Mandat d'arrêt contre le fils du président de Guinée équatoriale
Le 14 juillet 2012 par Le Monde.fr - Après un an et demi d'enquête, le juge Roger Le Loire, chargé avec son collègue René Grouman de l'affaire dite des biens mal acquis, a lancé, jeudi 12 juillet, un mandat d'arrêt contre Teodoro Nguema Obiang, dit
Le 14 juillet 2012 par Le Monde.fr - Après un an et demi d'enquête, le juge Roger Le Loire, chargé avec son collègue René Grouman de l'affaire dite des biens mal acquis, a lancé, jeudi 12 juillet, un mandat d'arrêt contre Teodoro Nguema Obiang, dit
Teodorin, 43 ans, fils du président de Guinée équatoriale. Convoqué mercredi pour un interrogatoire de première comparution à l'issue duquel il aurait été mis en examen, M. Obiang junior ne s'est pas présenté au bureau des doyens du pôle financier à Paris. Il n'avait pas davantage honoré une première convocation en mars. Aux termes du mandat d'arrêt lancé contre lui, "TNO" peut être arrêté dans tout l'espace judiciaire européen et extradé vers la France.
Les juges d'instruction, qui enquêtent parallèlement sur les conditions dans lesquelles trois chefs d'Etat africains (Congo, Gabon et Guinée équatoriale) ont acquis un important patrimoine en France, soupçonnent Teodorin Obiang de détournement de fonds publics, de blanchiment, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance. Attachés à trouver l'origine des fonds qui ont servi à acheter les 14 voitures de luxe saisies à leur demande en septembre 2011, comme les centaines de m3 de meubles et d'objets d'art emportés, en février, lors de la spectaculaire perquisition de l'hôtel particulier de l'avenue Foch à Paris, les deux magistrats ont suffisamment avancé dans leur enquête pour refuser de lever les scellés sur ces biens.
Ainsi ont-ils rejeté, le 23 avril, la demande en restitution présentée par l'avocat de M. Obiang, Me Emmanuel Marsigny, concernant les véhicules. L'enquête a établi que les Maserati, Rolls Royce, Bentley (dont une à 1,96 million d'euros) et autres Bugatti, avaient été réglées par la société Somagui Forestal ou par virement d'un compte du fils Obiang intitulé "Présidence Malabo". Au total, 5,4 millions d'euros, payés pour l'essentiel par la Somagui.
300 BOUTEILLES DE PETRUS
Cette SAS (société par actions simplifiées), de droit privé, a pour unique dirigeant et actionnaire Teodorin Obiang et pour objet l'exploitation du bois. Autrement dit la forêt équato-guinéenne, qui constitue avec le pétrole et le gaz la richesse de ce petit pays d'à peine un million d'habitants, vivant pour la plupart sous le seuil de pauvreté. La Guinée équatoriale produit "520000 barils de pétrole et un milliard de pieds cubiques de gaz par jour", a indiqué, le 20 juin, le premier ministre de cette "démocrature", dirigée d'une main de fer par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 70 ans, père de Teodorin.
Les deux magistrats ont en tout cas estimé leurs indices suffisants pour considérer que l'impressionnant parc automobile provenait de détournements de fonds commis au préjudice de la Somagui Forestal et/ou de l'Etat guinéen. Ils ont aussi jugé que les dividendes de la société, M.Obiang en fût-il le seul actionnaire, ne sauraient couvrir l'ensemble des dépenses révélées au cours de leur enquête.
Lesquelles ? L'acquisition, par exemple, le 24 juin 2010, par l'EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) Foch service, de 300 bouteilles de Petrus pour 2,1 millions d'euros – facture à nouveau réglée par la Somagui. Selon l'enquête de l'Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), diligenté par les magistrats, "ces vins d'exception sont conservés dans un endroit approprié au 42, avenue Foch".
UN CONFORTABLE CHÈQUE DE COMMISSION
Il le serait à moins. Car le 9 janvier, l'OCRGDF a procédé à la très intéressante audition du décorateur employé par M.Obiang pour aménager son domicile parisien. Selon le témoignage de Dominique Le Marquier, qui évalue les travaux à 11 millions d'euros, le propriétaire avait "des idées très précises" pour ce chantier. Il a duré deux ans. Et le décorateur a couru les ventes aux enchères, et acheté, de-ci de-là, meubles et tableaux.
Le budget était fixé par M.Nguema, dont une partie en argent liquide, précise-t-il au commandant de police qui l'interroge. "Je me déplaçais à ces occasions au 42, avenue Foch. Je recevais la visite d'une personne de l'ambassade de Guinée équatoriale qui me remettait des espèces", dit-il. Parfois, il y avait un confortable chèque de commission. Comme ce jour où M. Le Marquier sert d'intermédiaire pour l'acquisition d'un pastel de Degas, Les Trois Danseuses au repos, vendu 5,6 millions d'euros par la société Quéré-Blaise, experts en art, qui supervise son accrochage avenue Foch.
Tous les documents concernant les sociétés suisses propriétaires de l'immeuble dont Teodorin Obiang est actionnaire (Ganesha holding, Gestion entreprise participation, Nordi shipping and trading, Raya holding, etc.) ont été saisis par les juges dans un cabinet d'avocats de l'avenue Marceau, mardi 12 juin.
Selon les notes de Tracfin (l'organisme du ministère des finances chargé de lutter contre le blanchiment d'argent), Teodorin Obiang dépensera encore 1,5million d'euros pour cinq œuvres de Rodin, un peu moins pour un Bonnard, 2,1millions d'euros chez un antiquaire de la rue du Faubourg- Saint-Honoré... Il consacre des sommes astronomiques à l'achat de montres de luxe, dont l'OCRGDF établit la minutieuse recension. En 2005, quatre Piaget dont la Polo pour homme sertie de 498diamants (598000euros), trois Rolex, une Cartier, deux Chopard. Il en va de même les années suivantes.
Le rapport du département de la justice américain, rendu le 11juin à l'appui de sa plainte contre "TNO", reprend ces éléments et établit que le fils Obiang aurait dépensé 300 millions de dollars (près de 246 millions d'euros) entre 2000 et 2011. Un montant incompatible, est-il souligné, avec les bénéfices que sont supposées dégager les deux compagnies forestières qu'il possède. Ce document assure qu'il aurait détourné des dizaines de millions de dollars d'argent public.
"Je connais cette plainte. Elle ne m'inquiète absolument pas. Les accusations et les chiffres sont totalement faux", soutient Me Marsigny. L'avocat de M.Obiang affirme que le dossier est très simple. L'abus de bien social (ABS) n'existant pas en Guinée équatoriale, il n'est pas anormal qu'un ministre de l'agriculture, fils du président en exercice et propriétaire de la société forestière monopolistique du pays, passe des contrats avec l'Etat. Et utilise son argent comme bon lui semble.
Il semble pourtant très déterminé, comme son homologue Olivier Pardo, défenseur de l'Etat équato-guinéen, à jouer la carte de l'immunité diplomatique : le 21 mai, M. Obiang junior a été nommé dans son pays "deuxième vice-président chargé de la défense et de la sécurité", ce qui est supposé lui conférer le rang de chef d'Etat.
Maud Perdriel-Vaissière voit au contraire dans ce mandat d'arrêt "la preuve du sérieux des allégations émises par Sherpa dès l'origine". La déléguée générale de l'association de lutte contre les crimes économiques se dit persuadée que cette nouvelle étape "montre que personne ne devrait se croire au-dessus des lois: dorénavant, immunité n'est plus forcément synonyme d'impunité".
Béatrice Gurrey