Tchad - Idriss Déby Itno : "J'ai trop longtemps prêché dans le désert"
Le 24 juillet 2012 par Jeune Afrique - Crise malienne, situation en Libye, sommet de l’Union africaine, politique intérieure, lutte contre la corruption, succession… Au pouvoir
Le 24 juillet 2012 par Jeune Afrique - Crise malienne, situation en Libye, sommet de l’Union africaine, politique intérieure, lutte contre la corruption, succession… Au pouvoir
depuis vingt et un ans, l’ancien "comchef" zaghawa est un acteur expérimenté. Avec, souvent, des positions tranchées.
« Je ne suis pas né militaire. Bien sûr, je suis entré dans l’armée de l’air par vocation, puis il m’est arrivé de faire la guerre sur le terrain, par nécessité, jamais par goût. L’odeur de la poudre ne me dit rien. Ce qui me passionne, ce ne sont pas les armes, c’est le développement. » C’est sur cette courte déclaration en forme de recadrage d’image qu’Idriss Déby Itno, 60 ans, a voulu clore l’entretien que nous avons eu avec lui le 5 juillet au palais présidentiel de N’Djamena.
Ses adversaires politiques y verront une illustration de plus du soin qu’apporte celui qu’ils ont toujours pris pour un seigneur de la guerre, dont le maintien au pouvoir depuis vingt et un ans relève à leurs yeux de l’effraction, à se « civiliser », tout au moins en apparence. Pourtant, malgré les attaques de rebelles jusqu’aux portes de sa résidence qui, ces dernières années, l’obligèrent à deux reprises à ressortir son uniforme d’ancien « comchef » de l’armée, ce fils de berger zaghawa né en pleine brousse quelque part au sud-est de Fada n’est jamais aussi loquace que lorsqu’il s’agit de parler de routes, de puits, d’écoles, de dispensaires et de têtes de bétail. Comme un retour aux sources de ce qui, enfant aux pieds nus, lui a le plus manqué.
Le condottiere en chèche, mince comme un guerrier bideyat, taiseux et fumeur, que j’avais rencontré pour la première fois à Arada, entre Ennedi et Ouaddaï, au milieu des années 1980 alors qu’il était le jeune chef prodige d’une armée de 4x4 Toyota qui venait de mettre en déroute les blindés de Kaddafi et qu’à N’Djamena le règne de Hissène Habré basculait dans la terreur, ce Déby-là a, il est vrai, bien changé. Il a renversé le dictateur, rajouté Itno à son patronyme, en est à son quatrième mandat de président et à son quatorzième Premier ministre, a cessé de fumer, ne porte plus son uniforme de général, a pris quelques kilos mais aussi beaucoup de sagesse et la mesure d’un vent de sable démocratique auquel il a bien fallu qu’il s’adapte. Résultat : un dialogue complexe avec une opposition pugnace, quelques prurits d’autoritarisme, une réputation de bâtisseur, une gouvernance que les bailleurs de fonds souhaiteraient plus transparente, mais aussi, dans cet espace sahélo-saharien devenu arc de crise, un climat de paix fragile d’autant plus remarquable que le Soudan et surtout la Libye sont aux portes.
C’est donc un président à la fois serein et sur le qui-vive, tant il a conscience du caractère quasi miraculeux de cette exception tchadienne, qui a reçu Jeune Afrique entre deux averses de saison pluvieuse. À peine l’entretien terminé qu’Idriss Déby Itno en entame un autre, à huis clos, avec une délégation de notables toubous libyens venus de Koufra solliciter sa médiation dans le conflit qui les oppose aux Arabes Zwaï. Dans le désert, tout n’est que recommencement…
Jeune Afrique : La crise malienne vous concerne, comme tous les pays du Sahel. Pourtant, vous ne semblez pas désireux de vous associer à une solution militaire en envoyant vos troupes prêter main-forte à celles de la Cedeao, comme cela vous a été demandé. Pourquoi ?
Au Mali, la bonne solution serait de mettre en place une force de l’UA avec appui de l’ONU, comme en Somalie, et avec l’aide logistique de l’Otan.
Idriss Déby Itno : Depuis le début des opérations de l’Otan en Libye et jusqu’à la chute de Kaddafi, je n’ai cessé de mettre en garde quant aux conséquences non maîtrisées de cette guerre pour les pays de la région. J’ai trop longtemps prêché dans le désert. Mes avertissements ont été perçus, totalement à tort, comme un soutien à Kaddafi alors que le Tchad a sans doute été la première victime de son régime. Autant dire que ce qui se passe aujourd’hui dans le nord du Mali ne me surprend pas. La dislocation de la Libye et la dissémination de son arsenal en sont les causes directes, et ce n’est pas fini pour une raison très simple : les nouvelles autorités libyennes ne contrôlent toujours pas leur propre territoire. Il s’agit donc là d’un problème qui relève de l’Union africaine [UA, NDLR] et des Nations unies, autant, si ce n’est plus, que de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest]. Si vous voulez le fond de ma pensée : la gestion actuelle de la crise malienne par la Cedeao seule ne constitue pas une réponse appropriée à la situation. On tourne en rond de sommet en sommet à cause des divergences d’appréciation entre chefs d’État, alors que la bonne solution serait de mettre en place une force de l’UA avec appui de l’ONU, comme en Somalie, et avec l’aide logistique de l’Otan.
Le Tchad y participerait-il ?
À cette condition, oui. Pour le reste, nous n’avons été invités à aucune des réunions de la Cedeao, bien que nous y ayons le statut d’observateur.
Certains chefs d’État, à commencer par le Français François Hollande mais aussi le Guinéen Alpha Condé, souhaitent votre participation, d’autant que vos hommes ont une expérience unique de la guerre dans le désert.
Nous avons nos propres impératifs de sécurité. Et je crois avoir été clair : le Tchad n’enverra pas de troupes au Mali sous la bannière de la Cedeao.
La solution n’est-elle pas politique autant que militaire ?
Les deux à la fois. Il faut sauver les Touaregs du MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad], avec qui on peut discuter et qui sont en train de se faire engloutir par les islamistes, et négocier avec eux une sortie de crise qui ne soit pas une partition du Mali. Et il faut combattre les terroristes avec une force suffisamment dissuasive.
De violents accrochages ont opposé ces dernières semaines les Toubous aux tribus arabes à Koufra, dans le sud de la Libye. Cette tension à votre frontière nord vous inquiète-t-elle ?
C’est évident, le brassage tribal entre Tchadiens et Libyens étant ce qu’il est, je ne peux qu’être inquiet. D’autant que la gestion interne de la Libye par le CNT [Conseil national de transition] ne me rassure guère et que les élections législatives ne permettront pas, à mon sens, d’y voir plus clair. Les Toubous libyens ont toujours été marginalisés sous Kaddafi et ils n’ont pas été payés de retour pour leur engagement aux côtés du CNT. Ils souhaitent être intégrés et respectés dans le cadre de la nouvelle Libye, on les en empêche, ils se rebiffent, on les réprime, il y a des morts et des blessés, ni le pouvoir en place à Tripoli, ni les Occidentaux ne réagissent.
Toubous contre Ould Souleymane et Guedadfa : nous sommes à deux doigts de la guerre civile. Les uns et les autres m’ont demandé de jouer le rôle de médiateur pour éviter le pire. Mais hélas, je ne peux rien faire sans l’accord de l’autorité centrale libyenne – si tant est qu’elle existe vraiment. Plus généralement, quand je regarde l’état actuel de la Libye, où chaque localité est gouvernée sur une base tribale par des milices surarmées ou par ce qu’il reste des forces fidèles à Kaddafi, notamment aux frontières sud et ouest, ma crainte a un nom : la somalisation.
Est-ce pour cela que vous ne vous êtes toujours pas rendu à Tripoli depuis la chute de Kaddafi ?
Oui et non. Mon frère Mustapha Abdeljalil, le président du CNT, m’y a invité et j’ai accepté. Une date avait même été fixée, à la mi-avril. Mais ce jour-là, la milice de Zintane s’est emparée de l’aéroport de Tripoli, le paralysant pendant vingt-quatre heures, ce qui m’a contraint à annuler ma visite. Depuis lors, le CNT n’a pas reformulé d’invitation. Mais je suis toujours disposé à me rendre dans ce pays qui nous est si proche. Si je peux être utile…
Comment avez-vous réagi à la décision de la présidente du Malawi de ne pas accueillir le président soudanais Omar el-Béchir lors du prochain sommet de l’Union africaine ?
Elle n’aurait pas dû violer ce qui est un principe et une position de consensus entre les pays membres de l’UA et qui s’impose à tous, y compris à ceux qui parmi nous sont signataires de la Cour pénale internationale. Dès lors qu’elle s’obstinait, il n’y avait pas d’autre solution que de délocaliser le sommet à Addis-Abeba.
Un sommet qui a vu de nouveau s’affronter le Gabonais Ping et la Sud-Africaine Dlamini-Zuma à la présidence de la Commission de l’UA, et c'est cette dernière qui l'a emporté. Si l’on en croit l’une de vos déclarations, vous avez choisi de soutenir la seconde – ce qui n’a pas manqué d’étonner en Afrique francophone. Pourquoi ?
Tout d’abord, une question de fond : la bataille, comme vous dites, ne doit pas opposer des régions géographiques ou linguistiques, mais des CV de candidats. En d’autres termes, je me bat pour celle ou celui qui m’apparaît le plus capable de diriger la Commission quelles que soient sa langue et sa nationalité. Je n’ai aucun état d’âme là-dessus.
Il m’est apparu qu’à compétences égales c’était au tour du candidat de l’Afrique australe de diriger la Commission de l'Union africaine.
Maintenant, la forme. En tant que membre du panel de chefs d’État chargés de départager les deux candidats, il m’est apparu, ainsi me semble-t-il qu’à mes collègues, qu’à compétences égales c’était au tour du candidat de l’Afrique australe de diriger la Commission. Pour une raison que vous connaissez : depuis la fondation de l’Organisation de l’unité africaine, jamais un ressortissant de cette région n’a occupé ce poste. Dès lors, mon opinion était la suivante : soit nous élisions à Addis le candidat que proposait la SADC [Communauté de développement de l’Afrique australe], Mme Dlamini-Zuma ou un autre, soit, si le blocage persistait, les deux candidats en lice se retireraient du jeu. Nous aurions fait alors appel à d’autres candidatures.
En tout état de cause, si l’on vous suit, Jean Ping est « out »…
Je ne souhaite pas personnaliser ce débat. Mais je tiens tout de même à préciser une chose : je n’ai aucun problème avec le Gabon, qui est un pays frère et un partenaire précieux au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale [Ceeac], que je préside en ce moment.
Votre voisin, la Centrafrique, subit actuellement les assauts d’un mouvement de rébellion mené par un chef de guerre tchadien, Baba Laddé. Vous sentez-vous responsable ?
Baba Laddé est un ex-gendarme tchadien devenu coupeur de route et trafiquant d’ivoire, ce n’est pas un rebelle, comme le prétendent certains médias, mais un bandit de grand chemin. Ce genre de personnage ne constitue pas une menace pour le Tchad. Pour la Centrafrique, c’est possible, mais c’est explicable : l’administration centrafricaine, comme vous le savez, ne contrôle pas toute une partie de son territoire. Il n’y a d’ailleurs pas que Baba Laddé, il y a aussi Joseph Kony et d’autres.
La rumeur prétend que vous auriez joué un rôle dans le limogeage de l’ex-numéro deux du régime centrafricain, le colonel Sylvain Ndoutingaï, le 1er juin. Vous étiez d’ailleurs en visite à Bangui quelques jours plus tard. Est-ce exact ?
C’est faux. Je me suis rendu à Bangui avec l’ancien président burundais, Pierre Buyoya, qui est médiateur en Centrafrique pour le compte de l’Organisation internationale de la francophonie [OIF]. Objectif : encourager le président François Bozizé et la classe politique centrafricaine à mieux dialoguer. J’en ai profité pour insister auprès de mon frère Bozizé afin qu’il libère le détenu Jean-Jacques Demafouth, chef d’un mouvement politico-militaire et donc acteur de ce dialogue. Il est donc pour le moins étonnant que l’on me prête, dans le cas que vous évoquez, des intentions contraires. Je suis allé à Bangui pour apaiser la situation, pas pour jeter de l’huile sur le feu ou me préoccuper de quelqu’un qu’au demeurant je ne connais pas et qui n’est pas tchadien.
Le président français, François Hollande, vous a téléphoné le 3 juillet. J’imagine qu’il vous a parlé de la situation au Mali…
Oui. Il m’a demandé si nous étions disposés à envoyer des troupes tchadiennes sur place. Ma réponse a été conforme à ce que je viens de vous dire : nous n’enverrons personne dans le cadre de la Cedeao. Mais nous n’avons pas parlé que de cela. Le statut du détachement français au Tchad et l’opération Épervier ont également été abordés. Nous sommes convenus de nous retrouver ultérieurement pour approfondir ce dossier.
À Paris ?
Sans doute. J’ai beaucoup d’amis en France et, comme vous le savez, je m’y rends régulièrement pour y subir un check-up. Tout véhicule a besoin d’aller de temps à autre au garage pour une révision générale.
Êtes-vous toujours favorable à la fermeture de la base française de N’Djamena ?
Ce n’est pas nous qui avons demandé cette fermeture. L’initiative en revient à l’ancien ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé, lequel, vous vous en souvenez, avait déclaré que la France souhaitait retirer ses troupes du Tchad. Nous en avions alors pris acte, en précisant qu’il s’agissait là d’une initiative souveraine, à laquelle nous ne voyions aucun inconvénient. Des discussions ont suivi, dont l’unique résultat a été le projet de mise en place d’un comité mixte chargé d’étudier les modalités pratiques de ce retrait. Nous sommes prêts, le moment venu, à les reprendre.
Comment avez-vous accueilli l’élection de François Hollande et la défaite de Nicolas Sarkozy ?
Cela ne change rien à la relation franco-¬tchadienne. On a considéré à tort que je soutenais l’ancien président Sarkozy : ce ne sont pas mes affaires. Les chefs d’État passent, mais le socle de l’histoire commune entre la France et l’Afrique demeure, tout comme le partenariat entre pays souverains.
On a consideré à tort que je soutenais l'ancien président Sarkozy : ce ne sont pas mes affaires.
Le parti socialiste français a toujours milité pour que l’on connaisse enfin la vérité sur le sort de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu en février 2008. Ne craignez-vous pas de subir de nouvelles pressions en ce sens ?
Absolument pas. Ibni Oumar a disparu lors des tragiques événements de février 2008, tout comme six cents autres Tchadiens dont une trentaine d’officiers et six généraux à qui personne ne s’est intéressé. Ibni avait certes des camarades en France, mais je refuse totalement que ces gens-là se mêlent des affaires intérieures du Tchad. Pour le reste, je fais confiance à notre justice, qui enquête sur ce cas comme sur d’autres depuis trois ans. Attendons que son rapport soit déposé.
Un sommet des six pays membres de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) est enfin prévu du 22 au 24 juillet à Brazzaville avec beaucoup de retard. On vous dit agacé par les problèmes que rencontre cette institution, au point que vous envisageriez sérieusement d’adhérer à la Cedeao. Le Tchad va-t-il basculer en Afrique de l’Ouest ?
Nous avons le statut d’observateur au sein de la Cedeao depuis plus de dix ans, il n’y a donc pas de contradiction dans une éventuelle double appartenance. Après tout, l’Angola est bien membre à la fois de la SADC et de la Ceeac. Maintenant, il est vrai que la Cemac est pour nous une source d’inquiétude, ne serait-ce qu’à cause des problèmes de gestion réels au niveau de la présidence de la Commission. Cela fait près de trois ans que nous ne nous sommes pas réunis, ce qui n’est pas acceptable au regard des défis que nous avons à relever en commun. J’ai interpellé à plusieurs reprises en ce sens le président en exercice, mon frère Denis Sassou Nguesso. Je sais qu’il fait le maximum et que tout ne dépend pas que de lui. C’est notre responsabilité à nous six [les six pays membres].
En ce début de juillet, N’Djamena bruit de rumeurs. Un complot aurait été déjoué au sein de votre garde présidentielle et une poignée d’officiers supérieurs auraient été arrêtés. Vrai ou faux ?
Sept officiers ont été arrêtés, c’est exact. Mais les motifs sont d’ordre disciplinaire : insubordination, mauvaise gestion, refus de regagner son poste. Ils appartiennent à la garde présidentielle, mais aussi à l’armée de terre. Figurent parmi eux un général, un colonel [il s’agit du général Bahr Mahamat Itno et du colonel Abakar Adam], un commandant. Ils seront radiés de l’armée et traduits en justice.
Y a-t-il un rapport avec l’opération de réduction drastique des effectifs de l’armée tchadienne que vous avez lancée fin 2011 ?
C’est vraisemblable. La grande majorité des militaires concernés par cette réforme l’a acceptée, et nous accompagnons leur réinsertion. Une petite minorité n’a pas supporté de voir remis en question ses privilèges indus et ses rentes de situation.
Vous avez, vous aussi, lancé une vaste opération anticorruption, l’opération Cobra, et déclaré une guerre sans merci contre ce fléau. Plusieurs comités et agences ad hoc ont été créés. Mais la critique est récurrente : vous en profiteriez pour écarter des personnalités gênantes pour votre pouvoir. Qu’avez-vous à répondre ?
Ce n’est pas sérieux. Je n’écarte personne. Nous avions au Tchad une administration qui avait pris la mauvaise habitude historique de se servir plutôt que de servir. J’ai décidé de l’assainir et d’en finir avec cette véritable gangrène. Qui n’a pas conscience ici des ravages de l’enrichissement illicite ? Cela n’a rien à voir avec la politique politicienne ni avec une quelconque chasse à l’homme. Et je suis logique avec moi-même : nul n’est à l’abri, nul n’est couvert, y compris mes proches, mes amis et mes collaborateurs. Si la justice les lave de tout soupçon, ils reviendront travailler à mes côtés, cela s’est déjà produit. Mais je n’interviendrai pas dans son fonctionnement, il faut que ce soit clair. L’opération Cobra a déjà permis au Trésor public de récupérer en quelques semaines 10 milliards de F CFA [plus de 15 millions d’euros]. Nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin.
L’ancien secrétaire général de la présidence, Mahamat Saleh Annadif, a été libéré pour vice de forme après avoir été détenu pendant trois mois. Quelles charges pèsent contre lui et pourquoi ne relève-t-il pas de la Haute Cour de justice, puisqu’il a rang de ministre ?
Je ne suis pas magistrat et je n’ai pas l’intention de me mêler de ce débat contradictoire. Pour le reste et en ce qui concerne le fond du dossier, il n’est pas reproché à Mohamed Saleh Annadif d’avoir détourné de l’argent à son profit personnel, loin de là. Le problème à son niveau est que mes instructions n’ont pas été respectées. Je lui avais donné une directive précise, en présence du directeur général des grands travaux et projets présidentiels, Zen Bada, qui a lui aussi été appréhendé. Toute sortie d’argent concernant les grands travaux devait être soumise à une double signature, la sienne et celle de Zen Bada. Or les quelque 2 milliards de F CFA que Zen Bada a reconnu avoir détournés ne portaient qu’une seule signature, celle de ce dernier. Pourquoi ? Et pourquoi Annadif a-t-il écrit au directeur général de la Banque commerciale du Chari une correspondance semblant justifier cette anomalie ? En attendant que la justice y voie plus clair, leur sort est en quelque sorte lié.
Autre affaire : celle du député de l’opposition Gali Ngothé Gatta, arrêté, condamné en mars dernier à un an de prison pour braconnage, puis relâché en appel faute de preuves. Cela fait un peu désordre…
J’ai appris cette histoire à l’aéroport, alors que je m’apprêtais à m’envoler pour le Bénin. On m’a parlé d’un flagrant délit de braconnage de phacochère. Point final en ce qui me concerne, puisque je n’étais pas au courant de cette arrestation et que nul ne m’a demandé mon avis. Puis l’affaire s’est emballée avec l’intervention, assez curieuse dans un pays laïque, de congrégations religieuses en faveur dudit député. Lequel a ensuite été libéré. Il siège de nouveau dans l’hémicycle.
Au passage, le juge qui s’était prononcé contre son arrestation a été radié par le Conseil supérieur de la magistrature…
Oui, et alors ? Les magistrats ont leur règlement, leur code et leurs sanctions. Encore une fois, ce n’est pas mon affaire, je ne m’en mêle pas.
L’opposition tchadienne est persuadée que le pouvoir cherche par tous les moyens à la museler et à l’intimider. Le dialogue est-il impossible ?
Non seulement le dialogue est possible, mais il est en cours, mieux que dans beaucoup d’autres pays du continent. Un cadre formel de concertation existe et fonctionne depuis près de cinq ans, dont on ne trouve d’équivalent nulle part ailleurs.
Recevez-vous les leaders de cette opposition ?
Je suis ouvert. Saleh Kebzabo [le président de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau], par exemple, que j’ai reçu en début d’année à Léré, a demandé à me revoir. Dès que mon agenda le permettra, je lui fixerai rendez-vous. Je suis un homme de dialogue, plus sans doute que la plupart de ceux qui dans ce pays se proclament démocrates.
Depuis quand n’êtes-vous plus sous programme avec le FMI et la Banque mondiale ?
Depuis douze ans, mais des contacts ont été renoués en 2011 avec ces institutions, qui devraient bientôt déboucher sur une reprise de la coopération. Reste à régler une légère incompréhension issue de l’emprunt de 2 milliards de dollars [1,6 milliard d’euros] que nous avons contracté avec l’Eximbank chinoise pour des investissements dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et de l’élevage. La Banque mondiale jugeant le taux de ce prêt trop élevé, nous allons le renégocier avec l’aide du FMI. Avec ses 8 % à 9 % de croissance attendus en 2012, le Tchad est un État solvable.
Mais pauvre et trop dépendant des revenus du pétrole, dont la production est en baisse.
C’est exact. Et c’est pourquoi tous nos efforts portent sur le secteur rural, afin de maximiser nos capacités d’exportation. Quant à la pauvreté dont vous parlez, vous ne m’apprenez rien. Je connais mon pays village par village sur toute la superficie de son 1,3 million de kilomètres carrés. Je connais mon peuple et ses besoins souvent criants. Étant issu d’une famille pauvre, je sais ce qu’est la dureté de la vie puisque j’en ai moi-même souffert. Ce combat pour le développement du Tchad est pour moi une obsession.
La prochaine élection présidentielle est prévue pour 2016. Vous aurez alors 64 ans, ce qui n’est pas encore âgé, dont vingt-six ans au pouvoir, ce qui est pour le moins respectable. Serez-vous une nouvelle fois candidat ?
Ne croyez pas que je m'accroche à mon fauteuil. En 2016, j'aurai un choix à faire. Il n'est pas encore tranché.
Disons que le fait d’être devenu chef de l’État à 38 ans ne joue pas en ma faveur. Certains auraient sans doute souhaité me voir accéder à la présidence avec vingt années de plus, afin que je leur passe la main le plus vite possible. Malheureusement pour eux, je suis toujours là et en bonne santé. Cela dit, je suis un homme qui a sacrifié sa vie privée et familiale et passé un nombre incalculable de nuits blanches au service de son pays. Un homme qui a le droit de se demander si le moment n’est pas venu pour lui de se reposer. Ne croyez surtout pas que je m’accroche à mon fauteuil, mais 2016, c’est dans quatre ans. J’aurai alors un choix à faire. Il n’est pas encore tranché.
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Propos recueillis à N'Djamena par François Soudan
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