Lazare Koffi Koffi : “Depuis 2004, Koulibaly n’avait plus la tête au Fpi”
Publié le jeudi 14 juillet 2011 | Notre Voie - Le ministre Lazare Koffi Koffi a participé à deux gouvernements du Président Gbagbo. Secrétaire National d front populaire ivoirien,
Publié le jeudi 14 juillet 2011 | Notre Voie - Le ministre Lazare Koffi Koffi a participé à deux gouvernements du Président Gbagbo. Secrétaire National d front populaire ivoirien,
chargé des relations avec les partis politiques, les syndicats et les organisations de masse, il a dirigé la campagne du candidat Gbagbo dans le département d’Aboisso, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. Réfugié au Ghana depuis les évènements du 11 avril il a été l’un des premiers cadres du parti à l’extérieur à contredire publiquement l’ancien président du parti par intérim, le Pr. Mamadou Koulibaly. Au moment où ce dernier quitte le FPI, le Ministre Koffi a bien voulu partager ses sentiments avec nos lecteurs. Entretien
Notre Voie : Le troisième vice-président du FPI, le Pr. Mamadou Koulibaly, qui assurait l’intérim de la présidence du parti depuis l’arrestation de son président vient claquer la porte. Quels commentaires ?
Lazare Koffi Koffi : Pour moi, le départ de Koulibaly est un non-événement. Personnellement j’avais émis quelques réserves quant à la manière dont le Pr. Mamadou Koulibaly a usé pour s’accaparer de la direction du FPI en l’absence des premiers responsables aujourd’hui incarcérés. En tant que vice-président, pour rester conforme à l’esprit démocratique interne de notre parti, il aurait dû d’abord convoquer ce qui restait du Secrétariat général, ensuite le Comité Central qui l’auraient investi dans son rôle d’intérimaire. Mais que non! Tout s’est passé comme une sorte d’auto proclamation de président intérimaire. Ensuite, quand on est dans le rôle d’intérimaire, on gère en toute honnêteté les affaires courantes et non s’attaquer ou réformer les fondamentaux de notre commune organisation surtout en ces temps où nous avons besoin de resserrer nos rangs pour ne pas perdre de vue l’essentiel qui est la libération de nos camarades détenus. A ce sujet, je voudrais vivement saluer les secrétaires fédéraux du parti qui, récemment, ont rejeté l’idée d’aller à un congrès extraordinaire qui est tout à fait inopportun à l’heure actuelle. Pour n’avoir pas accepté cette réalité interne du parti, Koulibaly est parti. Parce que, depuis Marcoussis, et surtout après la convention de 2004 à l’Hôtel Ivoire, le cœur de Mamadou Koulibaly n’était plus au FPI. Il voulait changer le parti à son image, le fédérer à d’autres organisations, changer son nom et son idéologie en même temps qu’il se positionnait comme l’héritier de Gbagbo. On a vu comment ces derniers temps il a tancé son parti dans la presse.
Mais qui observe bien l’actualité politique ne doit pas s’arrêter au premier niveau, c’est-à-dire au mal que ce départ pourrait causer au FPI qui s’y attendait du reste. Mais s’interroger sur le moment choisi par Koulibaly pour faire défection. Ces derniers temps, on a vu Koulibaly à Paris et à Washington. Pourquoi ? Pourquoi n’a-t-il jamais été épinglé comme ses camarades de parti interdits de voyager en Europe comme aux Etats-Unis ? Pourquoi ses avoirs n’ont-ils jamais été gelés ? Serait-il un pion utilisé comme un plan B par les Blancs pour remplacer les tenants du pouvoir actuel qui dit-on ne font plus leur affaire ? Simple question. Les jours prochains nous situeront.
N.V : D’aucuns pensent que ce départ aggrave un peu plus la situation de décapitation du parti. Les plus pessimistes annoncent même la mort du FPI. Qu’en pensez-vous ?
L.K.K. : Non, le FPI ne peut pas être décapité, n’en déplaise à quelques nostalgiques du parti unique qui s’échinent à demander sa dissolution prétextant que c’est un parti génocidaire. Le FPI n’est pas un parti génocidaire. Il ne peut pas l’être comme l’a été, le PDCI, au lendemain des indépendances africaines. Souvenez-vous du génocide Sanwi entre 1959 et 1966. Houphouët et le PDCI ont tués plus de 2500 Sanwi dans ce qu’on a appelé « l’affaire du Sanwi » pour un simple malentendu politico-juridique sur la question de l’application du traité de protectorat de 1843 qui liait Paris à Krinjabo. Souvenez-vous du génocide Guébié en 1970. Parce qu’un des leurs, en l’occurrence Kragbé Gnangbé, a osé demander l’application de l’article 7 de la Constitution de 1960, 7000 Guébié sont morts. Sous le régime du PDCI on ne peut dénombrer ceux qui sont morts et dont on n’a pas trouvé dignes de sépultures. Quant au RDR, combien sont-ils les morts sur le chemin de la course au pouvoir de ce parti ? Si donc on devrait dissoudre un parti pour des raisons de génocide, ce serait d’abord le PDCI, ensuite le RDR. Le FPI, lui, ne peut pas être considéré comme un parti génocidaire. Ses militants n’ont pas une conscience d’assassins. Ceux qui demandent sa suppression, on l’aura compris, sont des petites gens qui n’ont pas d’avenir politique sous les soleils du multipartisme. Supprimez-le, il renaîtra parce qu’il a suffisamment introduit dans les consciences des masses, le goût de la liberté, ainsi que les valeurs humanistes dont un peuple a droit pour s’assurer une meilleure existence. La question qu’on doit se poser aujourd’hui c’est ce qu’il faut à la Côte d’Ivoire : devons-nous revenir à l’ancien régime de la pensée unique ou continuer de vivre l’expérience du multipartisme ? Peut-on construire aujourd’hui le pays sans le FPI ? Je ne le crois pas. Qu’on se détrompe donc. Les Ivoiriens n’accepteront jamais le retour du monopartisme.
N.V. : Selon vous, quel doit être la posture de votre parti aujourd’hui ?
L.K.K : Le FPI, depuis sa création s’est révélé au peuple ivoirien comme un parti de combat. Bâtir en Afrique, une nation souveraine, démocratique et prospère, a toujours paru un défi difficile à réaliser compte tenu des tendances conservatrices qui nous environnent. Mais nous ne désespérons pas. Le FPI où qu’il se trouve doit continuer cette lutte : éduquer nos masses et leur faire comprendre que notre salut, le salut des Etats africains réside non pas dans les valeurs qui nous sont dictées et imposées de l’extérieur, mais de trouver en nous-mêmes les ressources de notre développement et d’affirmation de notre identité. C’est pourquoi le FPI doit rester le FPI, c’est-à-dire un parti légaliste, proche du peuple. Il doit éviter toute compromission et continuer sa mission d’éveilleur des consciences. Notre rôle, je le pense, est de dire au peuple ivoirien meurtri aujourd’hui : prend courage, demeure lucide, fier et digne. Notre rôle est de remobiliser toutes les forces vives du pays pour mettre fin à la tentative de recolonisation de notre pays. Ne pas le faire, serait une catastrophe pour notre peuple, et face à l’histoire, la refondation aura résonné comme une symphonie inachevée. Nous aurons trahi.
N.V. : A Abidjan on accuse certains cadres de l’ancien régime en exil de préparer un coup d’Etat. Avez-vous connaissance d’une telle information et qu’en pensez-vous ?
L.K.K. : Nous, préparer un coup d’Etat ? Non ! On n’y a jamais pensé puisque les coups de force pour parvenir au pouvoir n’ont jamais fait partie de notre façon de penser. Le FPI a toujours prôné l’alternance pacifique au pouvoir par les urnes. S’il y a des gens ici qui préparent un coup contre le nouveau pouvoir, non seulement nous ne connaissons pas leur existence, mais ça ne peut pas venir de nos rangs. Pour nous, la situation politique que nous vivons aujourd’hui est une situation qui doit trouver une solution politique. Je pense que ceux qui parlent de coup de force à partir du Ghana, le disent pour continuer de maintenir nos populations dans la peur de la même manière que leur soldatesque le fait en prenant prétexte de rechercher des armes dans nos contrées et opère des exactions sur les paisibles citoyens. Je pense aussi qu’ils le disent pour détourner l’attention. S’il y a un coup de force, ça viendra de l’intérieur entre les différentes factions qui composent le pouvoir actuel. Je me suis souvent demandé pourquoi ce sont les proches de Soro, le Premier Ministre, et la presse proche de Bédié qui s’égosillent à penser qu’il y a un coup d’Etat en préparation ici au Ghana ? Ouattara devrait ouvrir les yeux.
N.V. : Quelle est votre appréciation générale de la situation ?
L.K. K.: La question des droits de l’homme est véritablement préoccupante et je suis étonné de voir que des pays occidentaux prompts à donner de la voix pour dénoncer cet état de fait sont devenus subitement aphones parce que ce qui les intéresse c’est l’exploitation tous azimuts de nos richesses. On tue, on viole, on pille, devant témoins comme l’ONUCI, et rien n’est dit. Chaque jour a son lot d’exactions, d’arbitraire, d’emprisonnement, de suspension de salaire, de chasse aux sorcières dans l’administration. Nous sommes-là en plein dans un régime sauvage et déshumanisant. Car, tenez : en dehors des Français qui tiennent les secteurs stratégiques du pays pour s’assurer sa surexploitation rapide, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui envahie du Nord au Sud par des pillards qui la contrôlent en com’zones. A la vérité, il n’y a plus d’Etat. On parle aujourd’hui de « somalisation » de notre pays car chaque chef de guerre a une portion qu’il contrôle. Face aux exactions, il n’y a pas de recours.
N.V. : Faut-il craindre un durcissement du régime qui pourrait déboucher sur une dictature personnelle comme le prédisent certains observateurs ?
L.K.K. : Oui. Tous les discours actuels, à la télé comme dans les journaux qui sont proches du nouveau pouvoir le laissent transparaître. On est poursuivi, vilipendé, toisé, apostrophé etc. si on rame à contre- courant de la volonté du pouvoir. Des titres de la presse libre sont quotidiennement traqués et des journalistes poursuivis. Pendant ce temps les autres titres qui lui sont favorables, que d’informer, sont devenus des indicateurs de police et font l’apologie des faits de non-droit. C’est ce que, en son temps, le président Affi Nguessan l’ayant pressenti, a qualifié de « dictature rampante », expression qui lui vaut aujourd’hui sa honteuse incarcération à Bouna. Dans cette ambiance qui nous conduit tout droit vers l’autocratie, j’observe que le PDCI joue le rôle de marche pied, voire de faire-valoir aux cotés du RDR. On se sert de lui pour les mauvais rôles. Ce sont les cadres du PDCI qui occupent les hauts postes de répression ou qui sont chargés de juger les Ivoiriens tandis que les cadres du RDR tiennent les postes juteux et stratégiques du pays. Et qu’ils ne se fassent pas d’illusion. Dès que Ouattara aura maîtrisé les cadres du FPI, il s’occupera tranquillement de ceux du PDCI.
N.V. : Et selon vous qu’est-ce qui pourrait justifier une telle attitude ?
L.K.K. : Ne l’oublions pas. Ouattara aspirait à être président de ce pays depuis 1993, à la mort d’Houphouët. Et c’est le PDCI qui l’en a empêché et plus tard l’a fortement contrarié et même humilié en lançant contre lui un mandat d’arrêt international. N’oubliez pas que pour laver cet « affront », Ouattara a dû fomenter contre Bédié en 1999, le premier coup d’Etat de l’histoire de notre pays.
N.V : Vous étiez membre du dernier gouvernement du président GBAGBO et un de ses proches. Comment avez-vous vécu les évènements qui ont conduit à son renversement ?
L.K.K. J’ai été malheureux pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique.50 ans après les indépendances, j’ai été écoeuré de voir la France agir comme un Etat terroriste contre un Etat souverain : renverser les institutions de la République dans la plus grande lâcheté et détruire nuitamment, sans déclaration de guerre notre armée. Mais j’ai été surtout outré et meurtri à la fois- n’en déplaise des militants du RHDP qui ne veulent pas accepter cette vérité- que ce sont les héritiers d’Houphouët coalisés à la France et à l’Onu qui ont détruit ce que leur père a bâti toute sa vie durant. Et tout cela à cause du pouvoir, un pouvoir qui se révèle chaque jour maçonnique.
N.V. : Certains estiment que le Président Gbagbo aurait du quitter le pouvoir et accepter de le transférer à Ouattara, et que son refus est à la base de toute cette violence dans laquelle le pays est aujourd’hui plongé ? Qu’en pensez-vous ?
L.K.K. : Cette manière de penser est, à mon sens, méconnaître ce qu’être responsable. Comment voulez-vous que le président Gbagbo abandonne les rennes du pouvoir que le peuple librement lui a confié ? Gbagbo ne s’est jamais imposé au peuple. Il a voulu assumer la responsabilité que le peuple souverain lui a confiée. Gbagbo a toujours eu une haute idée de sa mission de chef d’Etat et par respect au peuple et au nom du peuple il a résisté courageusement pour tenter jusque dans ses derniers retranchements de sauver la Cote d’Ivoire. C’est une grande leçon qu’il nous fait face à l’Histoire.
N.V. : Vous vous trouvez aujourd’hui à l’extérieur, avez-vous des contacts avec d’autres cadres du parti qui sont dans la même situation que vous ?
L.K.K. : Oui, nous sommes très nombreux ici au Ghana. En dehors des Ivoiriens réfugiés qui ont fui les exactions et les violences gratuites des hommes de Ouattara, on en dénombre près de 12 000, il y a de nombreux hauts cadres du FPI, des ministres, des élus, des conseillers économiques et sociaux, des directeurs généraux de l’administration, etc. Pour ce qui est des militants du FPI, nous avons mis en place une coordination et avons choisi comme porte-parole le camarade Assoa Adou en sa qualité de membre fondateur de ce parti. Et nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous entendons très bien et nous réfléchissons chaque jour à la situation politique de notre pays et apprécions les événements quotidiens qui s’y déroulent.
N.V. : Quel est l’état d’esprit d’ensemble ?
L.K.K. : Après les moments de frayeur, l’état d’esprit des camarades, dans l’ensemble est au beau fixe. Chacun, revenu des traumatismes vécus, a pris la mesure de la situation et nous sommes mobilisés pour le retour de la légalité et de la démocratie dans notre pays.
Entretien réalisé par téléphone par Guillaume T. Gbato