LA FACE DU CACAO IVOIRIEN : UN BUSINESS CANNIBALE ET CRIMINEL, Par Dr Kock Obhusu

Par Ivoirebusiness/Débats et Opinions- LA FACE DU CACAO IVOIRIEN. UN BUSINESS CANNIBALE ET CRIMINEL, Par Dr Kock Obhusu.

Nous apprenons par le biais d’un journal franco-arabe, basé à Paris, que la directrice exécutive du Groupement professionnel des exportateurs de café et de cacao de Côte d’Ivoire, Madame Françoise Koné-Bédié « laisse » au français Lionel Soulard, patron de Cargill West Africa, le soin de représenter l’organisation dans les réunions avec le Conseil café-cacao et les autorités ivoiriennes.
Cette information dont il n’y a, à priori, pas de raison de douter est à l’image de ce qu’est ce pays devenu. Un pays qui incontestablement a bradé l’héritage des luttes des devanciers et sur le dos duquel les entreprises multinationales et autres hommes véreux s’engraissent à peu de frais et où l’espace se réduit de plus en plus comme une peau de chagrin pour les nationaux relégués au rang de porteurs d’eau et de coiffeurs.
Sans nous faire l’avocat de telle ou telle personne, cet article est l’occasion de rappeler à notre souvenir un documentaire diffusé en 2019, peu avant l’apparition du Covid-19, par une chaîne de télévision française.
Dans ce documentaire diffusé par la chaîne étatique « Public Senat » le 21/09/2019 et intitulé « La face cachée du cacao » des faits inquiétants ont été mis en lumière.
Disons que ce n’est pas à proprement parler des faits dont ceux qui s’intéressent à l’économie ivoirienne ignorent l’existence que cette télévision exhume. Et donc qu’il n’y a pas là, ce qu’on pourrait qualifier de Scoop. Pas vraiment de quoi casser trois pattes à un canard.
Mais, cette chaîne, une fois n’est pas coutume, a le mérite de mettre en exergue le laxisme avec lequel la politique de développement économique est conduite dans ce pays depuis des années et qui s’est empirée depuis 2011. Le moins que l’on puisse dire en regardant ce reportage documenté est qu’aucune réflexion suivie d’accompagnement appuyé n’a à ce jour été entreprise dans la gouvernance de ce pays par les pouvoirs publics actuels.
Les faits mis en évidence font véritablement froid dans le dos. Mais cela ne semble aucunement émouvoir ni inquiéter les autorités de ce pays.

On y découvre :
- des situations d’esclavage d’enfants malgré les discours et les parades dans les grandes rencontres à l'extérieur,
- un rythme de prédation écologique marqué par une déforestation massive et sauvage sans commune mesure qui conduit bonnement à la sahélisation.
D’ailleurs, dans une déclaration récente, l’ancien préfet d’Abidjan, passé par les cabinets ministériels du pouvoir actuel, Vincent Toh Bi Irié, aujourd’hui à la tête d’une association lève le même voile sur un sujet qu’aucune personnalité politique n’ose aborder et auquel est confronté le pays.
S’appuyant sur des observations de terrain, il prévient l’opinion et les pouvoirs publics sur un grand danger en cours en Côte d’Ivoire. Il affirme, nous citons, que :
« Il y a une prédation silencieuse des terres de nos villages. Les crises sécuritaires dans les pays de la sous-région convoient de grands groupes de personnes qui descendent directement dans les zones rurales où se multiplient les pressions foncières et par conséquent les conflits et les crises intercommunautaires ».
- un business cacaoyer de criminalité et hautement cannibalistique, etc.
Sans trop traîner, allons en aux faits. Voilà les principaux faits mis en lumière, selon nous, par la chaîne française :

Le premier fait:
Au cœur des forêts protégées de Côte d'Ivoire, des enfants venus du Burkina Faso voisin, poussés par la faim et la sécheresse travaillent gratuitement contre de la nourriture. Ils ont des machettes tranchantes, portent de lourdes charges, effectuent des épandages de glyphosate, un produit interdit en France, sans protection.

Le deuxième fait:
Au bout de plusieurs années de ce qu’il faut bien appeler de l´esclavage, ils peuvent espérer recevoir une parcelle à cultiver pour eux-mêmes.

Le troisième fait:
Ces plantations illégales continuent de grignoter la forêt primaire déjà réduite à peau de chagrin. Quatre-vingt-dix pour cent de la forêt primaire dont le pays disposait en 1960 a disparu sous les assauts de planteurs désespérés dont les revenus ne permettent pas de survivre et sous les assauts, au mépris des lois, de Burkinabé. Qu'on ne dise pas que cette chaîne de télévision française des plus étatiques est xénophobe.
Le quatrième fait:
Esclavage, déforestation massive, intraçable, ce cacao criminel entre sans difficulté dans le circuit commercial légal et est certifié pour se retrouver dans les rayons des supermarchés. Le marché du chocolat pèse 100 milliards d´euros chaque année.

Le cinquième fait:
Les industriels s´étaient engagés, en 2001, à éradiquer le travail des enfants dans les champs de cacao et à préserver la forêt. Pourtant, près de vingt ans plus tard, rien n'a changé en Côte d´Ivoire.
Nous ne sommes pas souvent en phase avec les chaînes françaises d’information mais, il faut avouer que pour une fois quand le travail est fait proprement, il faut le saluer. Nous saluons donc ce travail qui recouvre une dimension très pédagogique. Il ne se contente pas de dénoncer mais induit une dimension éducative en vue d’une prise de conscience collective sur un problème devenu préoccupant.
Ce reportage sensibilise en vue de susciter un positionnement clairement affirmé, des politiques, des intermédiaires - acheteurs des consommateurs et des producteurs.
Pourvu que les autorités et les citoyens s'en saisissent véritablement en sortant des postures de communication faites de faux semblants.
Au regard de ces faits, quels sont, à notre avis, les principaux messages portés par ce documentaire ?

Le premier message:
C’est un appel à la prise de conscience du consommateur.
Si vous faites partie de ceux qui croquent une tablette pour chasser les idées noires, ce reportage risque fort de vous faire passer le goût du chocolat.
On savait la filière trouble, mais la réalité dévoilée par les enquêtes et reportages, de plus en plus nombreux ces derniers mois, dépasse tout ce qu’on peut imaginer : déforestation, travail des enfants, aveuglement des autorités, double discours des multinationales, promesses non tenues des industriels de l’agroalimentaire, etc.
Il y a vraiment quelque chose de cabossé au royaume des cabosses. Quelque chose de chaotique au pays du cacao.

Le second message:
C’est une invitation à sortir des postures d'irresponsabilité et d'inconscience citoyenne
Accompagné d’une caméra cachée et d’un « fixeur », le journaliste a réussi à filmer des images terrifiantes dans l’une des plantations illégales qui grignotent, année après année, les forêts pourtant protégées du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, pays producteur de 40 % du cacao mondial.
Balisées par des miliciens qui prélèvent une dîme à chaque passage de camion, voiture ou moto, les routes boueuses de la région tracent un chemin difficilement praticable au milieu d’une végétation étrange. Les arbres y ressemblent à des squelettes blancs : ils ont en fait été brûlés pour permettre la plantation de cacao à leur pied.

Le troisième message:
C’est d’appeler à la prise de conscience de la dimension dangereuse de l’exploitation cacaoyère dans le cadre d’une politique de gestion de santé publique.
Ces plantations que des enfants pulvérisent, toute la journée, d’un produit à « tête rouge » dont on découvre très rapidement qu’il s’agit de glyphosate, le désherbant de Monsanto, classé cancérigène probable par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Inutile de préciser que ces gamins, pour la plupart venus du Burkina Faso voisin et « vendus » par leurs parents, trop pauvres pour les nourrir, travaillent non seulement dans l’illégalité la plus totale mais également sans aucune protection contre les défoliants qui tuent, petit à petit, la forêt ivoirienne.

Le quatrième message:
C’est de comprendre que c’est une situation intolérable d’esclavage et d’enfance en péril.
Pis, ceux qui ont trop faim en arrivant travaillent pendant plusieurs années gratuitement contre de la nourriture, avant d’être payés par l’octroi d’une petite parcelle. L’absence de traçabilité des fèves leur permet de rejoindre le circuit légal, en toute impunité. Nourrie par l’appétit des industriels pour les douceurs chocolatées, l’expansion, légale ou non, des plantations de cacao a fait perdre à la Côte d’Ivoire 90 % de sa forêt en vingt ans.
Opiniâtre, l’auteur du reportage frappe à toutes les portes de la filière. Du chef du réseau qui vend les enfants aux planteurs clandestins, à l’intermédiaire opaque qui refuse de parler, en passant par les organisations non gouvernementales qui dénoncent sans relâche ce business « cannibale ».

En conclusion
Ce documentaire de « Public Senat » explique avec clarté pourquoi la filière cacao est l’une des plus inéquitables au monde. Selon l’Agence française de développement, un cultivateur de cacao gagne en moyenne moins de 1 euro par jour, soit 655 francs cfa. Mon Dieu, quelle misère !
Les industriels et les lobbys du secteur ont pourtant multiplié les déclarations d’intention depuis vingt ans, se fixant des objectifs aussi ambitieux qu’irréalistes.
Mais face à la déscolarisation des enfants, au laxisme des autorités dans certaines provinces reculées et aux vagues migratoires burkinabé et maliennes, à l’incurie des intermédiaires et au laisser-faire des industriels, les moyens déployés pour nettoyer la filière paraissent dérisoires.
En cela, ce documentaire se trouve conforté par les observations récentes de l’ancien préfet d’Abidjan, Vincent Toh Bi Irié.
Sa préoccupation sera-t-elle partagée et relayée par la classe politique, notamment de l'opposition dont la population attend qu'elle s'affranchisse des traumatismes de la guerre, afin de mettre en débat les vrais problèmes de la Côte d'Ivoire plutôt que de distraire la population avec des préoccupations farfelues sur la réconciliation dont on ne dit d'ailleurs pas ce qu'il recouvre exactement en dehors des images photographiques par-ci par-là?

Et si le temps était venu de changer de paradigme de développent économique à l’ère de l’intelligence artificielle !

©Dr KOCK OBHUSU, Economiste