Soumahoro Farikou: « 80% des commerces ont été pillés à Yopougon », « Les tracasseries et rackets se sont intensifiés », «Tout le monde est en treillis : les Frci, les évadés des prisons, les coupeurs de route »
Le 18 mai 2011 par Soir Info - A l'instar des acteurs économiques, les commerçants de Côte d'Ivoire ont été touchés par la crise post-électorale. Mardi 17 mai 2011, à Adjamé, Soumahoro Farikou, président de la Fédération nationale des
Le 18 mai 2011 par Soir Info - A l'instar des acteurs économiques, les commerçants de Côte d'Ivoire ont été touchés par la crise post-électorale. Mardi 17 mai 2011, à Adjamé, Soumahoro Farikou, président de la Fédération nationale des
Commerçants de Côte d'Ivoire (Fenacci) en a parlé et a évoqué des difficultés post-crise. Entretien...
Comment les commerçants sortent-ils de la crise post-électorale?Soumahoro Farikou : Les commerçants se portent un peu bien. Un peu bien parce que nous avons repris nos activités avec beaucoup de dégâts. Nous sommes en train d'évaluer les dommages subis. La crise post-électorale a engendré des peines et des dégâts. Il y a eu des pillages, des casses des commerces, des marchés ont été pillés à Attécoubé, à Yopougon. 80% des commerces ont été pillés à Yopougon sans compter l'intérieur du pays à Yamoussoukro, Daloa et Okrouyo (une ville du département de Soubré). Aujourd'hui, à la demande du Gouvernement, nous avons repris avec des problèmes.
Peut-on affirmer que tout le monde a repris?S. F. : Je pense qu'on peut estimer la reprise des commerçants à 55% sur toute l'étendue du territoire national. Les autres commerçants, les 45%, qui n'ont pas commencé, soit ils sont hors du pays, soit ils ont été pillés ou encore leur commerce n'existe plus. Ces derniers sont obligés de rester à ne rien faire en attendant de voir venir.
Quelles difficultés rencontrez-vous dans le cadre de la reprise ?S. F. : Nos difficultés sont énormes. Nous avons des difficultés d'approvisionnement général. Pendant cette crise, il n'y a pas eu d'importation, les usines n'ont pas véritablement fonctionné. Il n'y a pas de marchandises. Il y a une baisse de production depuis au moins six (6) mois. Au niveau des vivriers, l'approvisionnement est rendu difficile par les difficultés sur les routes. Les tracasseries et rackets que nous avons décriés se sont intensifiés. Avant la crise, il fallait payer 400 000 francs Cfa pour un camion qui vient de San Pedro à Abidjan. Aujourd'hui, c'est le double qu'il faut payer. Les éléments des Frci (ndlr : Forces républicaines de Côte d'Ivoire) prennent 40 à 50 mille francs par camion à chaque corridor. Pour le café-cacao, il faut payer entre 200 et 500 mille francs Cfa pour un camion. Nous avons été saisis par nos représentations de l'intérieur du pays sur ces tracasseries routières. A notre tour, nous avons informé les autorités face à ce fléau qui s'aggrave. En plus du racket, il y a aussi l'insécurité qui est décriée par les commerçants. Au cours de leur voyage, les commerçants ont af faire à des hommes armés. On ne sait pas qui est qui, on ne sait pas qui fait quoi. L'insécurité règne partout. Tout le monde est en treillis. Les Frci, les évadés des prisons, les coupeurs de route, et autres sont tous en treillis. Les camions sont pillés, les commerçants sont volés. C'est la situation post-électorale difficile que vivent les commerçants.
A propos des tracasseries, qu'est-ce qui vous dit que ce sont les éléments des Frci que vous accusez littéralement?S. F. : Ce n'est pas quelqu'un d'autre. N’est-ce pas les Fds-ci (Forces de sécurité et de Défense de Côte d'Ivoire) qu'on a accusées avant ? Aujourd'hui, ce sont les Forces républicaines de Côte d'Ivoire qui sont là pour nous qui nous rackettent. Ce sont les éléments Frci que nous voyons aux corridors.
Avez-vous des priorités après cette crise?S.F. : Nous tirons sur la sonnette d'alarme par rapport aux problèmes d'insécurité et de racket en interpellant le Gouvernement et le Président de la République. Sans sécurité, il n'y a pas de développement véritable. La relance économique ne peut pas se faire sans sécurité. Le Gouvernement doit mettre l'accent sur la sécurité et sur le problème du racket. Tu prends un camion, tu vas à Bouaké ou à Daloa, tu es obligé de donner de l'argent à chaque corridor. Ce n'est pas normal. Que ce soit à l'entrée de Dabou, à la sortie de Dabou, sur la route de San Pedro à Grand-Lahou, il faut payer à chaque corridor. A chaque barrage, il faut payer quelque chose aux éléments des Frci. Ils sont là, on ne sait pas si ce sont les vrais, mais ils sont tous en treillis et c'est écrit Frci. Il faut que le Gouvernement mette l'accent sur ce volet. Notre priorité, dans un premier temps, c'est la sécurité des personnes et de leurs biens. Il faut penser à éradiquer le racket parce qu'il fait perdre environ 130 milliards de francs Cfa par an à l'État. Si on n'y prend garde, cette fois-ci, je crois qu'on va passer du simple au double. Les commerçants des pays voisins nous ont interpellés sur la question dans nos échanges. Ils ont dénoncé les tracasseries routières. Pour chaque chargement de bétail, ils sont obligés de payer de l'argent depuis leurs frontières jusqu'à Abidjan. C'est tout ce qui fait que le coût de la vie augmente parce que le commerçant est obligé d'ajouter les frais supplémentaires sur les prix des marchandises.
Vous attendez-vous à un dédommagement?S. F. : A chacune de nos interventions, nous interpellons l'État concernant tous les dommages subis en 1999, 2000, 2002, 2004, 2010 et 2011. Il faut vraiment créer un fonds d'entraide aux commerçants sinistrés. Depuis les 10 dernières années, les commerçants payent un lourd tribut des crises en Côte d'Ivoire. En plus de biens détruits, parfois les commerçants ont perdu leur vie. Même dans cette crise post-électorale, beaucoup de commerçants sont morts dans la commune de Yopougon, à l'intérieur du pays. Au moins 20 commerçants ont perdu la vie pendant cette crise. Nous attendons la mise sur pied d'un fonds de garantie. Nous remercions le Gouvernement d'avoir fait un geste de 6 milliards de francs Cfa en faveur des grandes entreprises et dernièrement un autre geste de 15 milliards de francs Cfa à l'endroit du syndicat des constructeurs. Mais rien n'est encore fait par rapport aux commerçants de Côte d'Ivoire. Or, notre apport dans l'économie se chiffre à près de 1650 milliards de francs Cfa. Ce chiffre se traduit par 24 millions de tonnes que nous importons et exportons chaque année. Il y a les différentes impositions auxquelles nous sommes soumis chaque année. Je pense qu'avec tout cela, l'État ne doit pas nous oublier. Il faut le dire haut et fort qu'à la demande du Gouvernement, depuis le 15 décembre (2010), on a demandé aux commerçants d'observer des journées villes mortes qui ont été observées sur toute l'étendue du territoire national. Le Gouvernement a même demandé à certains fonctionnaires de ne pas aller au travail. Tout cela a fait que depuis cette période jusqu'à ce jour, il n'y a pas eu véritablement d'activités au niveau des commerçants. Donc, si l'État doit être regardant à notre endroit, en principe, nous ne devons pas être soumis à une pression de paiement d'arriérés d'impôts pendant une certaine période depuis décembre. L'État ne doit pas nous réclamer les arriérés d'impôts de décembre 2010 à juin 2011. Pendant cette période, nous n'avons pas travaillé. Nous sommes dans une période de reprise avec des arriérés de loyers de nos magasins, des arriérés de salaires pour nos employés, des arriérés de factures d'eau et d'électricité et de téléphone. Nous souhaitons que l'État fasse un geste dans ce sens en nous accordons une période sabbatique pour nous permettre de souffler un peu. Nous savons que l'État a des charges, mais l'État doit faire la part des choses en voyant ce qu'il peut faire pour les commerçants. C'est pour cela que nous demandons une période sabbatique. Ainsi, pourrons-nous commencer à payer les impôts à partir de juillet vu que nous n'avons pas travaillé à la demande du Gouvernement. Nous remercions le chef de l'État d'avoir annulé le paiement des vignettes automobiles pour l'année 2011. Cela profite plus aux transporteurs mais assez aux commerçants dont beaucoup n'ont pas de véhicules. Nous contribuons à hauteur de 1650 milliards dans le budget de l'État; ce n'est pas rien. A l'instar des autres corporations, l'État doit faire un geste vis-à-vis des commerçants.
Comment allez-vous gérer ce volet quand on sait que le secteur informel est important dans la communauté des commerçants? S. F : Oui, c'est vrai. C'est pour cela que nous souhaitons que l'État mette un fonds à la disposition des commerçants de sorte à faciliter le dédommagement des commerçants. Avec le fonds de garantie, les acteurs du secteur informel seront pris en compte. Cependant, on ne peut pas dédommager tout le monde. Ça dépendra du poids de chaque commerçant. Il y a de petits commerçants qui ont un capital entre 200 et 500 mille francs Cfa, on peut les dédommager pour leur permettre de reprendre. Pour les autres commerçants, on verra, avec l'État, si c'est au niveau de l'allègement fiscal que le Gouvernement compte leur venir en aide pour leur permettre de continuer leurs activités. Pour organiser cette opération, nous avons fait un communiqué pour demander à tous les commerçants victimes de dommages de venir se faire inscrire. A cet effet, nous avons ouvert un bureau et commis des huissiers parce que chacun peut venir dire que son commerce a été pillé. Il faudrait qu'il y ait des preuves.
Avez-vous débuté des échanges avec les banques pour d'éventuels financements? S. F. : Il y a beaucoup de problèmes qu'il va falloir régler parce que les commerçants travaillent sur fonds propres. Dans notre corporation, les banques ne nous font pas de crédit bien que nous travaillons beaucoup avec les banques. Nous sommes les plus gros clients des banques parce que chaque jour que Dieu fait nous versons d'importantes sommes d'argent dans les établissements financiers. Cependant, lorsqu'il y a des difficultés, c'est rare qu'elles prêtent de l'argent aux commerçants. En Côte d'Ivoire, nous n'avons pas de banques commerciales véritables, mais plutôt des banques de dépôt. Les commerçants sont obligés de se débrouiller. C'est pour cela que lorsque surviennent les incendies des marchés, les commerçants perdent des centaines de millions de francs parce qu'ils préfèrent garder leur argent dans des caisses sur les marchés au lieu d'aller le déposer dans les banques et s'entendre dire qu'il n'y a pas de liquidité dès qu'on demande une aide.
Comment comptez-vous régler vos problèmes de financement et d'assistance? S. F. : Nous envisageons créer notre banque, la Banque des commerçants, et d'autres structures pour consolider notre organisation. Nous allons remettre un document portant sur les états généraux du commerce en Côte d'Ivoire prenant en compte la création d'un Tribunal de commerce, d'un fonds de garantie, d'une assurance, aux autorités du pays. L'inorganisation du secteur est lié au fait qu'il n'y a pas beaucoup de structures mises sur pied pour les commerçants. Il y va de la volonté politique. Il faut réorganiser le secteur du commerce pour faciliter l'insertion des jeunes. C'est un secteur porteur d'emplois méconnu. Nous avons une politique pour le recrutement des jeunes.
Entretien réalisé par
Hermance K-N