La Grande interview du ministre Don Mello, ex-porte parole du gouvernement de Laurent Gbagbo: "Dialoguer rime avec les fusils chez Ouattara"
Par LE NOUVEAU COURRIER - La Grande interview du ministre Don Mello, ex-porte parole du gouvernement GBAGBO.
DON MELLO Ahoua est Docteur Ingénieur des Ponts et Chaussées.
Il fut Ex-DG du BNETD, Ex-administrateur de la BNI, et Ex-administrateur de la Cellule d’Analyse des Politiques économiques (CAPEC-CIRES).
Il fut également Ministre de l’ Équipement et de l’Assainissement dans le gouvernement du professeur Aké N'GBO, et porte-parole du gouvernement.
Il est aujourd'hui membre de la Coordination FPI en exil.
La situation sociopolitique et économique très préoccupante de la Côte d’Ivoire ne laisse personne sans voix. Pas même l’ex-ministre Ahoua Don Mello, en exil depuis le 11 avril 2011, et qui avait gardé le silence depuis un bon moment. Dans cette entrevue qu’il a accordée au Nouveau Courrier, Ahoua Don Mello analyse la situation politique et économique de la Côte d’Ivoire. Dans cette première partie que nous vous proposons, il aborde exclusivement les questions politiques de l’heure.
Le Fpi, votre parti, a dit non à l’invitation au dialogue avec le gouvernement, pour protester contre le non-respect de ses engagements (parlant du gouvernement) après les premières négociations et la récente arrestation du leader de la JFPI qui intervenait justement à quelques jours de la reprise du dialogue. Une décision à laquelle vous souscrivez ?
Lorsqu’un homme continue de brimer son frère, la femme, les enfants et les amis de son frère qu’il crie au dialogue pendant qu’il continue de les brimer, pensez-vous honnêtement qu’il donne le même sens au mot «dialogue» que le sens commun attribue à ce mot ? Ce cri au dialogue est pour anesthésier ceux qui sont en dehors de la maison et qui risquent de venir au secours des opprimés. C’est le Vuvuzela pour couvrir le cri de douleur de nouvelles vagues de répression et de violation des droits de l’homme. Je ne sais pas où il a appris la politique mais depuis que cet homme est apparu sur l’échiquier politique ivoirien, le mot dialoguer rime avec les fusils, à telle enseigne que pour nous cet appel annonce de nouvelles arrestations et de nouveaux massacres extrajudiciaires. Ses propres partisans ont affirmé qu’ils ont pris les fusils pour le porter au pouvoir, donc pour eux la campagne politique est synonyme de campagne guerrière. Et depuis 2011, chaque fois qu’un appel au dialogue est annoncé cela annonce les arrestations et les massacres, le cas de KOUA Justin est une illustration, mais avant ça, il y a eu AKOUN Laurent, DOUATY Alphonse, BLE GOUDE, Jean Yves DIBOPIEU, ABEHI, tous arrêtés après un appel au dialogue. La suspension du dialogue est donc une pause en attendant que nous donnions le même sens au même mot.
Lundi dernier, à l’étape de Korhogo, Ouattara a appelé le Fpi à «demander pardon aux victimes et aux parents de victimes». Quel commentaire faites-vous de cette sortie de Ouattara ?
En d’autres termes, les militants FPI de Duékoué doivent demander pardon à Ouédraogo Remi pour le génocide des wè, les parents de Tagro Désiré doivent demander pardon à l’assassin de leur fils, les parents des jeunes patriotes exterminés devant la résidence du Chef de l’Etat doivent demander pardon aux divers meurtriers, les familles des militaires bombardés dans les camps militaires doivent demander pardon à leurs bombardiers et le comble c’est que Gbagbo Laurent, innocenté après une tonne d’accusations et deux ans d’enquêtes par les plus grands services de renseignements au monde, doit demander pardon pour avoir reçu 50 bombes sur sa résidence. La direction du FPI, en prison avec 700 militants, torturés au quotidien sans motifs doit demander pardon aux geôliers. En somme, les Ivoiriens doivent demander pardon à ceux des leurs qui ont choisi la voie des armes et des bombes pour la conquête du pouvoir. Une fois de plus M. Ouattara et nous, n’avions pas fait les mêmes formations politiques et donc nous sommes dans un quiproquo ou un cirque savamment entretenu. Le FPI est la principale victime et le principal parent des victimes de la longue guerre de la Françafrique contre la Côte d’Ivoire depuis 2002. En prenant sur lui de signer un accord à Pretoria faisant de Ouattara un candidat aux élections présidentielles de 2010 contre la volonté de 86% des Ivoiriens qui ont dit non à sa candidature en votant la Constitution de 2000, en signant les accords de Ouagadougou pour confier la primature aux bourreaux de la République, le leader du FPI, Laurent Gbagbo, n’a pas attendu un quelconque pardon de ceux qui ont pris les armes contre leur mère patrie, il a assumé ses responsabilités de chef de l’Etat, garant de la cohésion nationale et de la paix. De deux choses l’une, soit M. Ouattara ignore le contenu des missions d’un Chef d’Etat, soit il est en mission commandée pour exclure les Ivoiriens de la vie politique, économique et sociale pour faire place à la Françafrique sans les Ivoiriens qui refusent la soumission. Le génocide Wè pour s’emparer de la boucle du cacao, la modification unilatérale du code foncier et du code de la nationalité, les choix économiques de M. Ouattara et les résultats qui en découlent, militent en faveur de cette deuxième thèse. Le prétexte de la lutte contre l’ivoirité révèle son vrai visage qui est l’ivoirophobie.
La question des victimes en Côte d’Ivoire ne doit pas se traiter en Pro-Gbagbo ou en pro-Ouattara, termes forgés pour diviser les Ivoiriens pour que vienne le règne du colon, se posant en arbitre suprême sous le masque de l’ONU. Les nombreuses victimes depuis 2002 n’ont pas de tatouage sur leurs corps faisant d’eux des pro-Gbagbo ou des pro-Ouattara. A ce sujet, le modèle sud-africain est le modèle le plus parfait pour traiter la question des victimes et la question de la réconciliation. Laisser de côté des solutions qui ont fait leurs preuves pour emprunter des voies sans issues en jouant du vuvuzela à chaque meeting ou interview pour couvrir de nouvelles répressions laisse évidemment croire que le vrai objectif de M. Ouattara n’est point la réconciliation inter-ivoirienne mais la réconciliation des richesses ivoiriennes avec leurs prédateurs au prix du sang et de l’unité nationale. Une fois de plus nous ne donnons pas le même sens au même mot.
Ouattara dans sa tournée au Nord a parlé d’une injustice faite à cette région qui a accusé un véritable retard de développement, avec les précédentes administrations. Evoquant même un taux d’électrification de 15% au Nord contre 90% dans les autres régions du pays. Quel commentaire faites-vous, vous justement qui avez été DG du Bnetd durant une décennie ?
L’analyse des déséquilibres régionaux qui ne sont pas spécifiques au nord mais liés à la gouvernance jacobine de l’Etat, avait conduit le FPI à opter pour la décentralisation administrative, politique et économique de la Côte d’Ivoire et le transfert de la capitale comme levier pour corriger ces déséquilibres. Dès l’accession au pouvoir du FPI en 2000, le gouvernement Affi avait mis en priorité en chantier le programme de la décentralisation administrative et politique ainsi que le financement des infrastructures de base. Le développement des technopoles, des pôles agro-industriels régionaux, des universités régionales et des CHR devaient fournir un contenu économique et social à la décentralisation. L’occupation du nord et de l’ouest de 2002 à 2010 par la rébellion armée sponsorisée par M. Ouattara a mis un frein à la mise en oeuvre de cet ambitieux programme dans ces zones. Qu’il ait le courage de reconnaître sa responsabilité dans le retard de la région du nord. Il avait là une belle occasion de demander pardon pour donner l’exemple mais il a préféré honorer ses frères d’armes pour avoir détruit la région.
Alors qu’officiellement plus de 700 détenus politiques sont répertoriés dans les goulags du régime, Ouattara affirme qu’il n’existe aucun prisonnier politique en Côte d’ivoire. Êtes-vous surpris d’une telle déclaration ?
Ouattara et nous, avions des problèmes de sens de mot et des différences idéologiques très profondes. Pour M. Ouattara, un homme politique digne de ce nom est celui qui accède au pouvoir par des armes et des bombes, ce qui n’est pas notre cas et ceux qui font un autre choix ne sont pas des hommes politiques. Si nous nous plaçons dans sa logique, les 700 prisonniers du FPI ne sont pas des prisonniers politiques. Si Laurent Gbagbo avait traité les auteurs, co-auteurs directs et indirects de la rébellion comme M. Ouattara traite les militants du FPI, il aurait certainement su ce qu’est un prisonnier politique. Mais Laurent Gbagbo avait une haute idée de la démocratie, une foi inébranlable aux valeurs démocratiques qu’il a su enseigner aux Ivoiriens pendant son long combat pacifique pour la démocratie. Malheureusement, comme dans toute classe, ce n’est pas tout le monde qui apprend ses leçons et les applique correctement. Et ceux qui nous gouvernent aujourd’hui en font l’illustration en répétant les mots sans savoir ce que cela signifie. Mais pour les Ivoiriens qui connaissent l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, ils ne sont pas surpris, car ceux qui nous gouvernent aujourd’hui étaient les tenants de la thèse du parti unique et taxaient les valeurs démocratiques d’hérésie et d’utopie et donc n’ont pas cherché à apprendre les leçons sur la démocratie du professeur Laurent Gbagbo. Du parti unique dont ils ont la nostalgie, ils cherchent à le restaurer en appliquant la pensée unique au contexte multi partisan. La légitimité populaire, le droit à la différence de pensée ou d’analyse est pour eux un crime, une offense au chef de l’Etat, une incitation à la révolte ou une atteinte à la sûreté de l’Etat. En criminalisant la légitimité populaire, le droit à la différence, ils assimilent les victimes de la pensée unique à des criminels de droit commun. Voilà pourquoi pour M. Ouattara il n’y a pas de prisonniers politiques. Voilà aussi pourquoi, même la CPI est contaminée par le moyen-âge politique que vit la Côte d’Ivoire en classant la légitimité populaire parmi les crimes qui méritent d’être sanctionnés : La légitimité populaire de Laurent Gbagbo est, pour la CPI, une condition suffisante pour le maintenir dans les liens de détention !
A quelles conditions peut-on aller vers une véritable réconciliation, selon vous ?
Aujourd’hui en Afrique, le modèle sud-africain reste le modèle le plus parfait de réconciliation. Mandela, considéré à l’époque par l’Occident comme l’un des plus grands terroristes de la planète, a été libéré avec tous ses camarades pour négocier la paix avec le régime le plus rétrograde, le plus cruel et le plus barbare de l’époque. La libération de Gbagbo Laurent, de la direction du FPI et des 700 prisonniers politiques sont les conditions de la réconciliation. Malheureusement, je ne suis pas certain que la réconciliation soit un objectif pour les commanditaires du plus long coup d’Etat de l’Afrique. Je suis même convaincu que, pour les stratèges de la Françafrique, la réconciliation signifie la perte de l’occupation politique, économique, sociale et militaire de la Côte d’Ivoire, voire de l’Afrique. La machine à explosion que constitue la division profonde du pays, est un marché propice pour le commerce odieux des armes contre cacao-pétrole-gaz. Le mot réconciliation est donc devenu le refrain d’une chanson qu’on répète pour faire espérer l’ensemble des Ivoiriens qui sont convaincus que la vraie réconciliation est la priorité des priorités. Il y a plus de 10 ans que les Afghans et les Irakiens répètent ce refrain !
Les Maliens se rendront aux urnes pour élire le prochain président, dans un contexte plus ou moins non maîtrisé, le 28 juillet prochain. Une date quasiment imposée par la France. Pensez-vous qu’on se dirige vers la normalisation réelle du pays ?
Ce qui arrive au Mali est déjà arrivé en Côte d’Ivoire, avec les mêmes pilotes aux commandes du bateau malien. Le risque que les mêmes causes produisent les mêmes effets n’est pas à écarter. Tout le monde est convaincu que les conditions ne sont pas réunies pour les élections dignes de ce nom, par conséquent tout résultat officiel sortant d’une telle élection est a priori contestable et le sera certainement a posteriori. Le Mali risque donc de se retrouver avec plusieurs présidents, chacun convaincu de sa victoire. Droit contre droit, seul le plus fort l’emportera et non forcément le plus légitime.
Espérons que le plus légitime soit le plus fort, et qu’un président inattendu ait l’onction populaire ; dans ce cas, une crise post-électorale est inévitable ; dans l’intérêt de qui ?
Ma conviction est déjà faite sur l’impérialisme en crise. Et ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’impérialisme en crise fait preuve d’un cynisme sans limite. Lorsqu’une solution a été aussi désastreuse comme celle de l’Afghanistan et de l’Irak et que les mêmes acteurs continuent le désastre dans d’autres pays comme en Libye, en Côte d’Ivoire, en Syrie ; aujourd’hui en Egypte et probablement demain au Mali, c’est que l’intérêt de vendre des armes financées par le pillage des matières premières l’emporte sur la démocratie et les droits de l’homme ; par conséquent, les conditions explosives sont plus rentables pour la sortie de crise de l’occident que les conditions paisibles pour la sortie de crise des pays pauvres mais riches en matières premières. Pour l’Occident, les pays n’ont pas d’amis mais des intérêts ! Malheur à ceux qui n’ont pas encore compris le sens profond de cet axiome de l’impérialisme.
Un mot sur la situation en Égypte qui plonge progressivement dans une instabilité
Le même raisonnement précédent est valable pour l’Égypte. Les Frères musulmans qui ont implicitement fait miroiter une tendance pro-occidentale à l’exemple du Qatar et de l’Arabie Saoudite, ont tourné casaque en étant une fois porté au pouvoir par le printemps arabe. L’occident, pris à son propre jeu, a provoqué un court-circuit démocratique en réponse à l’échauffement démocratique provoqué par la gouvernance, certes critiquable, des Frères musulmans mais gérable par d’autres solutions que l’intrusion de l’armée avec l’accord tacite de l’Occident pour faire de l’échauffement démocratique un mélange explosif plus propice au commerce odieux gaz contre armes. Le renard passe, passe, chacun à son tour! Le chien aboie, la caravane des armes et des matières premières passe !
…
Je conclurai avec un autre grand professeur de la démocratie et de l’intégration Africaine, Chinua Achebe «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse sera toujours en l’honneur du chasseur». Le Front Populaire Ivoirien a le devoir de reprendre sa craie d’enseignant et sa serviette de combattant pour restaurer dans la conscience collective, les valeurs démocratiques, l’histoire vraie de la démocratie et des ennemis de la démocratie, engager la bataille pour mettre fin à la pensée unique et faire revivre les fondements de la démocratie : la légitimité populaire, la liberté de pensée, de manifestation, d’aller et venir, le droit à la différence, l’égalité des citoyens devant la justice et l’administration, le droit à la propriété etc. autant de valeurs qu’ignorent les tenants de la pensée unique, de la justice des vainqueurs et du rattrapage ethnique. Mais nous devons aussi enseigner les leçons de l’histoire récente de la crise ivoirienne et l’intrusion de la Françafrique et ses tirailleurs dans le règlement du conflit ivoirien avec la fermeture des banques, l’exclusion de la Côte d’Ivoire de la BCEAO, le braquage de l’aéroport et du port, le soutien des forces armées françaises aux rebelles et la déportation de Laurent Gbagbo à La Haye : La démocratie est impossible sans démocrates et sans souveraineté politique, économique, financière, militaire et judiciaire.
Réalisée par Frank Toti
NB : La suite de l’interview demain