Russie: Ce que j’attends du sommet de Saint-Pétersbourg, Par Jean-Claude DJEREKE

Ce que j’attends du sommet de Saint-Pétersbourg, Par Jean-Claude DJEREKE.

À en croire Alexandre Poliakov du ministère russe des Affaires étrangères, quarante-neuf pays africains ont déjà confirmé leur participation au sommet entre la Russie et l’Afrique prévu les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg. Cela témoigne de la volonté du continent de développer ses relations avec Moscou.

Cela signifie aussi que, malgré les indécentes pressions exercées sur eux par l’Occident, les Africains tiennent à discuter avec Poutine de paix, de sécurité et de développement. Le premier sommet de ce genre avait eu lieu les 23 et 24 octobre 2019 à Sotchi. Si les autorités russes y avaient reconnu que la Chine faisait beaucoup mieux que leur pays en matière d’échanges commerciaux (200 milliards de dollars contre 20 milliards en 2018), elles avaient surtout insisté sur le fait qu’elles voulaient “des coopérations sur des bases égalitaires, en lien avec les ensembles régionaux, ancrées dans le temps”

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Aujourd’hui, comme hier, les Russes désirent ne pas être dans une vision colonialiste, ce qui veut dire ne pas imposer leur manière de gérer l’État ni leur “civilisation”, s’abstenir de donner aux autres des leçons qu’on ne s’applique pas à soi-même, refuser les “diktats politiques et le chantage monétaire”, ne pas s’immiscer dans les affaires internes des pays africains, etc.

De plus, Vladimir Poutine se pose en défenseur de la famille (papa, maman et enfants) et de tous ceux à qui “les représentants des idées libérales veulent imposer un certain type d'éducation sexuelle à l'école”. La Russie est l’un des rares pays non-africains à avoir donné le nom d’un héros africain à une université. Il s’agit de Patrice Lumumba conduit le 17 janvier 1961 jusqu’à son lieu d’exécution avec ses deux compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito, par le commissaire de police belge Frans Verschile. Là, le policier belge Julien Gat donna aux militaires l’ordre de les abattre, selon Ludo De Witte.

Pourquoi Lumumba fut-il tué? Pour le sociologue belge, la Belgique, les États-Unis et l’ONU étaient persuadés que seule la liquidation de Lumumba pouvait sauvegarder les intérêts des compagnies qui exploitaient les immenses richesses du Congo-Léopoldville (cf. Ludo De Witte, “L’assassinat de Lumumba”, Paris, Karthala, 2000). Fondée le 5 février 1960, l’Université russe de l'Amitié des peuples Patrice Emery Lumumba (URAP) se trouve à Moscou et accueille près de 39 mille étudiants.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que, pendant la guerre froide, l’Union Soviétique soutint les mouvements de libération nationale en Afrique (le Congrès national africain, le Parti communiste sud-africain, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola, le Front de libération du Mozambique, l’Union du peuple africain du Zimbabwe, l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain) en leur fournissant une aide militaire et économique pour les aider à mettre fin à la domination coloniale européenne, que c’est à son initiative que l’Assemblée générale des Nations unies adopta en 1960 la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance
aux pays et aux peuples colonisés, nonobstant l’opposition de certains pays comme la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, la France, le Portugal, le Royaume-Uni, que 25 000 Africains furent formés dans les universités et collèges techniques soviétiques au milieu des années 1980, que l’URSS ne considéra jamais les chefs d’État africains comme des alliés secondaires et que le soutien à la libération nationale et aux luttes pour le progrès social est inscrit dans la Constitution soviétique (cf. Alexandra Arkhangelskaya,

“Le retour de Moscou en Afrique subsaharienne? Entre héritage soviétique, multilatéralisme et activisme politique dans “Afrique contemporaine”, 2013/4, n° 248).
Il convient d’avoir toutes ces choses à l’esprit pour comprendre pourquoi la Russie a la cote en Afrique en ce moment.

En revanche, le sentiment anti-français ne fait que croître dans les ex-colonies françaises et le coq gaulois fait de moins en moins peur. Certains pays n’hésitent plus à défier et à humilier l’ex-puissance colonisatrice.

C’est le cas du Mali qui, ces deux dernières années, a posé des actes sans précédent: plainte contre un ancien ministre français, expulsion de l’ambassadeur de France accusé de propager des informations mensongères, fermeture de RFI et France 24, discours musclé contre le gouvernement français qualifié de junte à la 77e session de l’Assemblée générale de l’ONU, renvoi des soldats de Barkhane de Takuba et de la Minusma.

Pourquoi le comportement des Africains a-t-il subitement changé? Parce que les Français n’ont de cesse de mettre les Africains en garde contre la Chine et la Russie, deux pays avec lesquels eux-mêmes entretiennent des relations, comme si les Africains avaient besoin qu’on leur dise qui n’est pas fréquentable et ce qui n’est pas bon pour eux, parce que, chez les Français (hommes politiques, intellectuels et médias), il y a une grave méconnaissance du continent africain et une non-prise en compte des mutations qu’a connues l’Afrique depuis 1990.

Les Français ne manifestent aucune volonté de mettre à jour leur vision de l’Afrique, de se remettre en cause ou de demander pardon pour leurs nombreux crimes. Bref, comme le dit bien Antoine Glaser, “la France ne regarde toujours l'Afrique qu'à travers son propre miroir, d'où l'arrogance”. Pour lui, la Françafrique n’est rien d’autre qu’un “anachronisme historique” (cf. “Arrogant comme un Français en Afrique”, Paris, Fayard, 2016).

C’est un truisme de dire qu’aucun pays ne peut se développer s’il est fréquemment attaqué ou déstabilisé. Le Burkina, le Mali, le Niger, le Tchad, la République démocratique du Congo et les autres pays africains ont besoin de sécurité, d’armées capables de faire face à n’importe quelle attaque extérieure, de moyens qui leur permettent de combattre efficacement le terrorisme.

La question de la sécurité est donc importante mais il est non moins important que la jeunesse africaine puisse trouver du travail afin qu’elle soit moins tentée de traverser la Méditerranée, que le transfert technologique se fasse entre l’Afrique et la Russie, que cette dernière nous partage son expertise dans le domaine de l’industrialisation car là se trouve une des clés du développement.

Tant que nous ne serons que des pourvoyeurs de matières premières, tant que nous serons incapables de transformer nos ressources agricoles et minières sur place, il nous sera difficile d’accroître le pouvoir d’achat des populations et d’apporter une solution au chômage qui frappe des milliers de jeunes.

Jean-Claude DJEREKE