine Glaser, "l'escroquerie à la nigériane, c'est un habillage, un écran de fumée dissimulant un règlement de comptes entre deux hommes d'affaires et un règlement de comptes politique".
Lundi, l'avocat français de M. Le Floch-Prigent, Me Patrick Klugman, s'est dit "rassuré" par "le soin apporté par les autorités togolaises dans le traitement de cette affaire".
"Nous sommes satisfaits par les conditions dans lesquelles il se trouve car il a eu accès à son avocat, à son dossier et a pu s'entretenir avec les services consulaires français", a-t-il poursuivi, se disant "serein" quant à une issue rapide de cette affaire.
Me Klugman n'a fait aucun commentaire sur les conditions dans lesquelles son client, arrêté vendredi en Côte d'Ivoire, a été transféré dès samedi vers le Togo.
Philippe Lalliot, porte-parole du Quai d'Orsay, a précisé mardi qu'il ne s'agissait pas "d'une procédure d'extradition au sens juridique du terme", mais que le transfert du Français d'Abidjan à Lomé avait été fait "en application d'un accord de coopération policière qui lie les deux Etats dans le cadre régional (de la) Cédéao" (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest)
"Bien évidemment la protection consulaire continue tant qu'il est détenu. On continuera à le voir aussi souvent qu'il le souhaitera et aussi souvent qu'il sera nécessaire", a ajouté M. Lalliot.
Pour certains observateurs, l'extrême rapidité du transfert de M. Le Floch-Prigent entrerait dans le cadre d'un échange de bons procédés entre Abidjan et Lomé. Le Togo est en effet le seul pays à avoir exécuté un mandat d'arrêt international des autorités ivoiriennes visant un exilé du camp de l'ancien président Laurent Gbagbo, Moïse Lida Kouassi.
De son côté, un avocat de M. Bodjona, Jil-Benoit Afangbedji, a avancé dimanche que son client avait été impliqué à cause des rumeurs sur sa candidature à la présidentielle en 2015. L'avocat a ajouté que M. Agba était considéré comme le soutien financier de sa candidature.
Loïk Le Floch-Prigent a été nommé dans les années 1980 à la tête des plus grandes entreprises françaises, notamment le géant pétrolier Elf entre 1989 et 1993. Il avait été condamné en 2003 à 5 ans de prison dans l'affaire Elf et avait passé environ deux ans derrière les barreaux pour des malversations financières.
Il se présente aujourd'hui comme un consultant dans le pétrole.
Le Togo, petit pays d'Afrique de l'Ouest de quelque six millions d'habitants et ancienne colonie française, est dirigé depuis 2005 par le président Faure Gnassingbe, qui a succédé à son père Gnassingbe Eyadema, lui-même resté 38 ans au pouvoir.

AFP