L'ENQUÊTE/ FRANCE INTER: Les milliards envolés de Félix Houphouët-Boigny
Par France Inter - L'ENQUÊTE "Les milliards envolés de Félix Houphouët-Boigny".
Où sont passés les milliards d'Houphouët-Boigny ? par franceinter
Où sont passés les milliards de la fortune de Félix Houphouët-Boigny ?
Depuis la mort du président ivoirien, en décembre 1993, sa succession est l’objet d’une féroce bataille judiciaire.
L’empire immobilier de Félix Houphouët-Boigny a longtemps été géré par l’actuelle première dame de Côte d’Ivoire : Dominique Ouattara.
L’ « or brun » de la filière cacao
Avant de devenir le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, en 1960, Félix Houphouët-Boigny est un acteur majeur de la filière café-cacao. C’est grâce à elle qu’il va bâtir l’essentiel de sa fortune comme le raconte l’historien Jean-Pierre Bat, chargé d’études aux Archives nationales :
"Félix Houphouët-Boigny est d’abord un grand propriétaire de plantations. C’est une rente qui ne cesse de s’accroitre. Une grande partie de la richesse de l’Etat ivoirien dépend de la filière café-cacao. Dans les années 60, 80 % du commerce du cacao mondial provient de Côte d’Ivoire. C’est un véritable or brun".
Aujourd’hui encore, la Côte d’Ivoire est toujours le premier producteur mondial de cacao.
Un « trésor » en plein Paris
A sa mort, Félix Houphouët-Boigny est à la tête d’une fortune évaluée entre sept et onze milliards de dollars. Il l’a investi à l’étranger, mais surtout en France. A Paris, il dispose d’un patrimoine considérable selon l’ancien rédacteur en chef de « La Lettre du Continent », Antoine Glaser :
"L’un de ses conseillers français avait été chargé d’investir dans l’immobilier. Appartements, immeubles, hôtels particuliers… ça s’est étendu autour de l’ambassade de Côte d’Ivoire, avenue Raymond Poincaré. Houphouët-Boigny allait aussi beaucoup à Marnes la Coquette où il avait acheté 17 villas. Il était quasiment l’un des principaux propriétaires de l’immobilier parisien ! "
Au sein de cet « empire » immobilier, se trouve certains « joyaux » comme l’hôtel particulier de la rue Masseran : 3000 mètres carrés dans le très chic septième arrondissement de Paris. Un « petit bijou » datant du XVIIIème siècle dont les murs ont finalement été récupérés par l’Etat ivoirien. A l’intérieur : un mobilier luxueux et des tableaux de grands-maîtres vendus aux enchères, en juin 2008, pour sept millions et demi d’euros, officiellement pour financer les travaux de remise en état du bâtiment. Une vente illégale pour Isabelle Coutant-Peyre, l’ancienne avocate d’Hélène Houphouët-Boigny, l’une des filles de l’ancien président ivoirien : "Dans l’inventaire de succession de Félix Houphouët-Boigny, il n’a jamais été question que ce mobilier soit cédé. J’ai donc demandé au président Laurent Gbagbo de restituer à l’une des ayants droits dont j’étais l’avocat - Hélène Houphouët-Boigny - la part de un septième qui lui revenait légalement. Je n’ai pas eu de réponse. Après l’élection d’Alassane Ouattara à la présidence ivoirienne, j’ai fait la même réclamation. En vain. C’est un véritable racket."
Autre exemple : une villa d’Houphouët-Boigny, à Genève. Elle a été vendue douze millions d’euros, par l’Etat ivoirien, en octobre 2007. Qui a touché l’argent de la vente ? Mystère. En tous cas, ce n’est pas le Trésor public ivoirien, puisque les fonds ont été versés sur un compte ouvert à la Société Générale, à Paris, au nom de la présidence ivoirienne…
« Pillage » d’un coffre en Suisse
Une grande partie de la fortune d’Houphouët-Boigny a été placée en Suisse, essentiellement chez UBS. Et ce « magot » suscite la convoitise.
Beaucoup d’intermédiaires, français et ivoiriens, semblent avoir joué un rôle trouble autour de la succession d’Houphouët-Boigny. D’autant qu’il n’existe pas de testament officiel du président ivoirien. Quatre enfants d’un premier mariage d’Houphouët-Boigny ont fait appel à un spécialiste français de la gestion de patrimoine.
Tous ces éléments ont poussé Jean-Paul Baduel, l’avocat de la veuve du président ivoirien, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, à déposer plainte, en France en octobre 2013 pour « faux, usage de faux, recel d’escroquerie et recel de succession. »
Des investigations ont également été menées en Suisse. Pour Jean-Paul Baduel, ces investigations ont permis de découvrir que le contenu d’un coffre d’UBS aurait été détourné par l’un des enfants d’Houphouët-Boigny :
"Nous avons appris l’identité de la personne qui avait pillé les comptes faisant partie de legs destinés à ma cliente : Marie Houphouët-Boigny, la première fille du défunt président. Ce pillage porte sur deux comptes en banque et le contenu d’un coffre. Dans un pays où l’or est une production nationale, on peut imaginer que le contenu de ce coffre avait une valeur hors-norme. Ma cliente a été totalement écartée de la succession. Des courtisans ont utilisés des procurations, voire des fausses signatures, pour détourner des fonds ou pour faire fonctionner les comptes suisses. C’est quand même extraordinaire : vous êtes mort et les comptes bancaires continuent de fonctionner !"
Nous avons tenté de joindre Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, à Neuilly-sur-Seine. Sans succès.
Après deux ans d’enquête préliminaire, le parquet vient de classer sans suite la plainte de Maître Baduel. Mais ce dernier va redéposer une plainte avec constitution de partie civile, afin qu’un juge d’instruction soit désigné.
Dans le premier cercle du « Vieux »
Avant de devenir l’actuelle Première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, l’épouse de l’actuel président Alassane Ouattara, a longtemps géré la fortune de Félix Houphouët-Boigny. Le début, pour elle, d’une ascension fulgurante. L’histoire commence dans les années 80. Dominique Ouattara s’appelle alors Dominique Folloroux. Cette française est mariée à un professeur d’économie qui meurt brutalement. Elle décide de se lancer dans l’immobilier, soutenu par de hauts responsables ivoiriens comme Abdulaye Fadiga, le gouverneur de la BCAO, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest.
Dominique Folloroux entre alors dans « le premier cercle » du président ivoirien, surnommé « le Vieux « : Houphouët-Boigny lui confie la gestion de son immense patrimoine. Sur la recommandation d’ « Houphouët », Dominique Folloroux va également s’occuper des biens du richissime président gabonais, Omar Bongo.
Pour gérer cette fortune, la future Madame Ouattara dirige une agence baptisée : AICI, Agence internationale de commercialisation immobilière. Elle crée des agences à Paris, dans le sud de la France, à Abidjan, à Libreville, à Ouagadougou…
De fastueux honoraires
Un véritable « pactole » professionnel pour Dominique Folloroux. Pour Bernard Houdin, ancien conseiller du président Laurent Gbagbo, certains mouvements financiers entre un compte UBS d’Houphouët-Boigny et sa gestionnaire, Dominique Folloroux, posent question :
"Entre le 16 septembre et le 9 janvier 1989, soit pendant environ 28 mois, Madame Folloroux reçoit en plusieurs virements l’équivalent de plus de 24 millions de francs français sur ses comptes bancaires à la Société générale à Sanary, puis à Monaco, ainsi que sur son compte à la Société de banque suisse (SBS) à Genève. Les fonds proviennent d’un compte d’Houphouët-Boigny à l’UBS également ouvert à Genève. S’il s’agit de la rémunération de ses activités de gestionnaire des comptes du patrimoine d’Houphouët-Boigny, pourquoi cet argent est versé sur son compte personnel et pas sur celui de l’entreprise qui gère ?"
Bernard Houdin pointe également du doigt un curieux virement sur le compte d’un proche de Dominique Folloroux :
Durant la même période, le 6 janvier 1987, un virement du même compte UBS est effectué sur un compte du Crédit agricole de la Loire, pour un montant de 2,4 millions de francs français, au profit de l’un des frères, médecin, de Dominique Folloroux."
Lobbying auprès de Fabius et DSK
Au sein du « fichier clients » de Dominique Folloroux figure un certain Alassane Ouattara qui travaille alors au FMI - Fonds monétaire international - et devient ensuite gouverneur de la BCAO.
En 1990, Alassane Ouattara est nommé Premier ministre d’Houphouët-Boigny. Sa carrière politique décolle. Un an plus tard, il se marie avec Dominique Folloroux, dans le seizième arrondissement de Paris.
Mais Dominique Ouattara n’est pas seulement une femme d’affaires, c’est aussi une femme d’influence. Elle fait du lobbying pour promouvoir son mari auprès des partis politiques français : à droite, auprès des « milieux d’affaires » et des réseaux sarkozystes, mais aussi à gauche. Ce travail de lobbying s’avère particulièrement efficace au sein du Parti socialiste.
Officiellement, le PS soutient le « camarade » Laurent Gbagbo - membre de l’Internationale socialiste - président de la Côte d’Ivoire. Mais, en réalité, Gbagbo commence à être lâché. Le député PS François Loncle, membre de la Commission des affaires étrangères, en a été le témoin :
"Dominique Ouattara a visé les deux personnes qu’il fallait, à gauche : Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, dont l’influence était importante dans les milieux économiques et financiers. Je me suis rendu compte que les deux hommes sont devenus peu à peu « ouattaristes ». Dominique Ouattara a un savoir-faire lobbyiste remarquable. Elle les a convaincus que l’homme d’avenir, en Côte d’ivoire, c’était Alassane Ouattara, pas Gbagbo !"
Dominique Ouattara est également très proche de la communicante Anne Méaux, présidente de la société Image 7, qui conseille une grande partie des patrons du CAC 40.
« Une femme d’affaires saisie par le démon de la politique »
L’ascension professionnelle de Dominique Ouattara va donc de pair avec l’ascension politique de son mari. Mais ses « affaires » ne se limitent pas à l’immobilier. Parallèlement à l’activité de son agence AICI, Dominique Ouattara rachète des franchises des salons de coiffure Jacques Dessange, aux Etats-Unis. Elle investit également dans certains médias, comme Radio Nostalgie, en Côte d’Ivoire. Si aujourd’hui, elle ne dirige plus directement ses sociétés, les membres de sa famille ne sont jamais loin, explique le journaliste à « L’Express » Vincent Hugeux :" Dominique Ouattara est une femme d’affaires saisie par le démon de la politique. Elle a mesuré à quel point la synergie entre la réussite dans le business et l’ascension de l’homme de son choix pouvait être efficace. Même si formellement elle a dû renoncer, à la demande de son époux, à ses fonctions économiques, elle explique aujourd’hui que la gestion de patrimoine immobilier la fait encore palpiter et qu’elle y reviendra un jour ou l’autre. Mais, au fond, elle n’aura pas à y revenir… car elle n’a jamais vraiment quitté cet univers : elle a délégué au premier cercle familial."
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On retrouve ainsi sa fille, Nathalie, comme vice-présidente d’AICI international et de Radio Nostalgie Afrique. Sa sœur, Véronique, décoratrice d’intérieur, fait également partie du conseil d’administration d’AICI International. Son frère, Philippe, a longtemps collaboré avec Dominique Ouattara. Il a fondé à Abidjan un cabinet de maitrise d’ouvrage, de gestion immobilière et d’intermédiation financière : Gemco. En 2013, il s’est vu confier le contrat de réhabilitation de la présidence ivoirienne. Un autre frère, Marc, dirige une compagnie spécialisée dans l’achat de fèves de cacao.
Invitée d’honneur du MEDEF
Cette « entreprise familiale » se double d’une intense activité caritative à travers la Fondation d’aide à l’enfance, « Children of Africa », dont la marraine est la princesse Ira de Fürstenberg.
Dominique Ouattara organise des dîners de gala avec des stars du sport, de la musique ou du cinéma. Elle prend régulièrement la parole comme ambassadrice de sa Fondation, comme le 27 août 2015, lorsqu’elle est invitée d’honneur à l’Université d’été du Medef.
Nous avons contacté le responsable du service de presse de Dominique Ouattara, en lui envoyant une longue liste de questions reprenant tous les éléments évoqués dans cette enquête.
Voici sa réponse :
"Nous ne comptons pas donner suite aux questions que vous posez dans la mesure où ces dernières sont orientées, insidieuses et diffamatoires dans leur énoncé."
Le cacao, nerf de la guerre
Parmi les acteurs économiques très proches des époux Ouattara, on trouve notamment la société « Armajaro » : une société de courtage en matières premières qui joue un rôle central dans la filière cacao. Elle est dirigée par un britannique, Anthony Ward, qui était aux premières loges lors de la cérémonie d’investiture d’Alassane Ouattara, en mai 2011. Le fils de Dominique Ouattara, Loïck Folloroux, a longtemps été le directeur Afrique d’ « Armajaro ». On retrouve, une nouvelle fois, l’importance de cette filière cacao qui a tant contribué à la fortune du président Houphouët-Boigny.
Une filière qui a également servi de « tiroir-caisse » pendant la guerre civile, du côté des partisans de Laurent Gbagbo mais aussi des « rebelles » proches de Ouattara, comme l’explique la journaliste Fanny Pigeaud :
"Ces rebelles ont gagné énormément d’argent. Pendant huit ans, tandis qu’ils contrôlaient 60% du territoire ivoirien, ils se sont fait de grosses fortunes en trafiquant le cacao et d’autres matières premières comme l’or. Aujourd’hui, ces chefs de guerre ont accédé à des postes importants du pouvoir. Par exemple, Guillaume Soro est président de l’Assemblée nationale. D’autres ex-chefs de guerre ont des responsabilités au sein des services de sécurité ou ont été nommés préfets."
Après la victoire d’Alassane Ouattara, un autre chef d’entreprise va « tirer son épingle du jeu » : Martin Bouygues. Le roi du BTP va décrocher plusieurs marchés. Martin Bouygues qui était présent au mariage des époux Ouattara…
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