Scandale au Conseil général de Tanda: Adjoumani au cœur d’un détournement de fonds et d’abus de biens sociaux

Le 20 février 2012 par Notre voie - A Tanda, les populations ont la colère sourde. Elles en ont après le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani, qu’elles accusent de piller les fonds du Conseil général et d’entretenir un train de vie démesuré

Le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani.

Le 20 février 2012 par Notre voie - A Tanda, les populations ont la colère sourde. Elles en ont après le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani, qu’elles accusent de piller les fonds du Conseil général et d’entretenir un train de vie démesuré

pour son clan et lui. Un vrai scandale que Notre Voie a tenté de comprendre pour vous.
Tanda, un peu plus de 400 kilomètres au nord-Est d’Abidjan. En cette fin de janvier 2012, la ville grouille de monde. Essentiellement, des élèves qui reviennent de l’école. Nous avons fait la route depuis Abidjan pour rencontrer notre informateur. En ce début de soirée brumeux, nous avons rendez-vous, au « Dream Black», un maquis-restaurant dans le quartier Mosquée. Depuis plusieurs jours, au téléphone, nous avons convenu de nous voir pour parler d’un sujet important. La gestion catastrophique du Conseil général de Tanda par le ministre Adjoumani Kouassi Kobénan Etienne. La rencontre avec notre informateur est chaleureuse. «Quand vous m’avez annoncé votre arrivée, je n’y croyais pas trop. Je suis donc naturellement très heureux que vous ayez effectué le déplacement. J’ai des choses très importantes à vous dire. La Côte d’Ivoire doit savoir ce qui se passe chez nous», confie-t-il. Le pot de bienvenue, vite pris et nous voilà dans une villa quelque part dans la ville. La nuit est tombée depuis quelques heures. Le ton grave, notre interlocuteur entame son récit. Documents à l’appui, il explique tout. Les détournements de fonds, le faux et usage de faux ainsi que Les emplois fictifs. Tout sur le système mis en place par le ministre Adjoumani pour vider les caisses du Conseil général qu’il dirige depuis 2002.

Sékré Kouman Prosper, l’homme
à tout faire

Dans le système Adjoumani pour piller le conseil général de Tanda, l’homme d’affaires Sekré Kouman Prosper, fait office de pivot. Selon les documents en notre possession. Propriétaire d’un modeste garage qui jouxte les locaux du Conseil général, M. Sekré Kouman, qu’on appelle à Tanda, le ministre-résident du fait de sa proximité avec le ministre Adjoumani, est quasiment le seul entrepreneur avec qui le Conseil général traite. Bien entendu, c’est lui qui répare les véhicules du Conseil. Le Conseil général lui a ainsi payé un peu moins de 2 millions fcfa pour le mois d’octobre 2010 concernant l’entretien d’un camion-benne sur la base deux factures présentées par le garage de M. Kouman. Il s’agit de la facture N°06-424-G011/0234 portant «fourniture des pneus et des pièces détachées pour la réparation du véhicule benne Mitsubishi Canter immatriculé 54 34 ER 08» pour un montant de 1. 506. 270 fcfa certifiée le 12 octobre 2009. Et de la facture N°06-424-GO11/0260 portant «entretien, réparation et fourniture des pièces détachées pour la visite technique du véhicule benne Mitsubishi Canter immatriculé 54 34 ER 08» pour un montant de 490. 526 fcfa certifiée le 23 octobre 2009. Soit, onze jours d’intrevalle. Un an après, quasiment jour pour jour, le même véhicule bénéficiera d’un autre entretien, dans le même garage qui coûtera 2. 894. 540 fcfa. La facture N°06-424-G011/0333 portant «fourniture des pièces et pneumatiques pour la réparation du véhicule de marque Mitsubishi Canter 5434 ER 08» a été certifiée le 22 octobre 2010. Mais le garage Sékré Kouman prosper ne fait pas que réparer les véhicules du Conseil général. Il fait aussi les entretiens de route, il construit des salles de classe et des logements d’instituteurs, et livre chaque année du matériel et des fournitures de bureau.
Selon les termes d’un tract qui a circulé dans le département de Tanda à l’occasion des élections législatives, sur les dix ans de mandat de M. Adjoumani à la tête du conseil général de Tanda, l’entreprise de Sékré Kouman a perçu un total de 1,2 milliard fcfa. Notre interlocuteur refuse de confirmer. «C’est possible. Mais, moi je parle de ce dont j’ai les preuves», tranche-t-il devant notre insistance. A titre d’illustration, il nous brandit une série de factures payées par le Conseil général à M. Kouman, entre septembre et octobre 2010, pour divers autres travaux. Montant total de la note, 37.778.749 fcfa. Il s’agit notamment de la facture N°06-424-G011/038 relative aux travaux de «construction de salles de classe et réhabilitation d’écoles primaires dans le département de Tanda (lot 2 collège de Tiédo)», pour un montant d’un peu plus de 9,5 millions fcfa, de celle relative à la construction de salles de classe et réhabilitation d’écoles primaires dans le département de Tanda (lot 1 Mantoukoua-Adiamara) pour un montant de près de 7 millions fcfa (facture N°06-424-G011/0301), de la facture N°06-424-G011/0312 relative à l’achat de petits matériels et fournitures de bureau pour la trésorerie générale de Tanda pour un montant de 5 millions fcfa. Il nous montre aussi la facture N°06-424-G011/0137 relative à l’entretien de la route Tanda-Assuéfry pour un montant de 36 millions fcfa. Avec ces documents, on se rend bien compte que le garage de M. Kouman est quasiment le seul fournisseur du Conseil général de Tanda. Une situation suffisamment insolite pour être relevée. D’autant plus que, selon plusieurs experts financiers, le statut de l’entreprise de M. Kouman pose problème. «Le régime d’imposition du garage est le réel simplifié. Ce qui veut dire que son chiffre d’affaires doit tourner au tour de 15 millions fcfa. Il ne peut donc pas soumissionner pour un appel d’offres concernant un marché de près de 40 millions fcfa», nous a confié un administrateur des services financiers. Des propos néanmoins nuancés pas un cadre des impôts. «C’est vrai qu’avec les marchés qu’il a obtenus, le régime d’imposition pose problème. Mais il revenait à l’administration fiscale de procéder à un redressement», a expliqué notre source.Mais le plus grave dans l’affaire, c’est que les travaux pour lesquels ces factures ont été payées n’ont jamais été réalisés. « En fait, vous avez de vraies factures et de vrais décaissements pour des travaux fictifs. Le mécanisme est simple. Quand Adjoumani a besoin d’argent, il émet une fausse facture qui est payée à son ami, Sékré Kouman. Et comme les factures sont fictives, il n’y aura jamais de travaux », précise notre informateur. Un tour, le lendemain sur la route Tanda-Assuéfry, supposée avoir été refaite en 2009, permet de se convaincre des propos de notre informateur. Une route impraticable, sans aucune trace, même lointaine, de graders. Dire que dans les budgets 2010 et 2011 du Conseil général de Tanda, 220 millions fcfa ont été affectés à l’entretien routier. Mais, Adjoumani possède d’autres tours dans son sac pour piller l’argent du Conseil général. Il lui arrive donc de prendre des marchandises, des vivres notamment, et de payer par des marchés fictifs. En juillet 2011, il a ainsi payé au magasin de M. Sousou Kouabenan Emile (ELKAST-CENTER), un peu plus de 27 millions fcfa. Et pour tromper la vigilance des contrôleurs financiers, deux factures ont été établies, le 04 juillet 2011, avec pour objet : «achat de mobiliers scolaires et de matériels didactiques pour les établissements primaires et secondaires du département de Tanda ».
Sur place, à Tanda, la curiosité nous a poussés à faire un tour dans le supermarché en question. Avec le jeune homme que nous avons trouvé sur place, nous avons eu la conversation suivante. «Bonjour ! Je souhaite acheter des tables bancs pour l’école de mon village. Comment je fais ?», avons-nous demandé. Sa réponse a été sans appel : « Grand frère, ici on ne vend pas de tables bancs. Renseignez-vous ailleurs».

Plusieurs retraités et des employés fictifs payés à ne rien faire

L’autre volet non négligeable du scandale que constitue la gestion du Conseil général de Tanda, c’est assurément le management des ressources humaines. Selon diverses sources, plusieurs agents du Conseil général n’ont pas le profil de l’emploi. Plus grave, de nombreux retraités continuent d’être maintenus et payés par le Conseil général. Dans le chapitre des agents surqualifiés, figure en bonne place un certain Bini Kouassi Djoha Arsene. Sans qualification précise, ce monsieur est employé comme chargé de mission du président du conseil général de Tanda. Mais, le ministre Adjoumani lui a été attribué le grade A3 généralement réservé aux cadres. Pis, il y a longtemps que M. Bini aurait dû faire valoir ses droits à la retraite. Idem pour Yao N’Vouo Félix, le chef de cabinet du président du conseil général. «C’est un instituteur que le ministre Adjoumani a embauché en 2006 alors qu’il devait aller à la retraite en 2007», peste notre interlocuteur. Mais ce qui exaspère le plus les populations de Tanda, ce sont ces nombreux employés payés aux frais du contribuable mais invisibles dans les locaux du Conseil général. Le plus célèbre parmi eux étant l’ancien directeur général de Fraternité-Matin sous Bédié, Michel Kouamé. Ce dernier connu dans les fichiers du Conseil général comme le conseiller technique du président du conseil est un illustre inconnu de ses collègues. Avec lui, l’on cite d’autres agents comme Koffi Atta Kouabenan Jean-Baptiste, (chauffeur), Issiaka Touré (agent de sécurité), Ouattara Drissa (gardien), Prince Adingra Albert (conseiller technique), Amoua Amoua Gaston (gardien), Kouadio Adingra (chauffeur) et Adjoumani Ama Myriam (agent de bureau). Conséquences de tout ce désordre, le Conseil général de Tanda est parmi ceux du pays qui ont un personnel pléthorique. Plus de 50 agents. Là où certains experts estiment que la moyenne nationale tourne autour de 20 personnes. Malheureusement, cela coûte mensuellement 11 millions fcfa à l’Etat ivoirien.
Tous ces manquements sont graves. Mais il y a plus affligeant pour les populations de Tanda. Le ministre Adjoumani a transformé la cour de l’institution qu’il dirige en un véritable parc animalier. Au cours de notre séjour, nous avons compté cinq bœufs attachés aux manguiers de la cour. Et une trentaine de moutons. En tout état de cause, les populations de Tanda n’ont plus qu’un seul espoir. Celui de voir l’Etat de Côte d’Ivoire qui a mis son argent à la disposition des conseils généraux, faire les vérifications nécessaires pour punir toute la gabegie qui a eu cours ces dix dernières années à leur détriment. Le régime Ouattara est donc attendu sur ce terrain de la bonne gouvernance.

Guillaume T. Gbato