SOCIÉTÉ : Ce que l’Afrique doit au Maroc, par Georges Dougueli

Par Jeune Afrique- SOCIÉTÉ : Ce que l’Afrique doit au Maroc, par Georges Dougueli.

Georges Dougueli.

L’exploit du Maroc peut faire franchir un cap psychologique à tout le continent. À condition que les 53 autres pays misent sur le football amateur, la formation et la bonne gouvernance des instances fédérales nationales.

Par Georges Dougueli

Journaliste spécialisé sur l'Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

Défait 2-0 par la France à l’issue d’une demi-finale disputée avec hargne et manière, le Maroc ne remportera pas la Coupe du monde. Pas cette fois. Mais il est des défaites qui ont un goût de victoire. Le parcours des Lions de l’Atlas au Mondial qatari est une épopée victorieuse par la seule force morale de son principal enseignement : celui d’avoir pulvérisé ce plafond de verre qui condamnait les sélections africaines à jouer les accompagnatrices de leurs adversaires européens et sud-américains, lesquels règnent sans partage sur le sport-roi.

Plus rien ne sera comme avant
Le défi des cinq plénipotentiaires de la zone Afrique au Qatar était d’y faire bonne figure pour améliorer la performance globale du continent. Dès lors, chaque pays ne représentait pas que lui. En effet, à l’abri des regards, une réforme en cours à la Fifa vise à passer de 32 à 48 le nombre de pays participants. La question est de savoir à qui profiteront les seize places supplémentaires accordées à partir de l’édition 2026. Selon les indiscrétions, le Vieux continent devrait bénéficier de 3 places de plus, et passer de 13 à 16 places. Les principaux bénéficiaires de la réforme seraient en fait l’Afrique (8 places contre 5 actuellement), l’Asie (8 places contre 4 ou 5 actuellement, selon les éditions). Pour les Africains, l’enjeu était de montrer sur le terrain que le continent mérite d’être numériquement mieux représenté.

En franchissant ce palier, le Maroc a changé de statut et, avec lui, tout le continent. Après avoir accédé aux quarts de finales grâce au Cameroun lors du Mondial italien de 1990 et au Ghana, en Afrique du Sud, lors de la Coupe du monde de 2010, l’Afrique accède au dernier carré. Rien ne sera plus comme avant. Mais avant d’envisager d’éventuelles retombées positives au bénéfice du royaume chérifien et de l’Afrique, il convient de souligner que leur performance ne relève pas du miracle. Avec le même état d’esprit, fait de rigueur tactique, de générosité dans l’effort, de détermination dans l’engagement et de solidarité de groupe, les Lions de l’Atlas vaincraient n’importe quel adversaire.

Travail de fond
Rien de tout cela ne s’obtient sans travail de fond. Cette équipe est le résultat d’une politique publique mise en œuvre par le royaume. Les autorités ont en effet travaillé pour sortir de la crise qui avait plongé le football marocain dans les profondeurs des classements il y a deux décennies. Puis, à partir de 2009, vint le temps d’amorcer le rebond, avec un programme d’investissements, dont le lancement de l’académie Mohammed-VI – une initiative de formation destinée à faire éclore les jeunes talents –, que le palais a financée à hauteur de 140 millions de dirhams (13 millions d’euros).

Pour donner du sens à ce dispositif, la gouvernance de la Fédération royale marocaine de football a également été adaptée aux exigences du football professionnel sous la férule de Fouzi Lekjaa, par ailleurs ministre délégué auprès du ministre des Finances chargé du Budget. Ce travail a fini par payer.

Complexe d’infériorité
En football, le facteur psychologique est très important. L’avenir dira si cet exploit marocain signe la fin du complexe d’infériorité de ces sélections africaines débarquant sur la pointe des pieds, avec pour ambition non pas de remporter le titre mais de repartir « la tête haute ». Serait-ce la fin de ce déficit de confiance en soi qui reléguait souvent les sélections africaines à un rôle de figurants exotiques, abonnées à la rubrique des faits divers pour des problèmes de prime, de batailles d’ego, de lutte des clans ou d’immixtions politiques.

Quoi qu’il en soit, tutoyer les sommets a un prix que le Maroc n’a pas hésité à payer en construisant patiemment le succès qu’on sait. Le sentier de la gloire est connu. Aux autres pays d’Afrique de l’emprunter.

Georges Dougueli