Laurent Gbagbo contre le reste du monde ?
Michel Gally, politologue.
Analyse
Le président ivoirien est complètement
isolé et bunkérisé. Oui, mais lequel ?
Il faut bien dire que, de retour à Abidjan, on ne peut que
Michel Gally, politologue.
Analyse
Le président ivoirien est complètement
isolé et bunkérisé. Oui, mais lequel ?
Il faut bien dire que, de retour à Abidjan, on ne peut que
s’étonner du fossé entre l’opinion internationale et les réalités du pays. D’après les médias français, le pays est en cessation de paiement ; M. Ouattara recueille le soutien de toutes les chancelleries occidentales, et ce n’est qu’une question de jour : M. Gbagbo va quitter
la présidence, de gré ou de force. L’armée va lui échapper, les fonctionnaires aussi, faute de salaires.
Au cas où la réalité ne correspondrait pas à ce discours très univoque, d’autres pourraient se charger de les faires coïncider : plus que quelques jours avant la chute, l’intervention militaire est imminente, venant des pays africains proches. Pour aider le processus, l’UE,
actionnée par le Quai d’Orsay, a fait très fort : mise
au ban du gouvernement Gbagbo ainsi que du Conseil constitutionnel ivoirien ! Ce pouvoir, qui ne serait qu’une dictature, tuerait des opposants jour après jour, mettant Abidjan à feu et à sang, ville d’ailleurs affamée par
la zone nord et paralysée par les transporteurs…
On se réveille, à Abidjan, dans un monde très différent,
où la réalité décidément têtue interroge en retour la description apocalyptique précédente : on n’ose croire que les médias occidentaux sont formatés, et que M. Ouattara est le candidat « naturel » de pouvoirs étrangers qui semblent tout mettre en œuvre pour son succès !
La vie a repris, et les embouteillages aussi ; les marchés sont approvisionnés, et les produits de base renchéris. Laurent Gbagbo est à la présidence, son gouvernement gouverne. Alassane Ouattara, par contre, est confiné à l’Hôtel du Golf. Son premier ministre, Guillaume Soro, gouverne par la parole, relayé complaisamment par
les télévisions occidentales ; le discours de la « République du Golf » est décidément guerrier, s’appuyant sur
les forces rebelles du Nord et comptant sur l’arrivée
des contingents de la CEDEAO.
Mais les voisins ouest-africains semblent moins chauds
à intervenir, contrairement à leurs premières déclarations :
le Nigeria a opéré un spectaculaire revirement ;
le Ghana « n’enverra pas un seul soldat » ;
les opinions africaines commencent à tourner.
Devant ce curieux décalage entre réalités ivoiriennes
et médias français, certains ont trouvé, à Paris, la solution : ils dressent à leur tour des listes voulant dénoncer, dans une sorte de maccartisme à la française, ceux qui y voient plus clair ! À entendre l’Église catholique et les milieux altermondialistes, des militants de la société civile africaine comme Aminata Traoré ou des intellectuels de renom comme Jean Ziegler prôner le dialogue, cela fera de longues listes de dénonciation qui peuvent rappeler en France de douloureux souvenirs… Au risque, pour les nouveaux censeurs, de se voir poser des questions gênantes
sur leur intérêt à cet acharnement univoque.
Michel Gally
Publié dans l'Humanite.fr du le 11 Janvier 2011