Musique : LA VRAIE VIE DE PACO SÉRY

Le 29 mai 2012 par Fraternité matin - Place de la Bastille. Jean Luc Melenchon, le président du Front de gauche en France, tient un meeting. Des musiciens tiennent, eux, avant lui, le public en haleine. Cheick Tidiane Seck est au clavier. Derrière lui, la

Le batteur Paco Séry.

Le 29 mai 2012 par Fraternité matin - Place de la Bastille. Jean Luc Melenchon, le président du Front de gauche en France, tient un meeting. Des musiciens tiennent, eux, avant lui, le public en haleine. Cheick Tidiane Seck est au clavier. Derrière lui, la

grosse caisse de la batterie est agressée par le pied droit de Paco Séry dont la main droite frappe avec précision la caisse claire. Elle hurle. Les tom l’imitent. Les cymbales adoucissent les mœurs des mélomanes, le temps de plusieurs titres. Parce que Paco a, du rythme, le sens, le public melting- pot danse pendant quelques minutes. Puis pour faire place à Melenchon, l’orchestre descend de scène. Paco nous conduit à son domicile. Sa fille- sa fierté- perchée sur son cou, lui dit des mots en grasseyant. Il les aime et son visage s’illumine de bonheur. Il nous fait écouter en exclusivité et en boucle aussi bien audio que vidéo, son deuxième album baptisé La vraie vie. Pourquoi ce titre ?

« La vraie vie, parce que depuis quelques années maintenant, ma vie a positivement basculé. D’abord avec la rencontre de Valéry Abrial, la mère de ma fille, qui est également à la fois mon ingénieur de son et mon agent-manager. Ensuite, avec la naissance de ma fille, il y a 4 ans. Ce sont de superbes rencontres qui changent, en bien, le cours de la vie d’un être humain. Avec ces deux êtres, je construis une vie vraie. Je ne suis plus le même. Ma vision est beaucoup plus large et ça va jusqu’à agir sur ma façon de jouer de la batterie», justifie le batteur qui a lui-même assuré les arrangements d’une vingtaine de titres. « Mais je retiendrai pour l’album, 16 titres que je répartirai en deux groupes, puisqu’il y aura deux sorties. L’une est mondiale et l’autre africaine. La sortie africaine dont la première étape sera Abidjan, en Côte d’Ivoire, se fera avant la sortie mondiale. Je veux inverser les choses et donner la primeur à mon pays ». C’est qu’il tient à la Côte d’Ivoire, son pays balafré et secoué par la récente crise, au point d’écrire, composer et arranger, pour elle, Zouglou électrique. Paco est très loin de faire la fine… oreille concernant ce titre. Il se saisit de la télécommande et augmente le volume. L’appartement s’emplit jusqu’à la mezzanine, de ce son ivoirien, made in France. Paco hoche la tête, à chaque coup de caisse claire et agite ses mains qui ne tiennent plus en place. Sa bouche, elle, distille les nuances des cymbales, assurent les roulements quand son corps s’électrise. Il paraît fier de cette expérimentation musicale, lui habitué à élaborer des partitions Free jazz ou World. « C’est vrai que j’en suis assez fier et heureux. Je le trouve réussi. C’est un super morceau. Ce n’est pas un Zouglou du pays mais c’est un Zouglou pour les jeunes d’aujourd’hui et pour les anciens. J’ai tenu à louvoyer entre les deux générations ». Outre cette musique urbaine, la musique du terroir a été exploitée. Paco monte de nouveau le volume qu’il avait eu à baisser pour qu’on s’entendît. Un rythme bété enrobe la pièce. «Tu reconnais ce style. Ça, c’est du Gbégbé. C’est pour rendre hommage à tous nos patriarches, nos paroliers et renvoyer l’ascenseur à tous ceux avec qui j’ai eu à collaborer par le passé, lorsque j’ai commencé la musique une fois arrivé à Abidjan».
Batteur de Marvin Gaye
On est bien loin de cette époque des débuts difficiles car aujourd’hui Paco Séry est parvenu à travailler avec les plus grands de ce monde tels que Nina Simons, Marvin Gaye. Il a, pour ce faire, un secret. « C’est le travail, le sérieux, la rigueur. Dans la vie, il faut se fixer des objectifs. Une fois fixés, il faut tout mettre en œuvre pour parvenir à les atteindre. C’est pourquoi je ne remercierai jamais assez ma grand-mère. C’est la seule dans ma famille qui m’a encouragé à mes débuts. Elle m’a dit si tu veux faire de la musique, fais le bien. » Très peu fétichiste des grosses renommées, Paco a tendu la main à des artistes anonymes pour intervenir sur cet album : « Moi, je tends la main aux autres quand ils sont eux-mêmes motivés ». Le saxophoniste Isaac Kemo, par exemple, dont il arrangera le prochain album. « Je vais lui donner toute l’énergie nécessaire pour qu’il y arrive avec son instrument, le saxo. C’est un petit ivoirien qui a besoin d’être encadré. Je serai comme un tonton pour lui ». Cela ne le pousse pas à rompre les liens avec les gros calibres tels que Touré Kunda. « J’étais parti pour collaborer sur un titre. Mais quand je l’ai fini, ils étaient tellement heureux, que j’en ai arrangé un autre et de fil en aiguille, c’est tout l’album que j’ai arrangé ».
Et pourtant, pour beaucoup, Paco reste un batteur et l’on ignore qu’il est aussi arrangeur. « Ce n’est pas grave, répond-il, il y a de nombreux Ivoiriens dont j’ai arrangé les albums mais comme ils sont très peu disciplinés, pas ponctuels, jamais sérieux, l’expérience n’a pas pu se poursuivre. Pire, ces jeunes, quand ils arrivent en Côte d’Ivoire, se font passer pour des stars. Comme dit l’adage: « A beau mentir qui vient de loin », certains y croient et ce n’est pas bien pour les jeunes restés au pays. Ces derniers croient que la France, c’est le paradis. C’est faux. Et cette fois-ci, je veux faire le chemin inverse. L’album sortira d’abord à Abidjan». Les clips sont prêts. Ils ont été tournés en partie à Abidjan avec des insertions d’autres morceaux de paysages. Ils ressemblent à la vie de l’artiste, construite sur la mise bout à bout de compétences, sans a priori, ni préjugés. « Je n’ai pas de préjugés. Je joue pour Mélenchon aujourd’hui. Demain, ce sera pour quelqu’un d’autre. Mais jamais je ne collerai mon image à un politique qui méprise le peuple ou une race donnée. Ma batterie m’a permis de ne pas faire attention aux couleurs, aux origines. Avec elle, je franchis les barrières raciales, politiques. Elle parle le langage de l’universel. »
Au moment de se séparer, après avoir partagé de la dinde rôtie relevée à la moutarde avec des échalotes cuites par Paco lui-même, l’artiste reçoit un coup de fil de Pascal Lokua Kanza, consécutif à celui du groupe Deep forest pour un énième projet. Quand il raccroche, le clip de Chabada dance continue de passer sur l’écran où apparaît la ville de Divo. « Elle m’est chère, cette ville, tout comme mon pays, la Côte d’Ivoire. J’arrive en été », lâche l’artiste qui sera au festival L’émoi du Jazz prévu du 8 au 22 juin 2012 à Abidjan.
Propos recueillis à

Paris par Alex Kipré